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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-04-02 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
Merci. – Je voudrais vous parler. – Mais qu’on me laisse,
Avant de vous parler, vous regarder encor. Laissez que je regarde un peu cette jeunesse, Et laissez que je reconnaisse Ces képis et ces boutons d’or ! Nous vous ressemblions quand nous avions vos âges. Mais quoi ! ce Stanislas, c’est celui de mon temps ! Tes classes, vieux collège, ont les mêmes visages, Comme ton parc a des feuillages Toujours les mêmes au printemps ! Je ne comprends plus bien. Hier, j’étais cet élève ! Je crois me voir, là -bas, moi-même, au dernier rang. Je ne m’applaudis pas, - mais, pâle, je me lève, Et tout ceci me semble un rêve, Et je me regarde en pleurant. Oui, ce sont là vraiment des minutes uniques. Il me semble sentir, et c’est attendrissant, Tant à ce que je fus je vous trouve identiques, Sous chacune de vos tuniques, Battre mon cœur d’adolescent ! Ah ! Stanislas ! Je vois tout. Je me rappelle. J’entends la cloche encor nous tirer de nos draps ; Et par la longue cour où l’on bat la semelle, Je crois partir pour la chapelle, Mon petit tapis sous le bras. Le ronron glorieux du palmarès m’enivre ; Je fais le geste encor de me serrer au flanc, Avant d’aller chercher, sur l’estrade, mon livre, Le ceinturon bouclé de cuivre Où luit une S en métal blanc. Stanislas ! maîtres chers ! rires sous les portiques ! Bruits des feuillets tournés à l’étude du soir ! La Fête-Dieu ! le parc envahi de cantiques, Et les chassepots pacifiques Qu’on présentait à l’ostensoir ! Tout est resté pareil, me dit-on : les concierges, Les portes, le parloir au parquet bien frotté. Dans la chapelle, aux murs, mêmes croix, mêmes Vierges, Seulement un peu moins de cierges, Un peu plus d’électricité. Pour tous ces souvenirs, merci. Que vous dirai-je ? Vous m’avez rassuré. Sur mon âme, soudain, Les mots des envieux fondent comme de neige : Si j’ai des amis au collège, Je serai donc aimé demain ? … Je voudrais vous parler. Oui, vos maîtres s’étonnent, Je n’ai nul titre. Je le sais. Vous m’excusez ? Je n’ai que l’amitié dont vos cœurs me couronnent, Et cette gravité que donnent Quelques rêves réalisés. Monsieur de Bergerac est mort ; je le regrette. Ceux qui l’imiteraient seraient originaux. C’est la grâce, aujourd’hui, qu’à tous je vous souhaite. Voilà mon conseil de poète : Soyez des petits Cyranos. S’il fait nuit, battez-vous à tâtons contre l’ombre. Criez éperdument, lorsque c’est mal : C’est mal ! Soyez pour la beauté, soyez contre le nombre ! Rappelez vers la plage sombre Le flot chantant de l’Idéal ! L’Idéal est fidèle autant que l’Atlantique ; Il fuit pour revenir, - et voici le reflux ! Qu’une grande jeunesse ardente et poétique Se lève ! On eut l’esprit critique ; Ayez quelque chose de plus ! Ayez une âme ; ayez de l’âme ; on en réclame ! De mornes jeunes gens aux grimaces de vieux Se sont, après un temps de veulerie infâme, Aperçus que, n’avoir pas d’âme, C’est horriblement ennuyeux. Balayer cet ennui, ce sera votre tâche. Empanachez-vous donc ; ne soyez pas émus Si la blague moderne avec son rire lâche Vient vous dire que le panache À cette heure n’existe plus ! Il est vrai qu’il va mal avec notre costume, Que, devant la laideur des chapeaux londoniens, Le panache indigné s’est enfui dans la brume, En laissant sa dernière plume Au casoar des saint-cyriens. Il a fui. Mais malgré les rires pleins de baves Qui de toute beauté furent les assassins, Le panache est toujours, pour les yeux clairs et graves, Aussi distinct au front des braves Que l’auréole au front des saints. Sa forme a pu céder, mais son âme s’entête ! Le panache ! et pourquoi n’existerait-il plus ? Le front bas, quelquefois, on doute, on s’inquiète… Mais on n’a qu’à lever la tête : On le sent qui pousse dessus ! Une brise d’orgueil le soulève et l’entoure. Il prolonge en frissons chaque sursaut de cœur. On l’a dès que d’un but superbe on s’enamoure, Car il s’ajoute à la bravoure Comme à la jeunesse sa fleur. Et c’est pourquoi je vous demande du panache ! Cambrez-vous. Poitrinez. Marchez. Marquez le pas. Tout ce que vous pensez, soyez fiers qu’on le sache, Et retroussez votre moustache, Même si vous n’en avez pas ! Ne connaissez jamais la peur d’être risibles ; On peut faire sonner le talon des aïeux Même sur des trottoirs modernes et paisibles, Et les éperons invisibles Sont ceux-là qui tintent le mieux ! 3 mars 1898. (Edmond Rostand, Le Cantique de l'Aile, 1922) |
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