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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-08-02 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia
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Ah! si cet officier avait été de ceux qui acceptent les duels! Mais non, c’était justement un de ces messieurs (depuis longtemps disparus, hélas!) qui préfèrenr recourir aux queues de billard ou, comme le lieutenant Progov de Gogol*, à la voie hiérarchique. Ils ne se battent pas en duel, et nous les autres, les péquins, ils considèrent en tout cas que c’est inconvenant de se mesurer avec nous, et puis en général, que le duel a quelque chose d’impossible, de libre-penseur, de français, sans se priver pour autant d’offenser le monde, surtout lorsqu’ils ont une taille de colosse à mettre dans la balance. Si j’ai lâché pied, ce n’est pas par lâcheté, mais parce que ma vanité est vraiment sans bornes. Ce n’est pas sa taille de colosse qui m’a fait peur, ni d’être battu ou jeté par la fenêtre; ce n’est pas le courage physique qui m’aurait manqué; c’est le courage moral qui m’a fait défaut. J’ai eu peur que toutes les personnes présentes, à commencer par cet effronté de marqueur et à finir par le dernier des gratte-papier ranci et couvert de points noirs qui se tortillait là dans son col graisseux, ne me comprennent pas et me tournent en ridicule en m’entendant protester et user avec eux d’un langage littéraire. Car les points d’honneur, je dis bien les points d’honneur et non l’honneur, on ne peut encore, en Russie, en parler, qu’en langage littéraire. En langage de tous les jours, cela ne se fait pas. J’étais absolument persuadé (le sens des réalites, nonobsatnt mon grand romantisme!) qu’ils crèveraient tous, purement et simplement, de rire et que l’officier me corrigerait, mais là, ni purement ni simplement, et pas inoffenssivement du tout; qu’il me ferait obligatoirement faire le tour du billard à coups de genou dans les reins, après quoi, peut-être, il daignerait avoir pitié et me jeter par la fenêtre. Bien entendu, avec moi, cette lamentable histoire ne pouvait s’arrêter là. Par la suite, j’ai souvent rencontré l’officier en question dans la rue et je l’ai parfaitement repéré. La seule chose que j’ignore, c’est si lui, il me reconnaissait. Je ne le crois pas; cela se voyaiat à certains indices. Mais moi, moi, je le regardais avec rage, avec haine. Et cela a duré… eh oui! Quelques années! Ma rage n’a même fait que croître et embellir avec le temps. Au début, je me contentais de me renseigner en douce sur son compte. Cela me fut difficile, car je ne connaissais personne. Mais un jour, dans la rue, alors que je le suivais de loin, mais à croire qu’il me tenait en laisse, qulqu’un le héla et c’est ainsi que j’appris son nom. Une autre fois, je le filai jusqu’à son domicile et, pour dix kopeks, je me fis dire par le concierge où était son appartement, à quel étage, s’il était seul ou avec quelqu’un, etc. – bref, tout ce que l’on peut se faire dire par le concierge. Un matin, bien que je n’aie jamais donné dans les belles-lettres, l’envie me prit de démasquer l’officier, de le caricaturer dans une nouvelle. Cette nouvelle, je l’ai écrite avec délices. Non seulement je l’ai caricaturé, mais je l’ai même légèrement calomnié; d;abord, j’ai transposé son nom de telle sorte qu’on le dépistait sur-le-champ, mais par la suite, après mûre réflexion, je l’ai changé et envoyé le tout aux Annales de la Patrie*. Mais dans ce temps-là, démasquer n’était pas à la mode et ma nouvelle ne fut pas publiée. Cela me contraria vivement. Par moments, j’en étouffais presque de rage. Je me résolus finalement à provoquer mon adversaire en duel. Je rédigeai à son intention un superbe, captivant cartel où je le suppliais de présenter ses excuses; en cas de refus, je faisais assez fermement allusion au duel. La lettre était composée de telle sorte que si l’officier ne s’y était entendu qu’un petit peu en „beau” et en „sublime”, il n’aurait fait qu’un bond chez moi pour se jeter à mon cou et m’offrir son amitié. Et comme c’eût été beau! Là, nous nous serions mis à vivre! Mais alors, vivre! „Il m’aurait protégé par sa prestance; je lui aurais prodigué les bienfaits de ma grande culture et … de mes idées, et bien des choses auraient pu arriver!” Figurez-vous que acela faisait deux ans qu’il m’avait offensé et que mon défi n’était plus qu’un monstrueux anachronisme, en dépit de la très grande adresse dont je faisais preuve dans mon cartel pour expliquer et dissimuler ledit anachronisme. Mais, Dieu merci (aujourd’hui encore, j’en remercie le très –Haut, les larmes aux yeux), cette lettre, je ne l’ai pas envoyée. Quand je pense à ce qui aurait pu se produire si je l’avais fait, j’en ai la chair de poule. Et tout d’un coup… tout d’un coup, je me suis vengé de