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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-03-08 | | Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia
II
Le soir, les maisons de jeu n’ont qu’une poésie vulgaire, mais dont l’effet est assuré comme celui d’un mélodrame plein de sang. Les salles sont garnies de spectateurs et de joueurs, de vieillards ingigents qui viennent s’y réchauffer, de faces agitées, d’orgies commencées dans le vin et près de finir dans la Seine. La passion y abonde ; mais le trop grand nombre d’acteurs vous empêche de contempler face à face le démon du jeu. La soiréé est un véritable morceau d’ensemble où la troupe entière crie, où chaque instrument de l’orchestre module sa phrase… Vous verriez beaucoup de gens honorables qui viennent y chercher des distractions, et les paient comme ils paieraient le plaisir du spectacle, de la gourmandise, ou comme ils iraient dans une mansarde acheter, à bas prix, des remords pour trois mois. Mais comprenez-vous tout ce que doit avoir de délire et de vigueur dans lâme d’un homme qui attend avec impatience l’ouverture d’un tripot ?... Il existe, entre le joueur fidèle à l’heure et le joueur du soir, la différence qui distingue le mari nonchalant, de l’amant rôdant sous les fenêtres de sa belle… le matin seulement arrive la passion palpitante, le besoin dans sa franche horreur… En ce moment, vous pourrez admirer un véritable joueur, un joueur qui n’a pas mangé, dormi, vécu, pensé, tant il était rudement flagellé par le fouet de sa martigale ; tant il souffrait, travaillé par le prurit d’un coup… Alors, seulement, vous rencontrerez des yeux dont le calme effraie, des visages qui vous fascinent, des regards qui soulèvent les cartes et les dévorent. Oui, les gens prêts à se brûler la cervelle, après être venus tenter le sort une dernière fois, marchandent leurs souffrances avant le dîner ! Passé huit heures, il n’y a plus que des rages accidentelles dues à des hasards de cartes… la rouge et la noire ont gagné dix fois de suite. Aussi, les maisons de jeu ne sont-elles sublimes qu’à l’ouverture de leurs séances… Si l’Espagne a ses combats de taureaux, si Rome a eu ses gladiateurs, Paris s’enorgueillit de son Palais-Royal dont les agaçantes roulettes donnent le plaisir de voir couler le sang à flots, sans que les pieds du parterre risquent d’y glisser. Essayez de jeter un regard furtif sur cette arène… Entrez ! Quelle nudité !... Les murs, couverts d’un papier gras à hauteur d’homme, n’offrent pas une image qui puisse rafraîchir l’âme, pas même un clou pour faciliter le suicide… le parquet est toujours malpropre. Une table ronde occupe le centre de la salle ; et la simplicité des chaises de paille pressées autour de ce tapis usé par l’or, annonce une curieuse indifférence du luxe chez ces hommes qui viennent périr pour la fortune et pour le luxe. Cette antithèse humaine est établie partout où l’âme réagit puissamment sur elle-même. L’amoureux veut mettre sa maîtresse dans la soie, la revêtir d’un mœlleux cachemire, et, la plupart du temps, il la possède sur un grabat. L’ambitieux rêve de demeurer au faîte du pouvoir, en s’aplatissant dans la boue d’une révérence. Le marchand vit dans une boutique humide et malsaine, en se construisant un hôtel où il ne restera pas un an… Y a-t-il enfin, excepté la vue des cuisines et l’odeur des cabarets, chose plus déplaisante qu’une maison de plaisir ?... Singuliers problèmes !... L’homme signe son impuissance dans tous les actes de sa vie ! Il n’est jamais ni tout à fait heureux ni complètement misérable… Au moment où le jeune homme entra dans le salon, quelques joueurs s’y trouvaient déjà … Trois vieillards à têtes chauves étaient nonchalammment assis autour du tapis vert. Leurs visages de plâtre, impassibles comme ceux des diplomates, révélaient des âmes blasées, des cœurs qui, depuis longtemps avaient désappris de palpiter, en risquant même les biens paraphernaux d’une femme… Un jeune Italien, aux cheveux noirs, au teint olivâtre, était accoudé tranquillement au bout de la table, et paraissait écouter ces pressentiments