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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2020-02-24 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
Rien ne me lie à rien.
Je veux cinquante choses à la fois. Je soupire dans une angoisse où j’ai faim de chair Après je ne sais quoi – Définiment dans l’indéfini… Je dors d’un sommeil agité, et je vis dans un rêve agité De qui dort agité, rêvant à demi. On m’a fermé toutes les portes abstraites et nécessaires. On a tiré les rideaux de toutes les hypothèses que je pourrais voir au dehors. Dans la ruelle trouvée il n’y a pas le numéro de porte que l’on m’a donné. Je me suis éveillé sur cette vie sur laquelle je m’étais endormi. Même mes armées de rêve ont connu la défaite. Même mes rêves se sont sentis faux en étant rêvés. Même la vie seulement désirée me lasse – même cette vie… Je comprends à intervalles décousus ; J’écris par laps de fatigue ; Et un ennui qui s’ennuie même de l’ennui me précipite à la plage. Je ne sais quel destin ou quel futur échoit à mon angoisse sans gouvernail ; Je ne sais quelles îles de l’impossible Sud m’attendent naufragé ; Ni quelles palmeraies de littérature me donneront au moins un vers. Non, je ne sais pas, ni cela, ni autre chose, ni rien d’autre… Et, dans le fond de mon esprit, où je rêve ce que j’ai rêvé, Dans les recoins de mon âme où je me souviens sans raison (Et le passé est une brume naturelle de fausses larmes), Sur les routes et les sentiers des forêts lointaines Où j’ai supposé mon être, Fuient en déroute, ultimes restes De l’illusion finale, Mes armées de rêve, vaincues sans avoir été, Mes cohortes à former, anéanties en Dieu. À nouveau je te revois, Ville de mon enfance effroyablement perdue… Ville triste et joyeuse, à nouveau je rêve ici… Moi ? Mais suis-je, moi, le même qui a vécu ici, et ici est revenu, Est revenu encore, et encore, Est revenu encore et encore ? Ou sommes-nous tous des Moi que je fus ici ou qui furent, Une série de perles-êtres reliées par un fil-mémoire, Une série de rêves de moi de quelqu’un hors de moi ? À nouveau je te revois, Le cœur plus lointain, l’âme moins mienne. À nouveau je te revois – Lisbonne et Tage et tout – Passant inutile de toi et de moi, Étranger ici comme partout, Fortuit dans la vie comme dans l’âme, Fantôme errant dans des salles de souvenirs, Au bruit des souris et des planches qui grincent Dans le château maudit de devoir vivre… À nouveau je te revois, Ombre qui passe à travers les ombres, et brille Un instant sous une lueur funèbre inconnue, Et pénètre la nuit comme le sillage d’un bateau se perd Dans l’eau que l’on cesse d’entendre… À nouveau je te revois, Mais, ah, je ne me revois pas, moi ! Le miroir magique dans lequel je me revoyais identique s’est brisé, Et dans chaque fragment fatidique je ne vois qu’un morceau de moi – Un morceau de toi et de moi ! (Fernando Pessoa alias Alvaro de Campos, Poètes de Lisbonne, Lisbonne, Lisbon Poets & Co (Lisbon Poetes no 2), 2016, pp. 201-205)
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