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Notes d’un souterrain
prose [ ]
Le souterrain

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par [Fiodor_Mihailovici_Dostoievski ]

2010-05-14  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia



XI

La fin des fins, messieurs, est de ne rien faire du tout. Mieux vaut l’inaction consciente. Par conséquent, vive le souterrain ! Bien que j’aie dit que j’enviais l’homme normal jusqu’à ma dernière goutte de bile, si c’est pour vivre dans les conditions où je le vois plongé, je ne voudrais pas me trouver à sa place (ce qui ne m’empêche pas de l’envier). Non, non, mon souterrain est quand même plus avantageux. Là au moins, on peut… Eh ! mais ici aussi, je mens. Je mens parce que je sais moi-même, aussi clairement que deux fois deux, que le souterrain n’est quand même pas ce qu’il y a de mieux, qu’il y a autre chose, tout à fait autre chose, une chose que j’ai soif de découvrir mais que je n’arrive absolument pas à trouver ! Au diable le souterrain !
Et même ce qui vaudrait mieux, c’est que moi, au moins je crois à quelque chose de tout ce que je viens d’écrire. Car je vous jure, messieurs, que je ne crois pas à un seul, mais alors là, pas à un traître mot de ce que je viens de gribouiller. C’est-à-dire qu’à tout prendre, j’y crois quand même, mais en même temps, je ne sais d’où cela vient, je sens et je suspecte que je mens comme un arracheur de dents.
- Alors, pourquoi avez-vous écrit tout cela ? me dites-vous.
- Je voudrais bien vous voir rester quarante ans à ne rien faire, puis venir vous rendre visite dans votre souterrain et constater à quoi vous en êtes arrivés. A-t-on le droit de laisser pendant quarante ans les gens tout seuls et sans occupation ?
- Et vous n’avez pas honte ! Et vous ne voyez là aucune bassesse ! me direz-vous peut-être en hochant la tête et me regardant de haut. Vous avez soif de vivre, mais vous résolvez les problèmes vitaux en vous empêtrant de fausse logique. Et comme vos algarades sont importunes et insolentes ! Et, en même temps, comme vous avez peur ! Vous débitez des inepties et vous en êtes content ; vous débitez des insolences, mais vous n’arrêtez pas de trembler et de vous en excuser. Vous vous assurez que vous n’avez peur de rien, mais en même temps vous recherchez nos bonnes grâces. Vous vous assurez que vous grincez des dents, mais en même temps, vous faites de l’esprit pour nous amuser. Vous savez que vos mots ne sont pas drôles, mais vous paraissez fort satisfait de leur mérite littéraire. Il vous est peut-être vraiment arrivé de souffrir, mais vous n’avez aucun respect pour vos propres souffrances. Vous n’êtes pas sans vérité, mais vous manquez totalement de pudeur ; une misérable gloriole vous pousse à porter votre vérité sur la place publique, au marché, au pilori. … Vous avez vraiment quelque chose à dire, mais la crainte vous oblige à taire votre dernier mot parce que vous n’avez pas la hardiesse de le formuler, rien qu’une insolence de pleutre. Vous vous vantez d’être conscient, mais vous ne faites qu’hésiter parce que, bien que votre esprit travaille, votre cœur est obscurci par la débauche et qu’avec un cœur impur, adieu la conscience totale et juste ! Et que d’insistance ! Comme vous nous recherchez ! Que de grimaces ! Mensonge que tout cela ! Mensonges.
Bien entendu, ces paroles que je vous fais dire, c’est moi qui viens de les inventer. Ça aussi, c’est un produit du souterrain. Je les ai épiées par une petite fente quarante ans de suite. C’est moi qui les ai inventées, c’est tout ce que j’ai trouvé à faire. Rien d’étonnant que j’aie fini par les savoir par cœur et qu’elles aient pris une tournure littéraire…
Mais enfin, est-il possible que vous soyez assez crédules pour aller imaginer que je vais faire éditer tout cela, et vous le donner à lire, par-dessus le marché ? Et puis, il y a un autre problème : pourquoi est-ce que je vous appelle « messieurs », pourquoi est-ce que je m’adresse à vous comme à de vrais lecteurs ? Les aveux que j’entends exposer ne sont pas de ceux que l’on fait imprimer et lire aux autres. En tout cas, je n’ai pas l’âme assez ferme pour cela et ne considère pas qu’il soit nécessaire de la posséder. Mais, voyez-vous, il m’est venu une fantaisie à l’esprit et je veux à tout prix la réaliser. Voici de quoi il s’agit :
