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■ L'hiver
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-03-31 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
À PAUL MEURICE
I « Zoin da herri hori ? » Le vieil homme fit halte. L'heure rosait au loin les croupes de basalte ; La montagne semblait courir ait golfe clair Pour mêler ses moutons aux moutons de la mer; La fougère était morte et l'herbe tremblait toute; Et, noir contre le ciel, au tournant de la route Où malgré la saison deux genêts épineux Gardaient du velours jaune entre leurs piquants bleus, L'homme, qu'enveloppait une vaste rotonde, Etait assis de l'air le plus triste du monde Sur un petit cheval à tête de mulet. « Zoin da herri hori? » demandais-je. (Quel est Ce village?) Et du doigt je montrais un village , Tout en scandant ces mots de la langue sauvage Vieille comme la roche et comme l'Océan. Mais ma voix n'avait pas le chant guipuzcoan. Le vieux Basque espagnol, sans cesser d'être triste, Toucha le bord pointu de son béret carliste, Laissa courtoisement tomber sur l'étranger Le mépris d'un regard qui semblait déroger, Et répondit... Genêts, sapins, fougère, ronce Je connaissais pourtant, d'avance, sa réponse Je savais pan quel mot trissyllabique et fier Qui mettrait tout d'un coup de la gloire dans l'air, Ce vieux pâtre hautain allait répondre, puisque Par ces chemins d'Espagne où la grâce maurisque Vit dans le geste obscur d'un porteur de fagot, J'arrivais tout exprès pour l'entendre, ce mot ! Puisqu'il avait, lui seul, rythmé ma marche ; et certe (sic) Je ne l'ignorais pas, petite route verte, Le nom du cher village assis sur tes bords frais ; Ce n'était qu'un pieux frisson que je m'offrais De me faire, en ce lieu, par cet homme, à cette heure Dire ce nom qui de tant d'ailes vous effleure ! L'enthousiasme était dans mon âme. J'avais Besoin d'entendre là ce nom que je savais, Et ce nom que pourtant j'é tais si sûr d'entendre Je l'al tendais, - j'étais tout pâle de l'attendre Et j'eus froid dans le dos et les larmes aux yeux Lorsque, rendu plus grand par l'accent de ce vieux Et par la majesté du val crépusculaire, Avec je ne sais quoi de farouche sur l'R Qui vibra comme vibre un fer de makhila, Avec sur l'I beaucoup de langueur, et sur l'A Cette sonorité gutturale et chantante Qui prolonge, élargit, et solennise, et, lente, Balance une voyelle ainsi qu'un encensoir, Le nom d'Hernani roula dans l'or du soir ! Hernani ! Hernani ! . Pâtre du pays basque, Quand le silence emplit le val comme une vasque, Tu l'entends se rider au loin du moindre bruit; Et tu peux, quand parfois tu jettes dans la nuit Le long ricanement de ton vieux cri de guerre, Suivre, comme un enfant suit jusqu'au bout sa pierre, Ton cri jusqu'aux derniers ricochets musicaux De ses échos et des échos de ses échos Mais tu ne peux pas suivre un nom qui se prolonge Dans tous les contreforts des Montagnes du songe, Qui fait chanter tous les sommets roses qu'en nous Ont laissé les premiers enthousiasmes fous; Et tu ne peux savoir qu'aux lointains de mon âme Ce nom vient d'éveiller, en innombrable gamme, Plus d'échos que jamais tu n'en déterminas Quand tu poussais, le soir, tes longs irrinzinas ! Hernani ! Je frissonne... Oh! comme il a, ce rustre, Dit ce nom sans savoir que ce nom est illustre! La Victoire pour lui n'habite pas ce nom! Est-ce que les beaux vers font pousser l'herbe? Non, Et le soc en ouvrant la terre qu'il défriche Ne peut faire jaillir un tronçon d'hémistiche! Ce nom n'est que le nom d'un pur triomphe d'art, Il n'est brodé que sur l'invisible étendard, Et rien pour ce passant grossier ne le consacre. Ah! si c'était le nom de quelque grand massacre, Si ce Basque, en piochant, faisait sous son sabot Rouler parfois - énorme et sinistre grelot - Une tête de mort au large dans un casque Et qui le fait sonner en y tournant, ce Basque Prononcerait ce nom avec respect, tout bas; Car on est fier d'un champ où le dieu des combats Vint faucher avant vous au son joyeux des fifres Et sur lequel deux Rois ont enlacé leurs chiffres Tracés en