secrets qui crient fatalement à un joueur : - Oui… - Non… Cette tête méridionale respirait l’or et le feu. Sept ou huit spectateurs, debout, de manière à former une galerie, attendaient les scènes que leur préparaient les coups du sort, les figures des acteurs, le mouvement de l’argent et des râteaux. Ces désœuvrés étaient là , silencieux, immobiles, attentifs, comme est le peuple de la Grève, quand le bourreau tranche une tête. Un grand homme sec, en habit râpé, tenait un registre d’une main, et, de l’autre, une épingle pour marquer les passes de la rouge ou de la noire. C’était un de ces Tantales modernes qui vivaient en marge de toutes les jouissances de leur siècle ; un de ces avares sans trésor qui jouait en idée une mise imaginaire ; espèce de fou raisonnable, se consolant de ses misères en caressant une épouvantable chimère ; agissant enfin, avec le vice et le danger, comme les jeunes prêtres avec Dieu, quand ils lui disent des messes blanches. Puis, en face de la banque, un ou deux de ces fins spéculateurs, experts des chances du jeu, semblables à d’anciens forçats qui ne s’effraient pas des galères, étaient venus là pour hasarder trois coups et remporter immédiatement le gain probable dont ils vivaient. Deux vieux garçons de salle se promenaient nonchalamment les bras croisés, regardant aux carreaux, par intervalles, comme pour montrer aux passants leurs figures, en guise d’enseigne. Le tailleur et le banquier, venaient de jeter sur les ponteurs ce regard blême qui les tue, et disaient d’une voix grêle : - Faites le jeu !... Quand le jeune homme ouvrit la porte… Alors le silence devint en quelque sorte plus profond, et les têtes se tournèrenr sur le nouveau venu par curiosité. Mais, chose inouïe, les vieillards émoussés, les employés pétrifiés, les spectateurs, et même l’Italien fanatique, tous éprouvèrent, à l’aspect de l’inconnu, je ne sais quel sentiment épouvantable. Ne faut-il pas être bien malheureux pour obtenir de la pitié, bien faible pour exciter une sympathie, ou bien sinistre pour faire frissonner les âmes dans cette salle où les douleurs doivent être muettes, la misère gaie, le désespoir décent ?... Eh bien ! il y avait de tout cela dans la sensation neuve qui remua tous ces cœurs glacés quand le jeune homme entra ; mais les bourreaux n’ont-ils pas quelquefois pleuré sur les vierges caressantes dont la Révolution leur ordonnait de couper les blondes têtes… Au premier coup d’œil les joueurs lurent sur le visage du novice quelque horrible mystère… Ses jeunes traits étaient empreints d’une grâce nébuleuse. Dans son regard, il y avait bien des efforts trahis, bien des espérances trompés ! La morne impassibilité du suicide donnait à son front une paleur mate et maladive. Un sourire amer dessinait de légers plis dans les coins de sa bouche. Il y avait sur toute sa physionomie une résignation qui faisait mal à voir. Quelque secret génie scintillait au fond de ses yeux voilés par la fatigue d’une orgie ; car la débauche marquait de son sale cachet cette noble figure, jadis pure et brillante, maintenat dégradée. Les médecins auraient peut-être attribué à des lésions au cœur ou à la poitrine, le cercle jaune qui encadrait les paupières et la rougeur dont les joues étaient marbrées. ; tandis que les poètes eussent voulu reconnaître à ces signes, les ravages de la science, les traces de nuits passées à la lueur d’une lampe studieuse. Mais une passion plus mortelle que la maladie, une maladie plus impitoyable que l’étude ou le génie, altéraient cette jeune tête, contractaient ses muscles vivaces, tordaient ce cœur sur lequel la débauche, l’étude et la maladie n’avaient que difficilement mordu. Comme, lorsqu’un célèbre criminel arrive au bagne, les condamnés l’acceuillent avec respect, ainsi, tous ces démons humains, experts en torture, saluèrent une douleur inouïe, une blessure dont ils soupçonnaient par instinct la profondeur ; et reconnurent un de leurs princes, à la majesté de sa muette ironie, à l’élégante misère de ses vêtements… Le jeune homme avait bien un frac de bon goût ; mais la jonction de son gilet et