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Notes d’un souterrain
prose [ ]
Le souterrain

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par [Fiodor_Mihailovici_Dostoievski ]

2010-03-03  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia




VI


Ah ! Si je ne faisais rien uniquement par paresse ! Mon Dieu, comme je me respecterais ! Je me respecterais, justement, parce que je serais capable d’abriter au moins de la paresse ; je posséderais au moins un attribut en apparence positif dont, moi aussi, je serais sûr. Question : qui est-il ? Réponse : un paresseux ; mais c’est que ce serait diantrement agréable à entendre ! Donc, je possède une définition positive, donc on peut dire quelque chose de moi : « Un paresseux ! » - mais voyons, c’est un titre, une mission, c’est une carrière s’il vous plaît ! Ne plaisantez pas, c’est comme cela. Je deviens membre de droit du premier de tous les clubs et m’occupe uniquement de me respecter moi-même sans désemparer. J’ai connu un monsieur pour qui la fierté de sa vie fut de s’y connaître en château-lafite. Il considérait cela positivement comme un mérite et ne douta jamais de lui-même. Il mourut la conscience mieux que tranquille : triomphante. Et il avait parfaitement raison. Moi, dans ce cas, je me serais choisi une carrière : j’aurais été un paresseux et un goinfre, mais pas un paresseux et un goinfre vulgaire : je me serais, par exemple, déclaré en accord avec tout le beau et le sublime. Qu’est-ce que vous en dites ? Moi, j’en ai longtemps rêvé. A quarante ans, je me retrouve la nuque sérieusement alourdie par ce beau et ce sublime » ; mais ça, c’est au bout de quarante ans, tandis que dans l’autre cas – ah ! dans l’autre cas, tout eût été différent. Je me serais immédiatement trouvé une activité adéquate – à savoir : j’aurais passé ma vie à boire au beau et au sublime. Toutes les occasions m’auraient été bonnes pour vider ma coupe en l’honneur du beau et du sublime, non sans y avoir, au préalable, laissé tomber une larme. Dans l’autre cas, j’aurais transformé le monde entier en beau et en sublime ; je les aurais découverts dans l’ordure la plus dégoûtante, la plus incontestée. Je serais devenu aussi larmoyant qu’une éponge mouillée. Mettons qu’un peintre exécute un tableau dans la manière de Gay¹. Je bois aussitôt à la santé dudit peintre, parce que j’aime le beau et le sublime. Un auteur écrit « Comme chacun voudra² » ; aussitôt je bois à la santé de « qui l’on voudra », parce que j’aime « le beau et le sublime ». En échange, j’exige le respect, je poursuis quiconque ne me respecte pas. Je vis paisiblement, je meurs solennellement – c’est une merveille ! Une véritable mervlle ! Et alors, je me serais laissé pousser une de ces panses ! accumuler un de ces triples mentons ! élaboré un nez si superbement lie-de-vin que le premier chien coiffé que j’aurais croisé dans la rue, aurait dit en me voyant : « Ça c’est quelqu’un ! Ça c’est du positif – et du vrai ! » Dites-en ce que vous voudrez, mais il est diantrement agréable de s’entendre apprécier ainsi en ce siècle négateur, messieurs !



Notes

1. Il s’agit probablement d’une allusion à la Cène de N. Gay (1831-1894), peintre russe d’origine française qui figura au Salon d’Automne de 1863. Le réalisme avec lequel il était traité ce sujet religieux souleva une vive polémique dans la presse. Plus tard, en 1873, Dostoïevski devait écrire dans son Journal d’un écrivain : « Ce qui ressort du tableau […] de M. Gay […], c’est le faux-semblant et les idées préconçues. Or, le faux-semblant est mensonge et n’a rien de commun avec le réalisme », Œuvres Littéraires complètes. En russe, t.XI, p.79.
2. Titre d’un article de Chtchrédrine paru dans le Contemporain (Sovrémennik), 1863, Nº7, voir Œuvres complètes. En russe, t.VI, pp.393 à 429.

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