la façon la plus simple, la plus géniale! Une idée supérieurement lumineuse est venue me frapper. Il m’arrivait parfois, les jours de fête, entre trois et quatre, d’aller me promener sur le côté ensoleillé de la perspective Nevski. C’est-à-dire que je n’allais pas du tout m’y promener, mais éprouver d’incalculables souffrances, mortifications et déversements de bile; mais c’est probablement de cela que j’avais besoin. Je me faufilais comme une anguille – ce n’était pas beau à voir – entre les passants, cédant à tout moment le pas à des généraux, à des officiers de la cavalerie de la Garde, à des hussards, ou à de grandes dames; alors, à la seule pensée de la misère de mon accoutrement, de la misère et de la vulgarité de ma petite silhouette faufileuse, j’éprouvais des douleurs spasmodiques au cœur et des sueurs chaudes dans le dos. C’était un épouvantable tourment, une humiliation insupportable et continuelle, le tout provoqué par l’idée, virant à la sensation continuelle et spontanée, que j’étais une mouche aux yeux de tout ce beau monde, une infecte, une obscène mouche, plus intelligente, plus cultivée, plus noble que les autres – ça , ça va de soi – mais une mouche qui cédait continuellement le pas à ces gens qui ne savaient que l’humilier et l’offenser. Pourquoi m’offrais-je à ce tourment, pourquoi alllais-je perspective Nevski, je l’ignore, mais je m’y sentais tout simplement attiré et toutes les occasions m’étaient bonnes. Déja à cette époque, je commençais à ressentir ces bouffées de délectation dont j’ai dejà parlé au premier chapitre. Après mon aventure avec l’officier, l’attraction devint encore plus forte: c’est justement perspective Nevski que je le rencontrais le plus souvent, là que je le contemplais. Lui aussi, il cédait le pas aux généraux et aux dignitaires, et se faufilait parmi eux comme une anguille, n’empêche que les gens de mon acabit, ou même un peu plus convenables que nous autres, il leur passait tout simplement sur le corps; il marchait droit sur eux comme s’il ne voyait devant lui que le vide, il ne leur laissait jamais le passage. A le voir faire, je m’enivrais de ma rage et … je m’effaçais rageusement devant lui. A chaque fois. L’idée que même dans la rue, je ne serais jamais sur un pied d’égalité avec lui me torturait. „Pourquoi t’effaces-tu le premier? Me faisais-je à moi-même la guerre, m’éveillant sur le coup de trois heures du matin, en pleine crise de nerfs. – Pourquoi serait-ce toi et non pas lui? Il n’y a pas de loi là-dessus, ça , n’est écrit nulle part, n’est-ce pas? Mettez-y chacun du vôtre comme cela se fait d’ordinaire lorsque des gens délicats se rencontrent: il te laisse la moitié du passage et toi l’autre, et vous vous croiserez ainsi, avec des égards réciproques. „Mais ce n’est pas ainsi que cela se passait: c’était quand même moi qui m’effacais et lui, il ne le remarquait même pas. C’est alors qu’une idée vraiment stupéfiante s’empara de moi: „ Et si, me dis-je, et si je le croisais et que - que je ne m’efface pas? Que je ne m’effaçais pas exprès, quitte à le bousculer? „Cette audacieuse pensée finit par s’emparer si complètement de moi qu’elle me fit perdre tout repos. J’avais continuellement, terriblement envie que cela se produise, et je me rendais plus souvent perspective Nevski, exprès, pour mieux me représenter comment je le ferais quand je le ferais. J’étais fou de joie. Plus j’allais et plus il me semblait que mon dessein tenait debout, déjà radouci par la joie, - mais comme ça. Simplement de ne pas lui céder le pas, de lui rentrer dedans, pas trop méchamment, mais épaule contre épaule, exactement autant que l’exigent les convenances; ce qui fait que comme il me heurtera, je le heurterai. „ Enfin, ma décision fut prise, tout à fait prise. Mais les préparatifs me demandèrent beaucoup de temps. En premier lieu, lors de l’accomplissement, je devais être au mieux de ma présentation, donc me préoccuoer de mon costume. „ A tout hasard, si par exemple cela entraîne un scandale public (et du public, ici, il y en a en superflu*: la comptesse s’y promène, le prince D. aussi, et tout le monde des lettres),il faut être bien mis; cela en imposera et nous placera d’une certaine manière sur un pied d’égalité aux yeux de la haute société. A cette fin je demandai une avance sur mon traitement et m’achetai des gants noirs et un chapeau convenable chez Tchourkine. Les gants noirs faisaienet, à mon avis, plus sérieux et de meilleur ton que les gants citron sur lesquelles j’avais, d’abord, jeté mon dévolu. „ La couleur est trop criarde, on a un peu trop l’air de vouloir se faire remarquer.” Et je renonçai au citron. J’avais depuis longtemps en réserve une chemise avec des boutons de manchette en ivoire; ce qui me retarda beaucoup, c’est le manteau. Par lui-même, celui que je possédais n’était pas mal du