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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2008-06-05 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt I Qui a dit que j’étais stable dans ma maîtrise, noir sous l’écarlate sous l’or ? Mais qui a dit, comme le maître de la masse et du marteau, maître du dyoung-dyoung du tam-tam. Coryphée de la danse, qu’avec ma récade sculptée Je commandais les Forces rouges, mieux que les chameliers leurs dromadaires au long cours ? Ils ploient si souples, et les vents tombent et les pluies fécondes. Qui a dit qui a dit, en ce siècle de la haine et de l’atome Quand tout pouvoir est poussière toute force faiblesse, que les Sur-Grands Tremblent la nuit sur leurs silos profonds de bombes et de tombes, quand A l’horizon de la saison, je scrute dans la fièvre les tornades stériles Des violences intestines ? Mais dites qui a dit ? Flanqué du sabar au bord de l’orchestre, les yeux intègres et la bouche blanche Et pareil à l’innocent du village, je vois la vision j’entends le mode et l’instrument Mais les mots comme un troupeau de buffles confus se cognent contre mes dents Et ma voix s’ouvre dans le vide. Se taise le dernier accord, je dois repartir à zéro, tout réapprendre de cette langue Si étrangère et double, et l’affronter avec ma lance lisse me confronter avec le monstre Cette lionne-lamantin sirène-serpent dans le labyrinthe des abysses. Au bord du chœur au premier pas, au premier souffle sur les feuilles de mes reins J’ai perdu mes lèvres donné ma langue au chat, je suis brut dans le tremblement. Et tu dis mon bonheur, lorsque je pleure Martin Luther King ! II Cette nuit cette claire insomnie, je me rappelle hier et hier il y a un an. C’était lors le huitième jour, la huitième année notre circoncision La cent soixante-dix-neuvième année de notre mort-naissance à Saint-Louis. Saint-Louis Saint-Louis ! Je me souviens d’hier d’avant hier, c’était il y a un an Dans la Métropole du Centre, sur la presqu’île de proue pourfendant Droit la substance amère. Sur la voie longue large et comme une victoire Les drapeaux rouge et or les étendards d’espérance claquaient, splendides au soleil. Et sous la brise de la joie, un peuple innombrable et noir fêtait son triomphe Dans les stades de la Parole, le siège reconquis de sa prestance ancienne. C’était hier à Saint-Louis parmi la Fête, parmi les Linguères et les Signares Les jeunes femmes dromadaires, la robe ouverte sur leurs jambes longues Parmi les coiffures altières, parmi l’éclat des dents le panache des rires des boissons. Soudain Je me suis souvenu, j’ai senti lourd sur mes épaules, mon cœur, tout le plomb du passé J’ai regardé j’ai vu les robes fanées fatiguées sous le sourire des Signares des Linguères. Je vois les rires avorter, et les dents se voiler des nuages bleu noir des lèvres Je revois Martin Luther King couché, une rose rouge à la gorge Et je sens, dans la moelle de mes os déposées les voix et les larmes, Hâ, déposé le sang. De quatre cents années, quatre cents millions d’yeux deux cents millions de cœurs deux cents millions de bouches, deux cents millions de morts, Inutiles ; je sens qu’aujourd’hui, mon Peuple je sens que Quatre Avril tu es vaincu deux fois mort, quand Martin Luther King. Linguères ô Signares mes girafes belles, que m’importent vos mouchoirs et vos mousselines Vos finettes et vos fobines, que m’importent vos chants si ce n’est pour magnifier MARTIN LUTHER KING LE ROI DE LA PAIX ? Ah, brûlez vos fanaux Signares, arrachez, vous, Linguères vos perruques Rapareilles et vous militantes mes filles, que vous soyez de cendres, fermez laissez tomber vos robes Qu’on ne voie vos chevilles : toutes femmes sont nobles Qui nourrissent le peuple de leurs mains polies de leurs chants rythmés. Car craignez Dieu, mais Dieu déjà nous a frappés de sa gauche terrible L’Afrique plus durement que 1es autres, et le Sénégal que l’Afrique En mil neuf cent soixante-huit ! III C’est la troisième