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La larme
poèmes [ ]

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par [Maurice_Scève ]

2006-11-11  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt



Larme argentine, humide et distillante
Des beaux yeux clairs, descendant coye et lente
Dessus la face, et de là dans les seins,
Lieux prohibés comme sacrés et saints.
Larme qui est une petite perle
Ronde d’en bas, d’en haut menue et grêle
En aiguisant sa queue un peu tortue
Pour démontrer qu’elle lors s’évertue
Quand par ardeur de deuil, ou de pitié
Elle nous montre en soi quelque amitié,
Car quand le cœur ne se peut décharger
Du deuil qu’il a pour le tôt soulager
Elle est contente issir hors de son centre,
Où en son lieu joie après douleur entre.
Larme qui peut ire, courroux, dédain,
Pacifier et mitiguer soudain,
Et amollir le cœur des inhumains,
Ce que ne peut faire force de mains.
Humeur piteuse, humble, douce et bénigne,
De qui le nom tant excellent et digne
Ne se devrait qu’en honneur proférer,
Vu que la mort elle peut différer,
Et prolonger le terme de la vie,
Comme l’on dit au livre d’Isaïe.
Ô liqueur sainte, ô petite larmette,
Digne qu’aux cieux – au plus haut – on te mette,
Qui l’homme à Dieu peut réconcilier,
Quand il se veut par toi humilier.
Larme qui apaise et adoucit les dieux,
Voire éblouit et baigne leurs beaux yeux
Ayant povoir encor sus plus grand-chose,
Et si ne peut la flamme en mon cœur close
Diminuer, et tant soit peu éteindre :
Et toutefois elle pourrait bien teindre
La joue blanche et vermeille de celle
Qui son vouloir jusques ici me cèle.
Ô larme épaisse ou compagne secrète
Qui sais assez comment amour me traite
Sors de mes yeux, non pas à grands pleins seaux,
Mais bien descends à gros bruyants ruisseaux,
Et tellement excite ton povoir
Que par pitié tu puisses émouvoir
Celle qui n’a commisération
De ma tant grande et longue passion.

(Blason de Maurice Scève, 1536)

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