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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-07-31 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia
Tout chaud d’aimante conviction,
Quand de l’erreur enténébrée J’ai sauvé ton âme perdue Et livré à d’amers tourments, Tu as maudit les mains crispées, Le vice de ta perdition. Quand, pour livrer au châtiment Ton esprit oublieux, tu voulus Me dire le récit fidèle De tout ce qui fut avant moi, Et que ton visage ,soudain, Enfouissanat entre tes mais, En durs sanglots tu éclates De telle honte et d’horreur telle... etc. Extrait d’un poème de N.A. Nekrassov* Ia Je n’avais alors que vinght-quatre ans. Déjà à cette époque, ma vie était obscure, déréglée, farouchement solitaire. Je ne fréquentais personne, j’évitais même de parler aux gens et me terrais de plus en plus dans mon coin. A la chancellerie où je travaillais, je m’efforçais même de ne regarder personne et je me rendais parfaitement compte que, non contents de me prendre pour un original, mes collègues me considéraient – je croyais le deviner aussi – avec une sorte de répulsion. Pourquoi personne, sauf moi, ne croit-il jamais qu’on le regarde avec répulsion? me demandais-je parfois. L’un de mes collègues de bureau avait une figure affreuse, grêléee au- delà du possible, une vraie tête de brigand. Moi, il me semble, qu’avec une figure pareille, je n’aurais même pas osé regarder les gens en face. Un autre possédait une tenue tellement crasseuse qu’il en sentait mauvais. Et malgré ça, aucun de ces messieurs ne paraissait moralement gêné, l’un de son habit, l’autre de sa figure. Ni l’un ni l’autre ne s’imaginait qu’on les considérait avec répulsion; et même dans ce cas, cela leur aurait été égal, à moins que ce ne fussent leurs supérieurs qui daignent jeter les yeux sur eux. Maintenant, il me paraît tout à fait évident que c’est moi-même, qui, poussé par une incommensurable vanité, et par conséquent très exigeant envers moi-même, me suis souvent considéré avec un mécontentement et une fureur atteignant parfois à la répulsion, et qu’ainsi, j’en étais arrivé à imputer mon propre regard à tout un chacun. Par exemple, moi, je détestais ma figure, je la trouvais odieuse, je la soupçonnait même d’avoir quelque chose d’ignoble; aussi, chaque fois que j’arrivais au bureau, faisais-je des efforts terribles pour arborer un maintien des plus indépendants; je ne voulais pas qu’on puisse me soupçonner d’ignominie, je voulais conférer à ma figure un air aussi distingué que possible. ‚Tant pis si elle n’est pas belle, me disais-je, mais qu’elle soit distinguée, expressive, et surtout extraordinairement intelligente.” Mais je savais à coup sûr – le douloureux martyre! – que jamais ma figure ne refléterait toutes ces perfections. Le plus horrible, c’est que je la trouvais positivement bête. Pourtant, je me serais parfaitement contenté de l’intelligence. A tel point que j’aurais même accepté son expression d’ignominie pourvu qu’elle se trouvât cependant terriblement intelligente. Bien entendu, je détestais tous mes collègues de bureau, du premier jusqu’au dernier, je les considérais de haut, mais en même temps, il me semble que je les craignais. Il m’arrivait même de les placer au-dessus de moi. Et alors, ça avait toujours l’air d’arriver sans crier gare: tantôt je les considérais de haut, tantôt je les plaçais au-dessus de moi. Un homme évolué et honnête ne peut pas être vaniteux s’il n’est envers lui-même d’une exigence incommensurable et si, a d’autres moments, il ne pousse le mépris de soi jusqu’à la haine. Mais, que je les pace au- dessous ou en dessus de moi, je baissais les yeux devant presque tous ceux que je rencontrais. Je faisais même des expériences:supporterai-je au moins le regard d’Untel? C’était toujours moi qui baissais les yeux le premier. Cela me faisait mal, cela me rendait fou. J’avais aussi une crainte maladive du ridicule, c’est pourquoi, pour tout ce qui touchait aux apparences extérieures, j’étais l’esclave servile de la routine; je suivais amoureusement les sentiers battus, et tremblais jusqu’au fond du cœur de me découvrir la moindre excentricité. Mais comment aurais-je pu réussir? J’étais