année c’est la troisième plaie, c’est comme jadis sur notre mère l’Egypte. L’année dernière, ah Seigneur, jamais tu ne t’étais tant fâché depuis la Grande Faim Et Martin Luther King n’était plus là , pour chanter ton écume et l’apaiser. Il y a dans le ciel des jours brefs de cendres, des jours de silence gris sur la terre. De la pointe des Almadies jusqu’aux contreforts de Fongolimbi Jusqu’à la mer en flammes de Mozambique, jusqu’au cap de Désespoir Je dis la brousse est rouge et blancs les champs, et les forêts des boîtes d’allumettes Qui craquent. Comme de grandes marées de nausées, tu as fait remonter les faims du fond de vos mémoires. Voici nos lèvres sans huile et trouées de crevasses, c’est sous l’Harmattan le poto-poto des marigots. La sève est tarie à sa source, les citernes s’étonnent, sonores Aux lèvres des bourgeons, la sève n’est pas montée pour chanter la joie pascale Mais défaillent les swi-mangas sur les fleurs les feuilles absentes, et les abeilles sont mortelles. Dieu est un tremblement de terre une tornade sèche, rugissant comme le lion d’Éthiopie au jour de sa fureur. Les volcans ont sauté au jardin de l’Eden, sur trois mille kilomètres, comme feux d’artifice aux fêtes du péché Aux fêtes de Séboïm de Sodome de Gomorrhe, 1es volcans ont brûlé les lacs Et les savanes. Et les maladies, les troupeaux ; et les hommes avec Parce que nous ne l’avons pas aidé, nous ne l’avons pas pleuré Martin Luther King. Je dis non, ce ne sont plus les kapos, le garrot le tonneau le chien et la chaux vive, Le piment pilé et le lard fondu, le sac le hamac le micmac, et les fesses au vent au feu, ce ne sont plus le nerf de bœuf la poudre au cul La castration l’amputation la crucifixion - l’on vous dépèce délicatement, vous brûle savamment à petit feu le cœur C’est la guerre postcoloniale pourrie de bubons, la pitié abolie le code d’honneur La guerre où les Sur-Grands vous napalment par parents interposés. Dans l’enfer du pétrole, ce sont deux millions et demi de cadavres humides Et pas une flamme apaisante où les consumer tous Et le Nigeria rayé de la sphère, comme la Nigritie pendant sept fois mais sept fois soixante-dix ans. Sur le Nigeria Seigneur tombe, et sur la Nigritie, la voix de Martin Luther King ! IV C’était donc le quatre Avril mil neuf cent soixante huit Un soir de printemps dans un quartier gris, un quartier malodorant de boue d’éboueurs Où jouaient au printemps les enfants dans les rues, fleurissait le printemps dans les cours sombres Jouaient le bleu murmure des ruisseaux, le chant des rossignols dans la nuit des ghettos Des cœurs. Martin Luther King les avait choisis, le motel le quartier les ordures 1es éboueurs Avec les yeux du cœur en ces jours de printemps, ces jours de passion Où la boue de la chair serait glorifiée dans la lumière du Christ. C’était le soir quand la lumière est plus claire et l’air plus doux L’avant-soir à l’heure du cœur, de ses floraisons en confidences bouche à bouche, et de l’orgue et du chant et de l’encens. Sur le balcon maintenant de vermeil, où l’air est plus limpide Martin Luther debout dit pasteur au pasteur : « Mon frère n’oublie pas de louer le Christ dans sa résurrection, et que son nom soit clair chanté ! » Et voici qu’en face, dans une maison de passe de profanation de perdition, oui dans le motel Lorraine - Ah, Lorraine, ah, Jeanne la blanche, la bleue, que nos bouches te purifient, pareilles à l’encens qui monte ! Une maison mauvaise de matous de marlous, se tient debout un homme, et à la main le fusil Remington. James Earl Ray dans son télescope regarde le Pasteur Martin Luther King regarde la mort du Christ : « Mon frère n’oublie pas de magnifier ce soir le Christ dans sa résurrection ! » Il regarde, l’envoyé de Judas, car du pauvre vous avez fait le lycaon du pauvre Il regarde dans sa lunette, ne voit que le cou tendre et noir et beau. Il hait la gorge d’or, qui bien module la flûte des anges La gorge de bronze trombone, qui tonne sur Sodome