La Féminité des personnages dans les œuvres de Marguerite Duras
-le mythe de l`Androgyne

L`être humain comporte deux projections, une féminine et l`autre masculine, car chacun essaie de trouver sa moitié, masculine ou féminine. D`ailleurs, Platon mettait en débat le problème de trois gendres naturels : le mâle, la femelle et l`androgyne. L`androgyne comportait avait quatre mains, quatre pieds, deux visages placée à l`opposé l`un de l`autre et deux sexes, l`un masculin et l`autrui féminin. L`androgyne venait de la lune car cet astre est placé entre le soleil (le mâle) et la terre (la femme). Pour châtier ces êtres pour s`être révoltés contre les dieux, Zeus les a coupées en deux moitiés. ,,C`est une coupure, une section, qui établit le sexe, conçu comme la recherche de sa moitié complémentaire des êtres primordiaux. Mais ce châtiment mène le genre humain tout droit à sa perte’’ . Une fois séparée, chaque moitié essaie de retrouver sa moitié complémentaire : homme-homme, homme-femme, femme-homme, femme-femme pour atteindre l`unité originelle.
Cette histoire nous aide à comprendre le désir humain et même animal ou végétal de l`union. L`amour pour l`autrui, l`homosexualité et l`inceste y retrouvent leur explication. Cosmique ou humaine, l`androgynie comporte une dualité : masculine et féminine. L`androgynie est une sorte d` écoulement du masculin vers le féminin et du féminin vers le masculin.
L`androgénie se situe aux plusieurs niveaux dans l`œuvre de Marguerite Duras : spirituel, car ses personnages tentent souvent de réaliser la totalité humaine primordiale, poétique, car chaque personnage durassien a la tendance de vivre au carrefour du réel et de l`imaginaire, de la santé psychique et de la folie, du passif, marqué par l`écriture puisque ses personnages écrivent souvent, de la rêverie et de l`actif, car quelques personnages féminins comme les adolescentes, Joseph, Agosti et Pierre, le frère aîné sont des êtres actifs, passionnés par les voitures, la chasse, les fusils, le cinéma, tout ce qui est dynamique et en mouvement ; physique parce que Marguerite Duras aiment dépeindre des situations à la limite de la normalité et au bout de l`anormalité, pareilles à l`homosexualité, l`inceste, la prostitution, le crime, la folie, fictifs, en tant que réels ; et dans le dernier cas, il s`agit de l`androgénie de la poétique car l`écrivain-même est un créateur et ses personnages aiment écrire et lire et, d`après les dire de Gaston Bachelard, tout rêveur – poète est un être dominé par ,,l`anima’’; ,,L` lit peu ; l` lit beaucoup>>’’ . Dans La poétique de la rêverie, le philosophe bourguignon trouve que l`écriture ne se réalise que sous le signe de la féminité à laquelle corresponde la projection en ,,anima’’: ,,Lire, toujours lire, douce passion de l`anima’’ ; mais, dès que les mots s`écroulent sur la page blanche c`est ,,l`animus’’ qu`y règne :
,,Mais quand, quand après avoir tout lu, on se donne pour tache, avec des rêveries, de faire un livre, c`est l`animus, qui est à la peine. C`est toujours un dur métier que celui d`écrire un livre. On est toujours tenté de se borner à le rêver’’ .
Rêver aux yeux ouverts, c`est rêver en ,,anima’’, écrire c`est plutôt le domaine de l`,,animus’’, car l`écrivain cherche ses mots, il n`écrit au hasard. Cependant, il y a des écritures tantôt sous le signe de la féminité, tantôt sous le signe du masculin et les écrivains, surtout les romanciers deviennent, grâce à leurs personnages, des êtres en ,,anima’’, respectivement en ,,animus’’. ,,En fait, la rêverie de psychologie imaginante, chez tout romancier, suit les multiples projections qui lui permettent de vivre tour à tour en animus et en anima dans la personne de ses différents personnages’’ . Si les personnages sont décrits sous le signe de l`,,anima’’, nous saurons que leur créateur se trouve sous l`influence de l`,,anima’’, de la rêverie, de la passivité, de la mélancolie, de la nostalgie, de cet écoulement fluide de son esprit. Par contre, si les personnages sont dépeints sous le signe de l`,,animus’’, de l`écriture, de l`activité, du dynamisme, de la stabilité psychique, nous déduirons que leur créateur se retrouve sous la marque de l`,,animus’’. cite Bachelard Eckermann dans le but d`élucider la psychologie d`un écrivain et le signe sous lequel il écrit.