maladivement évolué, comme un homme de notre temps se doit de l’être. Eux, ils étaient tous bornés, ils se ressemblaient comme un troupeau de moutons . Peut-être étais-je le seul, de toute la chacellerie, à me considérer à tout coup comme un pleutre et un esclave; et précisément parce que j’étais évolué. Seulement, je ne faisais pas que me considérer comme un pleutre et un esclave, je l’étais vraiment. Je le dis sans la moindre gêne. De nos jours, tout honnéte homme est et doit être un pleutre et un esclave. C’est son état normal. Cela, j’en en suis profondément convaincu. C’est ainsi qu’il est fait, qu’il est agencé. Et pas seulement de nos jours, par suite de je ne sais quelles circonstances fortuites: de tout temps, un honnête homme se doit d’être un pleutre et un esclave. C’est la loi naturelle de tous les honnêtes gens de la terre. Même s’il arrive à l’un d’eux de faire le faraud un jour, il n’y a pas de quoi pavoiser: de toute faon, il fichera le camp une autre fois. Telle est l’unique, la sempiternelle issue. Seuls les ânes et leurs avortons font les farauds, et encore jusqu’à un certain mur. Inutile de nous embarrasser d’eux, en fait d’importance, c’est strictement zéro. Une autre chose me tourmentait: justement ceci, que personne ne me ressemblait et que je ne ressemblait à personne. „ C’est que moi, je suis seul, mais eux, ils sont tous”, me disais-je en me perdant en conjectures. On voit à cela que je n’étais encore qu’un gamin. Parfois la situation se renversait radicalement. C’est que, hein! Ce que ça pouvait me dégoûter parfois d’aller au bureau: au point que plusieurs fois, j’en suis rentré malade. Puis tout d’un coup, sans rime ni raison, survenait une période de scepticisme et d’indifférence (moi, tout m’arrivait par périodes), et me voilà en train de me moquer moi-même de mon intolérence et de mes airs dégoûtés, et de me reprocher mon romantisme. Tantôt, je ne veux même pas leur adresser la parole, tantôt j’en arrive à un tel point que non content de leur parler, me voilà en tarin de rechercher leur amitié. Tout d’un coup, le temps de leur dire, et pfft! Mon dégoût a disparu. Qui sait? Je n’en ai peut-être jamais éprouvé, acela n’était qu’un faux-semblant pêché dans les bouquins? Jusqu’à présent, je n’ai pas encore reussi à trancher la question. Une fois même, on est devenu tout à fait amis, j’allais les voir chez eux, on jouait à la préference¹, on buvait de la vodka, on discutait du tableau d’avancement… Mais ici, permettez-moi de faire une digression. Il n’y a jamais eu en Russie de ces romantiques supra-célestes, à l’allemande, et surtout à la française, sur lesquels rien n’a pas de prise, quand bien même la terre s’ouvrirait sous leurs pas, quand bien même la France entière périrait sur les barricades; ils restent toujours les mêmes, refusent de changer ne serait-ce qu’au nom de la pudeur, et continuent à chanter leurs chansons supra-célestes, pour ainsi dire jusqu’à leur dernier jour, parce que ce sont des imbéciles. Tandis que chez nous, sur la terre de Russie, des imbéciles, il n’y en a pas, c’est chose connue; c’est même là ce qui nous différencie des autres pays. Par conséquent, nous sommes démunis de natures supra-célestes à l’état pur. Ce sont nos publicistes et nos critiques „positifs „ d’alors qui, livrant la chasse aux Kostanjoglo* et aux vieux Piotr Ivanovich* qu’ils avaient bêtement pris pour notre idéal, ont inventé toutes ces histoires sur nos romantiques, les ont trouvés aussi suprs-célestes que ceux d’Allemagne ou de France. Au contraire, les qualités de nos romantiques sont diamétralement opposées aux supra-célestes d’Europe dont l’aune est décidément trop petite pour qu’ils puissent s’en accommoder. (Permmettez-moi, n’est ce pas, d’employer le mot de „romantique”, un petit mot ancien, respectable, méritant, et connu de tout le monde.) Nos romantiques ont la particularité de tout comprendre, de tout voir et souvent de voir incomparablement plus clair que les plus positifs de nos cerveaux; de ne transiger avec rien et personne, mais en même temps, de ne rien dédaigner; d’éviter tous les écueils, de céder devant tout, de se conduire avec tout le monde en bons politiques; de ne jamais