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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-04-12 | |
DES POILS D’ÉTÉ
Le soleil fermente dans les ruelles du printemps. Un chat griffe son ombre. Ça sent l’humus et l’homme. Tous les chiens de l’angoisse échangent leur pelisse de brume pour des poils d’été. La tête des cailloux laisse briller l’espoir. Un petit vent défait le halo des migraines. La terre se décante de ses mauvaises graines. Ni guetteur ni guetté le paysage court sur les semelles du temps. La ligne d’horizon dégrafe sa braguette devant les yeux des arbres. Ça sent la paille et l’eau d’érable dans la grange aux moineaux. Les rides intérieures retrouvent leur jeunesse quand elles vont prendre l’air. Le rouge qui monte aux joues est celui des framboises. Là où l’hiver remaquille ses masques, l’été se déshabille. Le cœur quitte sa coquille et retrouve ses ailes. Chaque repli du corps se débride d’un poids, ce que les années laissent, camouflé sous les peaux. Les yeux débordent sur un fleuve d’images. Leur regard est une île aimantant l’absolu. La terre est un enfant délesté de ses langes. Il urine en chantant sur les rhododendrons. Des fourmis escaladent ses pieds comme des mots nouveaux. Un suisse dans son trou fait des bye-bye au vent. Des veines pulsent dans les arbres tirant par les racines ce qui reste d’hiver. Je retourne la vie comme on fait d’un vieux bas éparpillant au vent les leçons mal apprises. Mon loup m’appelle de ses crocs pour remettre la chair à l’os pelé du rêve. Je vivais aplati sur les photographies, je me redresse en homme des orteils aux idées pour ameuter la foule. J’ai remplacé les cartes perforées par des algues d’espoir, les boîtes vocales par des colibris, le téléphone par la plume. La mer du printemps soulève les épaves pour en faire un jardin. La chair émerge sous des montagnes de linge. Les chants d’oiseaux colmatent les brèches du silence. La sève du temps s’affole dans les horloges de bois. Le verger charge ses bourgeons pour la salve des fruits. Les yeux traversent les paupières pour rejoindre le ciel. La main dévoile ses caresses en dépliant ses doigts. Dans les odeurs qui montent, je capte par le nez les ultra sons de l’âme. J’écoute sur la peau du pointu de la langue jusqu’à l’ultime fou rire. Chaque jour est un livre oublié. Le temps corne ses pages sans apprendre à y lire. Chaque copie au propre est un nouveau brouillon. Je mords dans la vie comme dans l’or d’une pêche. Il est temps d’oublier les cris, la peur, l’horreur, les blessures et la mort. Je pars sans dire adieu afin de revenir et laisse mourir le deuil. Je reviens sans promesse mais les mains pleines de joie. Les balançoires grincent et me rappellent mes enfants. Le bonheur a leurs noms. Les oiseaux chantent mon espoir. Les cigales prient pour moi. Les yeux fixés sur l’infini, je console un caillou qui a perdu sa route. J’invente des adresses aux canards qui passent pour pouvoir leur écrire. Je vis parmi des mots, des bribes, des ratures, des notes sur un piano et des fenêtres ouvertes pour regarder les monts. On sent pousser du sol comme un désir d’aimer. Les seins durcissent en silence sous les chandails d’été. Je laisse bouder le malheur dans le fond d’une armoire. Je fais tort à la mort avec mes idées roses et mes cailloux d’enfant, ma tire d’érable et mes bijoux de famille pleins de sève nouvelle. Les lèvres bleues du lac ont déchiré la glace. Je suis le ver qui mord dans les pommes invisibles réveillant par avance le goût du cidre doux. Sur la côte à Giguère je laisse pédaler les jambes de mon ombre. Je fais des signes au train sans savoir pourquoi. J’arrête pour parler à l’orme du voisin et lui offrir mes mots. Sur ma vieille galerie, il y a toujours un suisse fidèle au rendez-vous. On échange nos noix et les dernières nouvelles. Il me raconte en poil les ragots de l’écorce. Quand je tourne les mots dans le sens opposé, je ne sais plus qui