depuis que nous nous en sommes allés
maman met chaque nuit
une de nos choses sous son oreiller.
elle ne peut pas s’endormir elle ne peut pas faire la paix
avec le jour qui s’en va avec le sommeil qui vient
si elle n’a pas sous son oreiller une blouse rouge d’Hélène
le foulard de Danielle
l’une de mes chemises.
je sais que maman soupire après nous quand nous nous en allons
je sais qu’elle pleure en cachette
serrant nos vêtements
sur sa joue, les humant
et alors mon âme devient
une grande roue à feu à même de faire fondre
tous les glaciers du monde.
nuit après nuit
maman range, soigneuse dans ses gestes
nos vêtements sous sa tête
pour être rassurée qu’on est tous bien
et que sa veille nous protège de tout fou
de tout mal de toute arme de tout démon
de toute étoile filante.
je sais qu’il y a deux semaines après le baptême de ma nièce
le baptême du petit ange de Danielle
je sais que maman lui a demandé un bonnet
et maintenant elle dort le bonnet sous son oreiller
je sais qu’elle en fera autant pour les enfants d’Hélène
pour tous ses petits fils jusqu’à ce que son oreiller
devienne de plus en plus haut.
elle s’avancera en âge elle s’avancera en soucis
elle s’avancera en prières
je sais que toutes nos choses
sont soigneusement gardées dans l’armoire
je sais que c’est grâce à cet oreiller de plus en plus haut
que je marche maintenant dans le monde
protégé de tout mal de toute arme
de tout démon.