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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2008-08-24
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Le volume Bréviaire Cioran (Éditons Limes, 2007) de Gheorghe Grigurcu rassemble une série d’articles, interviews et notes publiés après 1989, destinés à présenter une image d’ensemble de la récupération morale de l’œuvre de Cioran, une reconsidération par le prisme d’une conscience libre post décembriste. Une telle démarche présente des paradoxes spécifiques. Comme l’affirme l’auteur : « Cioran est un phénomène qui déborde ses limites, une stylistique visionnaire qui le précède et lui succède dans la même mesure » (p.140). De cette façon, cette révision, historiquement contextualiée (par le simple fait de représenter une réplique, une correction faite à la vision promue par le dogmatisme communiste) présuppose le repositionnement de l’œuvre d’un essayiste-philosophe non seulement « universel » mais aussi anhistorique par excellence. En outre, il faut prendre en compte un aspect important ; quoique dépourvue dans son essence d’un axe idéologique extrémiste, l’œuvre de Cioran a été anathématisée ou revendiquée (plus ou moins abusivement) à plusieurs reprises par l’extrême droite et gauche. En sachant tout cela, l’image d’un tonneau de Diogène ( à laquelle Gheorghe Grigurcu fait référence), représentant la mansarde parisienne devient plutôt l’image d’un tonneau que Cioram a consciencieusement rempli avec de la poudre tout au long de sa vie, pour que, finalement, il ne puisse plus y rentrer lui-même. Avec ces prémisses, le résultat peut être au moins intéressant, même si la finalité du bréviaire est le désamorçage de la charge explosive et l’exposition au public.
Une thématique inévitable dans un débat sur le penseur d’origine roumaine est le rapport de celui-ci avec la religion, sujet traité abondamment dans ce volume aussi. G. Grigurcu tente une démythisation du démonisme cioranien, un encadrement clair de celui-ci dans la catégorie homo religiosus, soutenant qu’on n’a pas affaire à une exception à la règle sur la ligne Berdiaev/Eliade, mais plutôt à une façon efficiente de se compliquer l’existence, le scepticisme étant le principal attribut de « l’hérétique » révolté. Ayant comme fondement un culte du moi propre doublé d’un énorme élan vital, l’univers de l’angoissé se trouve constamment sous le signe de la dialectique entre l’équilibre et le déséquilibre. En appliquant ces lieux communs (citations et exemplifications à satiété après 1989) à la problématique du rapport au sacré, Grigurcu présente un Cioran avide de dialogue divin et prouve que même la brouille avec la divinité est après tout un dialogue, même s’il n’est pas nécessairement transcendantal. On y traite également la question de « l’antiromânisme », en faisant principalement référence au Changement de visage de la Roumanie. « Le mettre à la remorque d’une tendence politique, le blâmer au nom d’une autre seraient des erreurs incontestables, des modèles d’incompréhension, de partisanat étroit (p.14). Par cet argument, l’auteur lave tous les présupposés péchés liés au mouvement légionnaire. Cette déculpabilisation est revue en détail dans deux autres articles : « Dans quelle mesure les extrémistes ont été cioraniens » et « De Nae Ionescu et Cioran ». Une image intéressante est celle proposée dans « Caragiale et Cioran », le couple complémentaire étant associé à la paire Sancho Panza et Don Quijote : « dramatisme hilare » vs. «dramatisme idéatique et moraliste », générant une antithèse acharnée, théâtrale » (p.69). Considérant cette paire comme définitoire pour une ambivalence spécifique du românisme, G Gricurcu arrive à la conclusion suivante : « L’homme de Cioran est en bonne partie l’homme de Caragiale, abordé dans un registre grave, comme le négatif d’une photographie (p.75). Un autre rapprochement, qui apparaît isolément dans les pages du volume, parfois de façon abusive, est celle avec Blaga. D’ailleurs, tout un article, consacré à une réconciliation posthume, explique les raisons des conflits entre les deux philosophes. Digne à être mentionné est aussi l’article « Sous le signe de N. Bolboaºã », un procès calme des dénigrateurs, ayant comme support le volume Pro & contra Emil Cioran. Entre idolâtrie et pamphlet (coordonné par Marin Diaconu), collection qui réunit tous les commentaires consacrés au penseur, parus chez nous avant la Révolution. Des articles calomnieux, couvrant une palette qui passe par l’ironie bon marché, l’agressivité, la démagogie, le marxisme et le léninisme, et portant la signature d’hommes de culture plus ou moins connus : Valentin Lipatti, Radu Popescu, Al. Mirodan, Lucian Blaga, George Cãlinescu, Nichifor Crainic. Après les erreurs regrettées de jeunesse, Cioram s’est décidé pour la sortie définive de l’histoire. Pourtant, cela lui a apporté la célébrité. G. Grigurcu échoue tout aussi paradoxalement. Souhaitant nettoyer de toute affiliation l’image de l’œuvre du penseur, il s’empêtre dans des lieux communs actuels ou potentiellement futurs (certains empruntés) : « l’œuvre misanthropique de Cioran est une quintessence de l’amour pour les choses de l’esprit (p.81), « un dandy du vide » (p.143), « bouddhiste cynique » (p.151), « notre génial porte-parole » (p.169). A force de fuir l’histoire et les qualificatifs, il tombe dans l’histoire et se couvre de qualificatifs ? Si oui, le Changement de visage de la Roumanie peut aboutir à un accomplissement. Sinon, G Grigurcu nous aurait au moins rappelé une vieille leçon enseignée involontairement par Cioran: Dieu appelle rarement avec taxe inverse et d’habitude il ne dit mot. |
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