ossements d'hommes et de chevaux; Et Wagram sait qu'il est Wagram; et Roncevaux Sait qu'il est Roncevaux; Cannes sait qu'elle est Cannes; Mais, laissant se remplir de fleurs ses barbacanes, Et s'étant au soleil sur la route endormi, Hernani n'a pas su qu'il était Hernani ! Le paysan, toujours immobile, s'étonne; Sa gravité, devant mon trouble, l'abandonne; Il regarde ce fou qui tremble et s'attendrit Quand on lui dit le nom d'un village ; il sourit De tous les petits plis de son visage glabre; Puis, se renveloppant de tristesse cantabre, Droit sur sa bique blanche au vieux ventre jauni, Disparaît au tournant du chemin. Hernani ! II J'avais dit : « Puisqu'il existe Entre Irun et Tolosa Un village fier et triste Où la gloire se posa; Puisqu'en descendant vers l'Ebre On entend, près d'un roc nu, Palpiter un nom célèbre Sur un village inconnu; Puisque, étant le nom d'un drame, Et le nom d'un drame en vers, Ce nom-là me touche l'âme Comme avec des lauriers verts! Et puisque d'ailleurs les choses S'arrangent mal à ce point, Las! que les apothéoses Moi seul ne les verrai point: Puisque, ô divin porte-lyre, Je ne sais pas où je puis Aller prier pour te dire Que de ta suite j'en suis: Puisque je n'irai pas boire, Dans l'humble creux de ma main, A ces fontaines de gloire Qu'on fera couler demain... Je prendrai devant ma porte Ce chemin bleu qui conduit A ce village qui porte Ce nom qui chante et qui luit; J'irai voir, passant la Rhune , Ô vieux village hidalgo, Ton chapeau de tuile brune Empanaché par Hugo; J'irai parmi le mystère De la route et du buisson Célébrer le centenaire A ma modeste façon; Aucune voix indiscrète Ne viendra me faire un cours (L'ouvre, l'homme, et le poète) ; Le Vent fera les discours. Oh! je n'aurai pas la pompe D'un cortège officiel... Mais le coteau qui s'estompe Et les étoiles du ciel! Un peu de brise française En ce soir de Février (sic) Soufflera dans le mélèze Et dans le genévrier; Je veux, pèlerin que grise Un espoir d'être béni, Être là quand cette brise Soufflera sur Hernani! » - Et j'étais parti. J'arrive, Petite ville, et je vois Ton arrogance pensive, Ton noir profil d'autrefois! Déjà je vois apparaître Un toit fier et surplombant, Des balcons qui semblent être Dessinés par Artaban; A mesure que j'approche Je vois mieux se détacher Cette fantastique roche Qui domine ton clocher; Je t'admire! je m'attarde A t'admirer dans le soir! Et pourquoi je te regarde Tu ne peux pas le savoir. Hernani-du-Val-Bleuâtre N'a pas entendu le cor Que Hernani-du-Théâtre Fait sonner dans son décor! Tandis que ton nom s'envole Sur le grand drame français, Petite ville espagnole, Tu murmures : Je ne sais... Et tu t'endors, fière et triste, Entre Irun et Tolosa, Au fron-fron d'un guitariste, Au parfum d'un mimosa! III Oui, c'était bien ici qu'il fallait que je vinsse! Car la roue en bois plein, toujours, dans l'ombre, grince: Et tout est demeuré - choses et paysans - Comme lorsqu'il passait, et qu'il avait dix ans! Mais mon émotion, tout d'un coup, s'est accrue Je n'ose pas entrer dans la fameuse rue. Au seuil de Hernani j'hésite avec amour, Et j'en fais tout d'abord, avec respect, le tour. Je traverse un étrange et vaste jeu de paume Où travaille à cette heure un vieux cordier fantôme Qui dévide, et recule, et chante. - Un montagnard Passe. Il est sans cuirasse. Il n'a pas de poignard. Mais rien qu'à la façon dont il marche dans l'herbe, Je le reconnais bien, le jeune amant imberbe! C'est lui-même, et la nuit tu dois, ô Doña Sol, Lorsque de ton balcon il tombe sur le sol, - Sans bruit parce qu'il a ses bonnes alpargates ! - Dire pour ce bandit ton chapelet d'agates. Oh! cet homme farouche, et qui possède l'art D'enfoncer son chapeau par-dessus le foulard Qui traverse son front d'un bandage vert-pomme, Va crier : ((Je suis Jean d'Aragon! » et cet homme Va trouver trop petits pour lui des échafauds... Non! cet homme se baisse et ramasse une faux, Et jette cette faux sur son épaule, et rentre Chez lui, d'un pas qui fait de sa chaumière un antre - Et je vois s'avancer un être singulier Qui