Il y a dans les souvenirs de chacun, des choses qu’il ne dévoile pas à tout le monde, mais uniquement à ses amis. Il y en a d’autres qu’il ne dévoilerait même pas à ses amis, rien qu’à lui-même, et encore sous le sceau du secret. Enfin, il en existe certains qu’il craint à se dévoiler à lui-même ; ces souvenirs-là, tout homme de bien en a une réserve rondelette. Et même, plus on est homme de bien, plus on en a. Moi, en tout cas, il n’y a pas longtemps que j’ai décidé de rappeler à ma mémoire quelques unes de mes anciennes aventures que j’avais jusqu’à présent passées sous silence, et non sans inquiétude. A présent que je les évoque et que j’ai même décidé de les coucher sur le papier, je tente l’épreuve : peut-on être absolument sincère ne serait-ce qu’avec soi-même, et ne pas craindre de faire toute la vérité ? A ce propos, je voudrais vous faire remarquer que, selon Heine, une autobiographie fidèle est presque impossible et que l’on a toutes les chances de raconter des histoires sur soi-même. D’après lui,c’est ce qu’a fait, par exemple Rousseau dans ses Confessions, et même exprès, par vanité. Je suis convaincu que Heine a raison ; je comprends parfaitement qu’on puisse, dans certains cas, par pure vanité, inventer sur son propre compte de véritables crimes, et je conçois même très bien la nature de cette vanité. Mais Heine jugeait de l’homme qui se confesse publiquement. Moi, je n’écris que pour moi-même et déclare une fois pour toutes que même si j’écris comme si je m’adressais à mes lecteurs, c’est uniquement pour la montre, parce qu’il m’est plus facile d’écrire ainsi. Ce n’est qu’une forme creuse, je n’aurai jamais de lecteurs. Cela, je l’ai déjà déclaré.
Je veux rédiger ces notes sans aucune contrainte. Je n’ai l’intention de m’embarrasser ni d’ordre ni de système. Tout ce qui me remontera à la mémoire, je l’écrirai.
Là, par exemple, vous pourriez chercher la petite bête, me dire : « Si vraiment vous ne comptez pas être lu, alors pourquoi êtes-vous en train de passer de telles conventions avec vous-mêmes, et sur le papier, par-dessus le marché, comme de dire que vous ne vous embarrasserez ni d’ordre ni de système, que vous noterez ce qui vous passera par la tête, etc. ? A quoi bon vous expliquer ? A quoi bon vous excuser ? »
Et je vous réponds :
- Eh bien, c’est comme ça !
D’ailleurs, nous sommes là devant toute une psychologie. C’est peut-être que je suis un pleutre. Ou peut-être que je fais exprès de m’imaginer un public pour me tenir plus convenablement lorsque j’écrirai. Des raisons, il peut y en avoir mille.
Mais voici encore autre chose : pourquoi, pour quel motif, en somme, est-ce que je veux écrire ? Si ce n’est pas pour un public, voyons ! ne peut-on pas se rappeler tout ça en pensée, sans le transférer sur le papier ?
C’est vrai. Mais sur le papier, ça fait plus solennel. Il y a là quelque chose d’imposant, je me jugerai mieux, mon style gagnera. De plus, peut-être que le fait d’écrire m’apportera un véritable soulagement. A l’heure actuelle, par exemple, un vieux souvenir m’accable d’un poids particulièrement lourd. Il m’est revenu très nettement il y a quelques jours, et depuis il me hante comme un air de musique qui vous tourne dans la tête sans vouloir vous lâcher. Et pourtant, il faut s’en débarrasser. Des souvenirs comme ça, j’en ai des centaines, mais par moments, il y en a un qui me revient et m’accable. Je ne sais pourquoi, je crois que si je le couche sur le papier, il me laissera tranquille. Alors pourquoi ne pas essayer ?
Et puis, enfin, je m’ennuie, et je passe mon temps à ne rien faire. Ėcrire, cela ressemble vraiment à du travail. On dit que le travail rend l’homme honnête et bon. Voici au moins une chance à tenter.
Il tombe aujourd'hui une neige molle, jaune trouble. Hier, c’était pareil, et tous ces jours derniers. Je crois que c’est à cause de cette neige fondue que je me suis rappelé cette histoire qui refuse de me laisser en paix. Alors, le sort en est jeté ! Ce sera un récit « à propos de neige fondue¹ ».



Notes
1. La critique des années 1840 observait que chez les écrivains de l’école « naturaliste », la neige fondue apparaissait comme un trait caractéristique du paysage pétersbourgeois.

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