tout, il me tenait chaud; mais était ouatiné, avec un col de raton, tout juste bon pour un larbin. Il fallait coûte que coûte changer ce col et m’en payer un en castor, un peu comme les officiers. Je m e mis à fréquenter la Galerie des Marchands, et après quelques tentatives, je finis par fixer mon dévolu sur du castor allemand qui ne revenait pas cher. Ce castor allemand qui s’use très vite et prend un air misérable, paraît quand même, au début, quand on vient de l’acheter, tout ce qu’il y a de comme il faut;moi, hein, je n’en avais besoin que pour une fois. Je m’enquis du prix: c’était quand même trop cher. Après de sérieuses réflexions, je décidai de vendre mon col en raton. La somme qui me manquait et qui, pour moi, était considérable, je décidai de l’emprunter à Antonytch Sétotchkine, mon chef de bureau, un homme doux, mais sérieux et positif qui ne prêtait d’argent à personne, mais à qui j’avais autrefois, lorsque j’étais entré dans l’administrartion, été particulixrement recommandé par la personne haut placé qui m’avait fait nommer. Je souffrais mille tourments. Demander de l’argent à Antonytch Sétotchkine me paraissait monstrueux, ignominieux. J’en restai même deux ou trois nuits sans pouvour fermer l’œil, d’ailleurs, en général, je dormais fort peu; la fièvre me tenait, mon cœur défaillait, se brouillait ou bien bondissait dans ma poitrine, bondissait, bondissait!… Antonytch Sétotchkine s’est d’abord étonné, puis il a fait la grimace, puis il a réflechi et m’a quand même prêté l’argent, non sans m’avoir demandé un billet par lequel je l’autorisais à percevoir dans quinze jours, sur mon traitement, la somme qu’il m’avait fourni à titre de prêt. C’est ainsi que je me suis enfin trouvé paré; le beau castor avait pris la place de l’immonde raton, et je me suis tout doucement mis à l’œuvre. Je ne pouvais tout de même pas me décider du premier coup, pour rien, hein? Il fallait mener l’affaire d’une main experte, justement peu à peu. Mais je dois reconnaître qu’après de nombreuses tentatives, j’en étais presque arrivé à désespérer: on ne se rentrait jamais dedans – un point c’est tout! J’avais beau me préparer, beau nourrir mes intentions – encore un peu, et on aurait dit que ça y était. Eh bien, non! Je lui avait encore cédé et il était passé sans me remarquer. J’en étais arrivé à réciter mes prières lorsque nous nous rapprochions, je demandais à Dieu de m’accorder l’esprit de décision. Une fois, je m’étais vraiment presque décidé, mais pour terminer, je me suis simplement jeté dans ses jambes, parce qu’à la toute dernière minute, à deux verchok* de lui, tout au plus, le courage m’a manqué. Il m’est passe sur le corps en toute sérénité et j’ai volé au loin, comme un ballon. Cette nuit-là, la fièvre m’a repris et j’ai déliré. Et puis crac! Tout s’est terminé on ne peut mieux. La nuit précédente, j’avais définitivement décidé de renoncer à mon funeste dessein et de tout abandonner au naufrage; je m’étais donc rendu une dernière fois perspective Nevski, à seule fin de voir comment je m’y prendrais pour tout abandonner. Soudain, à trois pas de mon ennemi, contre toute attente, je me décidai, j’ai serré les paupières et… nous nous sommes violemment heurtés de l’épaule! Je ne lui avais pas cédé d’un pouce, je l’avais croisé sur un pied de parfaite égalité! Il ne s’est même pas étonné, il a fait semblant de n’avoir rien remarqué; mais ce n’était qu’un faux-semblant, ça, j’en suis sûr. J’en suis encore sûr à ce jour. Naturellement, c’est moi qui ai le plus trinqué; il était plus fort que moi, mais ce n’était pas cela qui comptait. Ce qui comptait, c’est que j’avais atteint mon but, que ma dignité était sauve, que je ne lui avais pas cédé d’un pas et que je m’étais publiquement placé sur un pied d’égalité sociale avec lui. Je suis rentré chez moi complètement vengé. De tout. Je nageais dans la joie. Je triomphais, je chantais des airs italiens. Bien entendu, je ne vous décrirai pas ce qui m’est arrivé trois jours plus tard; si vous avez lu mon dernier chapitre, „Le souterrain”, il vous sera aisé de le deviner. Par la suite, l’officier a été nommé ailleurs; cela fait bien quatorze ans que je ne le vois plus. Qu’est ce qu’il fait à présent, mon doux ami? A qui passe-t-il sur le corps? Notes * Personnage de la Perspective de Nevski de Gogol: ayant reçu une correction, il prétendit se plaindre à ses chefs. * Revue litteraire (1839-1884) dont la section littéraire publia les œuvres des plus éminents écrivains de cette longue période à commencer par celles de Lermontov. De 1839 à 1848, Bielinski assura que la rédaction de presque toutes les pages critiques. De tendance occidentaliste et révolutionnaire, les Annales de la Patrie furent interdites par ordre du gouvernement. * Un verckok: 4,4 cm |
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