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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2021-08-10 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
à Wilfredo Lam
Paysan frappe le sol de ta daba dans le sol il y a une hâte que la syllabe de l’évènement ne dénoue pas je me souviens de la fameuse peste il n’y avait pas eu d’étoile annoncière mais seulement la terre en un flot sans galet pétrissant d’espace un pain d’herbe et de réclusion frappe paysan frappe le premier jour des oiseaux moururent le second jour les poissons échouèrent le troisième jour les animaux sortirent des bois et faisaient aux villes une grande ceinture chaude très forte frappe le sol de ta daba il y a dans le sol la carte des transmutations et des ruses de la mort le quatrième jour la végétation se fana et tout tourna à l’aigre de l’agave à l’acacia en aigrettes en orgues végétales où le vent épineux jouait des flûtes et des odeurs tranchantes Frappe paysan frappe il naît au ciel des fenêtres qui sont me yeux giclés et dont la herse dans ma poitrine fait le rempart d’une ville qui refuse de donner la passe aux muletiers de la désespérance Famine et de toi-même houle ramas où se risque d’un salut la colère du futur frappe Colère il y a au pied de nos châteaux-de-fées pour la rencontre du sang et du paysage la salle de bal où des nains braquant leurs miroirs écoutent dans les plis de la pierre ou du sel croître le sexe du regard Paysan pour que débouche de la tête de la montagne celle que blesse le vent pour que tiédisse dans sa gorge une gorgée de cloches pour que ma vague se dévore en sa vague et nous ramène sur le sable en noyés en chair de goyaves déchirés en une main d’épure en belles algues en graine volante en bulle en souvenance en arbre précatoire soit ton geste une vague qui hurle et se reprend vers le creux de rocs aimés comme pour parfaire une île rebelle à naître il y a dans le sol demain en scrupule et la parole à charger aussi bien que le silence Paysan le vent où glissent des carènes arrête autour de mon visage la main lointaine d’un songe ton champ dans son saccage éclate debout de monstres marins que je n’ai garde d’écarter et mon geste est pur autant qu’un front d’oubli frappe paysan je suis ton fils à l’heure du soleil qui se couche le crépuscule sous ma paupière clapote vers jaune et tiède d’iguanes inassoupis mais la belle autruche courrière qui subitement naît des formes émues de la femme me fait de l’avenir les signes de l’amitié. (Aimé Césaire, « Soleil cou coupé » in Cadastres, 1961)
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