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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2006-05-27 | |
«Rameau déchiqueté, tordu,
Lançant là depuis mainte année Au vent son chant sec et bourru, Sans plus de feuilles ni d’écorce» (Hermann Hesse, Poèmes choisis) Du mildiou plein les feuilles Du vieux saule pleureur Fierté de tout le voisinage, Sauf du proprio qui désespère De l’état de santé de l’arbre vieillot! Décision difficile à prendre Et, d’année en année, le maître des lieux Tergiverse, s’embrume et abdique : « Dois-je l’abattre et le scier? Découper ses sept branches gigantesques? » Son regard flaire déjà le grand vide, Ses yeux voient l’immense trou dans la cour Causé par la perte du grand saule Couvrant à lui seul plus de la moitié du terrain! Que faire? Dois-je? Oserai-je? Attendre. Les années s’égrènent Et le vieux saule pleure maintenant Toutes ses feuilles pleines de mildiou en début d’été. « Trop malade, ce vieil arbre. Il va infecter tous mes feuillus! » Grogne à regret le proprio. Sa décision est irrévocable. C’est aujourd’hui le jour J, La nuit des longs couteaux! Taratata! Pitif pitaf! Taratata! Bing bang! Et que le grand massacre commence! C’est à grands coups de scie mécanique, C’est à grands coups de hache, C’est à grands coups de tronçonneuse Que le vieux saule pleure ses derniers râlements. Lui, colosse et si fier géant, gît par terre démembré. Seul reste visible à un mètre du sol, L’immense souche à sept têtes. Désormais, qui se souviendra de sa majesté, De sa force et grandeur, De son ombre et lumière, De sa splendeur et beauté? Qui se rappellera encore de son existence? Vaincu, peut-être? Défait, pas tout à fait. Déraciné, ça, non jamais! Le mastodonte de jadis est rétif et résiste À sa façon et à sa manière. Ses grosses tentacules s’enfoncent profondément dans le sol Attaquent et menacent les fondations de la maison Au grand dam du proprio. « Ah ces vilaines racines rebelles me narguent encore! » Tempête le seigneur des lieux, Qui lui déclare à nouveau la guerre En empoignant pioche, hache et sécateur. Ça bûche et ça résiste encore! Ça cogne et ça regimbe toujours! Ça frappe et ça se rebiffe tout le temps! Butées et entêtées ces maudites racines Se cabrent sous l’assaut des coups répétés Du proprio fou furieux. « Elles tiennent encore! » éructe difficilement Notre bûcheron batailleur et guerroyeur Se tenant la poitrine et râlant comme un fauve Avant de s’écrouler inerte sur le gazon. Que se passe-t-il? Qu’est-ce qui est arrivé? Que voit-on? Les sauve-qui-peut de l’épouse éplorée. Qu’entend-on? Les klaxons et sirènes de l’ambulance emportant le moribond. Qu’écoute-t-on? Le diagnostic rassurant du cardiologue impassible : « Sévère infarctus, mais le patient est hors danger! » Que constate-t-on? Un branle-bas et tintamarre d’émotions, Un combat pour la vie et la mort, Une leçon de courage et lucidité. L’année s’écoule lentement Et le printemps surgit inexorablement. Au milieu de la cour, Le proprio toise du regard l’immense souche à sept têtes, Il médite de tout son saoul et en bon lettré Sur cette hydre farouchement rebelle. Il cogite de plus bel sur le vieux dicton : « Œil pour œil, dent pour dent! » Il songe et jongle à qui mieux mieux sur la destinée. Une conclusion lui perce la cervelle : « Ce vieux saule pleureur mérite de vivre. Je vois déjà des bourgeons tapissés ses sept branches! » Tant de pleurs et de grincements de dents! Tant de sueurs et d’inutiles acharnements! Tant de peurs et de stériles apitoiements! Tant de routes et déroutes! Pour en arriver à quoi? À cette vérité toute simple, À cette toute petite évidence : VIVRE ET LAISSER VIVRE! « (…) Las de cette vie surannée, Las de ne pas mourir, sans force, Inquiet en secret, mais fier. Sa voix rauque sonne, obstinée, Un été encore, un hiver. » (Hermann Hesse, Poèmes choisis) (À mon frère Jacques et Hermann Hesse, les deux sources d'inspiration de ce poème) |
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