parle ou qui écoute, qui miaule ou qui jappe. Les gouttes du bonheur se boivent comme la pluie. Il suffit qu’un nuage se renverse en arrière. Est-ce le bruit du vent qui bouge dans ma voix, les pas laissés pour compte sans répondre aux questions, les traces de la nuit sur un visage défait, les pages griffonnées, les rendez-vous manqués ? Est-ce pour rejoindre mon contraire que je marche à l’envers ? Les visages qu’on croise ne s’effacent pas vraiment. La lune derrière les arbres on l’emporte avec soi. Les images qu’on garde sont comme une clef qui tourne à l’intérieur de soi. On gratte le silence avec le bruit des mots. C’est trop simple d’écrire une lettre au bonheur. On préfère se taire avec les mots d’un autre. J’écris pour soulever les pierres qui poussent dans les champs, pour répondre aux souvenirs, pour faire de l’espace dans les coffres trop pleins. C’est toujours au printemps qu’on change de sentier comme on change les heures. J’emprunte la forêt comme on emprunte un livre oublié sur la table. Voilà qu’on redécouvre un chemin vers la vie. On se refait la peau comme l’eau des rivières. On ouvre les volets à ceux qu’on ne voit pas. Le ciel sort ses jouets, ses étoiles, sa lune, sa Grande Ourse en peluche, un cerf-volant cassé accroché dans un arbre. Le temps qu’on a perdu servira pour trouver. L’insuffisance des mots fait cogner la poitrine où nous serrons la vie. On écrit, on ne sait pas pourquoi, pendant que les chiens courent, que les abeilles volent, que l’eau frappe à la porte, qu’une ombre flirte avec le vent. On repasse les mots qu’on n’a pas dit au téléphone, les lettres qu’on remet à la prochaine averse, les bouteilles à la mer qu’on jette à la poubelle. Les dessins épinglés sur le mur laissent toujours un vide quand le vent les arrache. On écrit dans ce vide pour ne pas y tomber. Le silence entre les mots est un battement de cœur. Dans l’écoutille d’un téléphone je laisse battre mon cœur. On sent que tout est loin et si proche à la fois. C’est sur la page que je parle ou les doigts sur la peau. On laisse un peu de soi partir dans les pas, sur les marches qui montent ou celles qui descendent, par les portes qui s’ouvrent ou celles qui se ferment. C’est encore en été qu’on est le plus présent, voire même ridicule à coté des vergers qui ont tant de sourires. Quand je pars en pique-nique, j’emporte dans un sac ce qui manque à ma vie. Il m’arrive de revenir plus lourd. Quand je remets à l’eau les poissons du désir, je leur ajoute un cœur ou des ailes d’oiseau. J’apprends à lire quand je regarde un arbre. J’écris à la cannelle sur des papiers tachés de mûres. J’écris du bout des doigts en tapant sur le cœur. Je fais un trou dans le ventre du vent, une poignée de main, un souffle. Les mots sont des cailloux qui flottent où il n’y a pas d’eau, des billes qui s’enrhument à la moindre pichenette, des ballons d’enfant que l’on ne retient plus. Les mots sont des outils qui réparent les rêves, des cliniques d’amour, des bagages d’espoir. Quand on regarde avec les mots, les yeux aussi ont une langue, les phrases ont une oreille. Les mots d’été s’échappent des grammaires pour rejoindre la mer. La couleur à décrire change le son des mots. Je sens monter en moi je ne sais quel vertige de vivre. Je m’appuie sur un arbre pour écrire ces mots. Ça sent la sève et l’air. Le fleuve ouvre ses jambes au sexe du soleil. D’un arbre à l’autre une mésange me fait signe. Je lui rends son salut. Mains dans les poches le temps siffle pour réveiller les heures. Où la mort fait son nid, l’oiseau de vie couve ses œufs. Je regarde en chantant les ballons de verdure répandre leurs odeurs. Ça sent la chlorophylle jusqu’au creux des racines. J’apporte mon butin au colloque des pies. Je dessine du pied des routes inconnues. Je ne cherche plus mon chemin vers une porte fermée, je prends le train en marche sans savoir où il va. 10 avril 2005 |
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