En lisant les œuvres durassiennes, nous avons constaté l`oscillation, la perpétuation entre les personnages et les éléments en ,,anima’’ comme presque tous les personnages masculins (le vice-consul, le petit frère, l`amant chinois, Monsieur Andesmas), la mendiante, les fous, les lépreux, l`élément aquatique bienfaisant et protecteur, d`une part, et les personnages dominés par ,,animus’’ comme, Joseph, Agosti, Pierre, parfois les adolescentes, le Pacifique destructeur, l`alcool dégradant, le soleil ardent et sec, de l`autre part. C`est justement cette perpétuation qui donne le sentiment de fluidité de l`œuvre durassienne. L`écriture, elle-même comporte ce trait, malgré le silence, l`absence du dialogue, les phrases courtes, cinématiques, elliptiques (des marques d`un style masculin dynamique), parce que Duras écrit instantanément, sans corrections, sans chercher ses paroles, comme les autres romanciers en font. L`écriture directe, négligée, parlée se situe plus proche d`une rêverie poétique que d`une écriture romanesque, plutôt de l`,,anima’’ que de l`,,animus’’. Pourtant, le style de l`écrivain, Marguerite Duras elle-même (y compris son nom), ses œuvres et ses personnages, les éléments symboliques sont marqués par une certaine androgénéité. Combinaison entre l`écriture rêvée, incessante (étape de la poȉétique) et l`écriture elliptique, dynamique (étape de la poétique) et le style que Marguerite Duras s`est formé surtout après les années `50, sont ambigus, dualistes, donc androgynes. En outre, le nom et le pseudonyme de l`écrivain comporte, sous la forme d`un oxymore, une dualité visible, une sorte d`ambivalence et d`androgénéité. La fleure pure blanche à l`intérieur jaune de l`Indochine s`oppose à la dureté des vies dépeintes dans ses livres (sa propre vie et celles de ses personnages). Les éléments symboliques comportent la même androgénéité, de sorte que la mer est accueillante et colérique, la pluie est régénératrice et diluvienne, destructrice, le soleil est bienfaisant ou mortel, la forêt représente l`espace de la vie, de la liberté et de la mort, de la peur, l`île fait du renvoi à la rêverie solitaire et reposante et aux lépreux et les fous, la plage repose et suscite des souvenirs douloureux, l`hôtel est l`espace de l`amour charnel et l`espace du manque de l`amour véritable, spirituel. Les personnages pareils aux adolescentes vierges, au point de leur défloraison, au vierge vice-consul, parfois à Lola Valérie Stein, à Marie Stretter, à Hélène Lagonelle, à Carmen et Alice, deux prostituées-chasseur, à Michael Richardson et à la mère phallique incarnent l`idée de l`hermaphrodisme psychique, alors que l`homosexuel, l`incestueux et les criminels par amour suscitent l`idée d`une ambivalence et d`une androgénéité biologiques :
,,La création littéraire d`une femme par un homme, d`un homme par une femme sont des créations brûlantes. Il nous faudrait interroger le créateur en une double question : qu`es-tu en animus – qu`es-tu en anima ? Et aussitôt l`œuvre littéraire, la création littéraire, enterait dans les pires ambiguïtés’’ .
En créant des personnages comme les adolescentes de L`Amant et L`Amant de la Chine du Nord et comme Susanne, la vierge d` Un barrage contre le Pacifique et Eden Cinéma ou l`Américaine du roman Le marin de Gibraltar ou Betty Fernandez ou Marie Carpenter, des occidentales à la mode, des femmes - garçonnet, maigres, très peu maquillés, mais dont les attitudes et chevelures imitent la mode masculine, Marguerite Duras renonce à la rêverie, à la passivité, donc à l`,,anima’’.
,, Mais, dans la volonté de créer des êtres que l`écrivain veut réels, veut durs, veut virils, la rêverie passe au second plan. (…) Un animus qui n`a pas trouvé, dans la vie, une anima assez pure en vient à mépriser le féminin’’ .
C`est ce qui réalise Duras dans l`Homme assis dans le couloir et Moderato cantabile. Ici, Duras paraît une antiféministe, une misogyne, car elle se méprend des deux protagonistes, en les décrivant dans des postures dégoûtantes, obscènes. La rêverie, et par suite l`,,anima’’, réapparaît dans ses œuvres à partir de la création de personnages masculins féminisés comme l`amant chinois, M. Jo, le petit frère Paulo, le vice-consul, Michael Richardson, et Hold.

LAURA-GRIGORITA MITRACHE,
article de la thèse