perdre de vue quelque but utile, pratique (son joli logement de fonction, sa jolie retraite, sa jolie médaille), de veiller à cela à travers tous les enthousiasmes et ses jolis recueils de jolis vers lyriques, mais en même temps de conserver intact jusqu’à son dernier souffle, „ le beau et le sublime”, et par là même occasion se conserver soi-même dans de la ouate comme un colifichet de joaillerie, ne serait-ce , par exemple, que pour le plus grand profit du „ beau et du sublime”. Le diapason de notre romantique est large, il est le plus filou d’entre tous les filous, je vous l’assure… et même par expérience. Bien entendu, tout cela, à condition que notre romantique soit intelligent. Mais voyons, qu’est ce que je dis! Un romantique, c’est toujours intelligent! Je voulais simplement vous faire remarquer que bien que nous n’ayons eu des romantiques idiots, cela ne compte pas, cela n’a pu leur arriver que parce que, dans la fleur de leur talent, ils se sont définitivement métamorphosés en Allemands, et que pour conserver plus commodément leur colifichet de joaillerie, ils se sont installés quelque part là-bas, surtout à Weimar et dans la Forêt Noire. Moi, par exemple, je méprisais du fond de mon cœur mon travail au bureau, et si je ne crachais pas dessus, c’est uniquement par nécessite, parce que ce bureau, je l’occupais et qu’en échange, je recevais de l’argent. Quand même, résultat – remarquez-le,: - je ne crachais pas. Notre romantique deviendrait fou ( ce qui, d’ailleurs, n’arrive que très rarement), plutôt que de cracher, s’il n’a pas d’autre carrière en vue; on ne le jettera pas dehors non plus, à moins qu’on ne l’emmène à l’asile, comme tel „roi d’Espagne”*, mais seulement s’il est vraiment très fou. Cependant, il n’y a que les maigrichons et les blondinets pour devenir fous, en Russie, n’est ce pas? Une quantité incalculable de romantiques atteignent aux plus hauts grades. Quelle extraordinaire variété de registres! Et quelle aptitude aux sensations les plus contradictoires! Dans ce temps là, dejà, cela faisait ma joie. Je m’en tiens toujours à la même idée. C’est pour cela que nous sommes si riches en „natures généreuses” qui, même parvenus au dernier degré de la déchéance, ne perdent jamais leur idéal; bien sûr, cet idéal, ils ne remueraient pas le petit doigt pour lui, ce sont des bandits et des voleurs avérés , mais cependant, ils continuent à respecter leur idéal d’origine avec des larmes dans les yeux et demeurent , au fond de leur cœur, extraordinairement honnêtes. Et oui! Il n’y a que chez nous que la plus fieffée canaille conserve un cœur tout à fait, et même très noblement, honnête sans jamais cesser pour autant, d’être une canaille. Je le répète, on voit perpétuellement sortir des rangs de nos romantiques des fripouilles, parfois tellement efficaces (j’emploie le mot „fripouilles” avec amour), qui font preuve d’un tel sens des réalités et de connaissances tellement pratiques, que leur chef et le public, stupéfaits, sidérés, ne savent que claquer la langue d’admiration. Une varieté de registres vraiment admirables! Dieu sait quelle sera sa prochaine métamorphose, ce qu’elle donnera dans les conjonctures à venir, et de quoi elle augure.C’est que l’étoffe n’est pas mauvaise, hein? Et si je dis cela, ce n’est pas par patriotisme ridicule, par esprit de clocher. Au fait, vous croyez une fois de plus que je fais de l’ironie, j’en suis certain. Ou qui sait? C’est peut-être le contarire, c’est-à-dire que vous croyez que je dis vraiment ce que je pense. En tout cas, messieurs, venant de vous, ces deux opinions m’honorent et me font particulièrement plaisir. Quant à ma didression, veuillez l’excuser. Bien entendu, je ne supportais pas longtemps mes relations amicales avec mes collègues, je ne tardais pas a leur cracher dessus et, par suite d’une inexpérienxe qui était alors celle de la jeunesse, je ne les saluais même plus, comme si je voulais couper tous les ponts. D’ailleurs, cela ne m’est arrivé qu’une seule fois. En règle générale, j’étais toujours seul. Chez moi, en premier lieu, le plus souvent, je lisais. Je voulais étouffer par des sensations extérieures ce qui bouillonnait sans cesse en moi. Or, les seules