de sa cravate était trop savamment maintenue pour qu’on le supposa possesseur d’une chemise. Ses mains, jolies comme des mains de femme, étaient d’une douteuse propreté. Depuis deux jours, il ne portait plus de gants… Ce diagnostic disait tout… Si le tailleur et les garçons de salle eux-mêmes frissonnaient, c’est que les enchantements de l’innocence florissaient par vestiges dans ses formes grêles et fines, dans ses cheveux blonds et rares, naturellement bouclés… Cette figure avait encore vingt-cinq ans, et le vice paraissait y être un accident. La verte vie de la jeunesse y luttait encore avec les fatigues d’une orgie, avec les rages d’une impuissante lubricité. Les ténèbres et la lumière, le néant et l’existence s’y combattaient en produisant tout à la fois de la grâce et de l’horreur. Le jeune homme se présentait là comme un ange sans rayons, égaré dans sa route ; aussi, tous ses professeurs émérites de vice et d’infamie, semblables à une vieille femme édentée, prise de pitié à l’aspect d’une ravissante fille qui s’offre à la corruption, avaient l’aire de lui crier : - Sortez !... Il marcha droit à la table. Et, s’y tenant debout, il jeta sans calcul, sur le tapis, une pièce d’or qu’il avait dans la main ; puis, abhorrant, comme les âmes fortes, de chicanières incertitudes, il lança sur le tailleur un regard tout a la fois turbulent et calme. L’intérêt de ce coup était si puissant, que les vieillards ne firent pas de mise ; mais l’Italien saisissant avec le fanatisme de la passion une idée qui lui souriait, ponta sa masse d’or en opposition au jeu de l’inconnu. Le banquier oublia de dire ses phrases qui se sont à la longue converties en un cri rauque et inintelligible : - Faites le jeu !... - Le jeu est fait !... - Rien ne va plus… Le tailleur étala les cartes en paraiisant souhaiter bonne chance au dernier venu, indifférent qu’il était à la perte ou au gain fait par les entrepreneurs de ces sombres plaisirs. Tous les yeux, arrêtés sur les cartons fatidiques, étincelaient ; car les spectateurs voyaient un drame et la dernière scène d’une belle vie dans cette pièce d’or…Mais, malgré l’attention avec laquelle ils regardèrent alternativement le jeune homme et les cartes, ils ne purent apercevoir aucun symptôme d’émotion sur sa figure froide et résignée. - Rouge perd !......dit officiellement le tailleur. Une espèce de râle sourd sortit de la poitrine de l’Italien lorsqu’il vit tomber le paquet de billets que lui jeta le banquier. Quant au jeune homme, il ne comprit sa ruine qu’au moment où le râteau s’allongea pour ramasser son dernier napoléon. L’ivoire fit rendre un bruit sec à la pièce, qui, rapide comme une flèche, alla se réunir au tas d’or étalé devant la caisse. L’inconnu ferma les yeux doucement, ses lèvres blanchirent ; mais il releva bientôt ses paupières ; sa bouche reprit une rougeur de corail ; il affecta l’air d’un Anglais pour qui la vie n’a plus de mystères ; et disparut sans mendier une consolation par un de ces regards déchirants que les joueurs au désespoir lancent assez souvent sur la galerie taciturne dont ils sont entourés. Que d’événements se pressent dans l’espace d’une seconde, et quel abîme est donc la cervelle humaine !... - Voilà pourtant toute une destinée !... dit en sourinat le croupier, après un moment de silence, en tenant cette pièce d’or entre le pouce et l’index, et la montrant aux assistants. - C’est un cerveau brûlé qui va se jeter à l’eau !... répondit un habitué ; car tous les joueurs se connaissent. - Bah ! s’écria le garçon de bureau, en prenant une prise de tabac. - Si nous avions imité monsieur ?... dit un des vieillards à ses collègues, en désignant l’Italien ; hein ?... Tout le monde regarda l’heureux joueur dont les mains tremblaient en comptant ses billets de banque. - J’ai entendu, dit-il, une voix qui me criait dans l’oreille : le jeu aura raison contre le désespoir de ce jeune homme !... - Ce n’est pas un joueur !... reprit le banquier. Autrement il aurait fait trois coups de son argent pour se donner plus de chances !... |
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