terrible et sur Adama. Martin regarde devant lui la maison en face de lui, il voit des gratte-ciel de verre de lumière Il voit des têtes blondes bouclées des têtes sombres frisées, qui fleurissent des rêves Comme des orchidées mystérieuses, et les lèvres bleues et les roses chantent en chœur comme l’orgue accordées. Le Blanc regarde, dur et précis comme l’acier. James Earl vise et fait mouche Touche Martin qui s’affaisse en avant, comme une fleur odorante. Qui tombe : « Mon frère chantez clair Son nom, que nos os exultent dans la Résurrection ! » V Cependant que s’évaporait comme l’encensoir le cœur du pasteur Et que son âme s’envolait, colombe diaphane qui monte Voilà que j’entendis, derrière mon oreille gauche, le battement lent du tam-tam. La voix me dit, et son souffle rasait ma joue : « Écris et prends ta plume, fils du Lion ». Et je vis une vision. Or c’était en belle saison, sur les montagnes du Sud comme du Fouta-Djallon Dans la douceur des tamariniers. Et sur un tertre Siégeait l’Être qui est Force, rayonnant comme un diamant noir. Sa barbe déroulait la splendeur des comètes ; et à ses pieds Sous les ombrages bleus, des ruisseaux de miel blanc, de frais parfums de paix. Alors je reconnus, autour de sa Justice sa Bonté, confondus les élus, et les Noirs et les Blancs Tous ceux pour qui Martin Luther avait prié. Confonds-les donc, Seigneur, sous tes yeux sous ta barbe blanche : Les bourgeois et les paysans paisibles, coupeurs de canne cueilleurs de coton Et les ouvriers aux mains fiévreuses, et ils font rugir les usines, et le soir ils sont soûlés d’amertume amère. Les Blancs et les Noirs, tous les fils de la même Terre Mère. Et ils chantaient à plusieurs voix, ils chantaient Hosanna ! Alléluia ! Comme au Royaume d’Enfance autrefois, quand je rêvais. Or ils chantaient l’innocence du monde, et ils dansaient la floraison Dansaient les forces que rythmait, qui rythmaient la Force des forces : la Justice accordée, qui est Beauté Bonté. Et leurs battements de pieds syncopés étaient comme une symphonie en noir et blanc Qui pressaient les fleurs écrasaient les grappes, pour les noces des âmes : Du Fils unique avec les myriades d’étoiles. Je vis donc, car je vis, Georges Washington et Phillis Wheatley, bouche de bronze bleue qui annonça la liberté - son chant l’a consumée Et Benjamin Franklin, et le marquis de La Fayette sous son panache de cristal Abraham Lincoln qui donna son sang, ainsi qu’une boisson de vie à l’Amérique Je vis Booker T. Washington le Patient, et William E.B. Dubois l’Indomptable qui s’en alla planter sa tombe en Nigritie J’entendis la voix blues de Langston Hughes, jeune comme la trompette d’Armstrong. Me retournant je vis Près de moi John F. Kennedy, plus beau que le rêve d’un peuple, et son frère Robert, une armure fine d’acier. Et je vis - que je chante ! - tous les Justes les Bons, que le Destin dans son cyclone avait couchés Et ils furent debout par la voix du poète, tels de grands arbres élancés Qui jalonnent la voie, et au milieu d’eux Martin Luther King. Je chante Malcom X, l’ange rouge de notre nuit Par les yeux d’Angela chante Georges Jackson, fulgurant comme l’Amour sans ailes ni flèches Non sans tourment. Je chante avec mon frère La Négritude debout, une main blanche dans sa main vivante Je chante l’Amérique transparente, où la lumière est polyphonie de couleurs Je chante un paradis de paix. Glossaire Lamarque (de la racine peule et sérère lam, qui suggère une idée de « pouvoir ») : maître de. Rapareille (viendrait du portugais) : petite bonne, qui servait de suivante aux Signares de la bourgeoisie. Soui-manga (famille des nectariniides) : oiseau de type colibri. Kapo (de « caporal ») : garde-chiourme (Léopold Sédar Senghor, in Ethiopiques. Revue socialiste de culture négro-africaine, n° 10, 1977. Aussi in Ethiopiques - Spécial centenaire. Contributions de Léopold Sédar Senghor à la revue 1er semestre 2006) |
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