sensations extérieures qui fussent à ma portée étaient celles de la lecture. Evidemment, elle m’aidait beaucoup, elle m’émouvait, m’apportait délices et tourments. Mais, par moments, elle m’embêtait à mourir. J’avais quand même envie de bouger, et vlan! Je sombrais dans la débauche, une sale petite débauche, obscure, souterraine, dégoûtante. Mon irritabilité maladive, continuelle, faisait de mes passions de quatre sous des passions violentes, brûlantes. Elles me venaient par accès histériques, avec larmes et convulsions. A part la lecture, je n’avais pas où aller, c’est-à-dire qu’il n’y avait rien, dans mon entourage, qui pût m’imposer le respect ou m’attirer. De plus l’ennui me submergeait; une soif hystérique de contradiction, de contrastes montait en moi, et alors, je me lançais dans la débauche. Et tout ce que je vous dis là, ce n’est pas du tout pour me justifier… Mais non, au fait! C’est faux! C’est justement ce que je cherche à faire. C’est pour moi que je fais cette petite remarque, messieurs. Je ne veux pas mentir. Je me le suis juré. Mes débauches se déroulaient dans la solititude, ma cachette, peureusement, salement, avec un sentiment de honte qui ne me lâchait pas dans les moments les plus abjects où il atteignait même la malédiction. Déjà à cette époque, mon âme portait en elle son souterrain. J’avais affrusement peur d’être vu, rencontré, reconnu. Les lieux que je fréquentais étaient divers et extrêmement louches. Une nuit, je passais devant un mastroquet de bas étage quand, j’aperçus, par la fenêtre éclairée, des messieurs qui se battaient à coups de queues de billard; puis je les vis jeter l’un d’eux par la fenêtre. A un autre moment, cela m’aurait profondément dégoûté; mais cette nuit-là, il se trouve que j’enviai le monsieur defenestré, à tel point que j’entrai même dans la taverne, droit dans la salle de billard: „Avec un peu de veine, me disais-je, je vais me battre aussi et moi aussi, on me jettera par la fenêtre. Je n’étais pas soûl, mais que voulez-vous que j’y fasse – l’ennui qui vous ronge vous mène parfois jusqu’à ces états d’hystérie-là. Seulement, il ne s’est rien passe. J’ai découvert que je n’étais même pas capable de sauter par la fenême, et je suis parti sans m’être empoigné avec personne. Dès le premier pas, un officier s’était chargé de me mettre à ma place. Je me tenais à côté du billard et, par ignorance, je barrais le passage. Or, l’officier avait justement besoin de passer; il m’a pris aux épaules et, sans un mot d’avertissement ou d’explication, m’a fait changer de place comme s’il n’avait même pas remarqué ma présence. Les coups , à la rigueur, je les aurais pardonnés, mais la façon dont il m’avait déplacé et si totalement ignoré, ça jamais! Bon Dieu! Ce que j’aurais donné pour une bonne, une plus juste dispute, une dispute plus convenable, plus littéraire, pour ainsi dire! On m’avait traité comme une mouche. L’officier était un colosse; moi, je suis petit et chétif. Au fait, la dispute dépendait de moi: il aurait suffi de protester pour être, à coup sûr, jeté par la fenêtre. Mais j’ai changé d’avis et… j’ai préferé partir sans demander mon reste et la rage au cœur. Je sortis de la taverne ému et troublé, je rentrai tout droit chez moi et, le lendemain, je repris ma sale petite débauche d’un air encore plus modeste, encore plus triste qu’avant, presque les larmes aux yeux – mais je la repris quand même. N’allez pas croire, cependant que j’ai lâché pied devant l’officier par lâcheté: je n’ai jamais été un lâche dans l’âme, bien qu’en fait, en réalité, j’aie toujours lâché pied, mais – attendez avant de rire – cela s’explique; je trouve toujours une explication à tout, ça vous pouvez en être sûrs. Notes * Ce poème date de 1846 et est consacré à la „femme déchue”;il fut tenu en haute estime dans le groupe de Biélinski, parmi les partisans de Pétrachevski, puis plus tard,, puis plus tard, chez les démocrates des années 60. * Jeu de cartes ressemblant au bridge et, comme lui, dérivé du whist. * Personnage de la deuxième partie: des Ames mortes de Gogol. * Vieux domestique-percepteur, héros d’Une histoire ordinaire de Gontcharov. |
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