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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2009-04-06 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
L'Honneur de souffrir
Anna de Noailles. Douleur, je vous déteste ! Ah! que je vous déteste ! Souffrance, je vous hais, je vous crains, j'ai l'horreur De votre guet sournois, de ce frisson qui reste Derrière vous, dans la chair, dans le coeur... Derrière vous, parfois vous précédant, J'ai senti cette chose inexprimable, affreuse : Une bête invisible aux minuscules dents Qui vient comme la taupe et fouille et mord et creuse Dans la belle santé confiante - pendant Que l'air est bleu, le soleil calme, l'eau si fraîche ! Ah ! «l'Honneur de souffrir» ?... Souffrance aux lèvres sèches, Souffrance laide, quoi qu'on dise, quel que soit Votre déguisement - Souffrance Foudroyante ou tenace ou les deux à la fois - Moi je vous vois comme un péché, comme une offense À l'allègre douceur de vivre, d'être sain Parmi des fruits luisants, des feuilles vertes, Des jardins faisant signe aux fenêtres ouvertes... De gais canards courent vers les bassins, Des pigeons nagent sur la ville, fous d'espace. Nager, courir, lutter avec le vent qui passe, N'est-ce donc pas mon droit puisque la vie est là Si simple en apparence... en apparence ! Faut-il être ces corps vaincus, ces esprits las, Parce qu'on vous rencontre un jour, Souffrance, Ou croire à cet Honneur de vous appartenir Et dire qu'il est grand, peut-être, de souffrir ? Grand ? Qui donc en est sûr et que m'importe ! Que m'importe le nom du mal, grand ou petit, Si je n'ai plus en moi, candide et forte, La Joie au clair visage ? Il s'est menti, Il se ment à lui-même, le poète Qui, pour vous ennoblir, vous chante... Je vous hais. Vous êtes lâche, injuste, criminelle, prête Aux pires trahisons ! Je sais Que vous serez mon ennemie infatigable Désormais... Désormais, puisqu'il ne se peut pas Que le plus tendre parc embaumé de lilas, Le plus secret chemin d'herbe folle ou de sable, Permettent de vous fuir ou de vous oublier ! Chère ignorance en petit tablier, Ignorance aux pieds nus, aux bras nus, tête nue À travers les saisons, ignorance ingénue Dont le rire tintait si haut. Mon Ignorance, Celle d'Avant, quand vous m'étiez une inconnue, Qu'en a-t-on fait, qu'en faites-vous, vieille Souffrance ? Vous pardonner cela qui me change le monde ? Je vous hais trop ! Je vous hais trop d'avoir tué Cette petite fille blonde Que je vois comme au fond d'un miroir embué... Une Autre est là , pâle, si différente ! Je ne peux pas, je ne veux pas m'habituer À vous savoir entre nous deux, toujours présente, Sinistre Carabosse à qui les jeunes fées Opposent vainement des Pouvoirs secourables ! Il était une fois... Il était une fois - pauvres voix étouffées ! Qui les ranimera, qui me rendra la voix De cette Source, fée entre toutes les fées, Où tous les maux sont guérissables ? (In Les Poèmes de Sabine Sicaud, Paris, Stock, 1958)
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