balance un bâton de bois de néflier. Et c'est le celador du village, le garde De l'alcade. Et surpris, soudain, je le regarde. Je n'en crois pas mes yeux! « Pourquoi donc, celador, Sur votre béret noir ces deux lettres en or? Que veut dire : V. H.? » Il répond avec pompe: « Villa dé Hernani. » Cet Espagnol se trompe. Oh! quand, pour te grandir encore, on t'exila, Maître, tu n'aurais eu qu'à venir vivre là ! C'eût été somptueux, formidable, - et logique. La ville était marquée à ton chiffre magique. Certes, j'aime cette 11e où ta grande ombre erra. Mais j'aperçois le roc de Santa Barbara S'ériger âprement, et je regrette presque En voyant un rocher tellement hugoesque Que lorsqu'on t'exila tu ne sois pas venu, Prince de Hernani, vivre sur ce roc nu! Je te vois, habitant, là -haut, parmi les ailes, Ô grand dessinateur de tours et de tourelles! - Cet espèce de noir donjon médiéval Que tu faisais sortir avec un ciel, un val, Et des rnachicouljs dont le créneau s'échancre, De l'élargissement d'une arabesque d'encre! Mais tu n'es pas absent, malgré que ton manoir Soit construit seulement par les vapeurs du soir! Superbe castellan d'une invisible crête, Tu restes à jamais perché sur ta conquête! Ce village orgueilleux sera toujours à toi Il n'est plus à l'Espagne, il n'est plus à son Roi; En allongeant sur lui la griffe d'un poème Tu l'as pris, ce village, à Don Carlos lui-même! Mais que dis-je? tu n'as pas attendu si tard! Enfant, tu l'avais pris, en passant, d'un regard! Si bien que Hernani, que ton oeuvre accapare, Est bien plus dans Hugo qu'il n'est dans la Navarre ! IV Je tâche de revoir l'enfant mystérieux Voyageant en Espagne, - et je ferme les yeux Et je marche à travers la bruyère sauvage, Et je rêve, en marchant, les détails du voyage. Ô joie! avoir dix ans, être fils d'un vainqueur, Savoir déjà beaucoup de Virgile par cour, Garder, n'ayant jamais été mis au collège, Autour de l'âme, encor, ce duvet qui l'allège; Et parce que d'honneurs et de gloire couvert Le général Joseph-Léopold-Sigisbert, Dont le père est un humble artisan de province, Veut voir jouer ses fils dans le palais d'un prince, Et qu'entre deux combats ce héros s'attendrit, - Se trouver brusquement en route pour Madrid, Et le front bourdonnant encor d'un bruit de bronze, Comme si l'on avait rêvé mil-huit-cent-onze, Paris, et les portraits de Napoléon Deux, Se réveiller courant des chemins hasardeux Où parfois, sur le bord d'un gouffre, au clair de lune, On rencontre un courrier qui vient de Pampelune! Je rêve les détails du voyage. Correct, Cambré contre le fond capitonné d'Utrecht Pour que sa redingote à brandebourgs l'épouse, Et pour qu'elle rabatte à la mil-huit-cent-douze Sur son buste bombé les épaulettes d'or, - Ou pour cacher qu'au fond du carrosse il s'endort, L'aide de camp marquis du Saillant accompagne La générale Hugo qui se rend en Espagne. La générale Hugo n'est pas contente. Elle a Horreur du vieux coucou que l'on rafistola Et qui penche, guimbarde aux formes fantômales, Sous des gibbosités de meubles et de malles. Cet objet à la fois gothique et Pompadour, Chaise de poste ensemble et carrosse de cour, Qui sur de grands ressorts en gondole s'agence, Par son cabriolet tient de la diligence, Et, par son grincement, du char à boufs. Des boufs Viennent d'ailleurs aider dans les chemins bourbeux Les six mules hors d'âge et tintinnabulantes Auxquelles un gaillard, prompt à les trouver lentes, Crie, en fouettant leur dos écorché jusqu'à l'os, Toutes sortes de mots qui finissent en dios. Les trois petits Hugo, d'humeur moins difficile, Se sont accommodés de ce luxe fossile; Les deux grands ont pouffé de rire en contemplant Le ventre vert et or de ce monstre roulant Dont l'ombre sur la route est apocalyptique; Et, grave, ayant déjà sa petite esthétique, Le plus petit des trois ne l'a pas trouvé laid. Ils montent tous les trois dans le cabriolet. Ils tirent les rideaux sur les anneaux de cuivre; Changent de place; ils sont heureux; tout les enivre! Car les petits enfants sont de grands voyageurs Et les endroits quittés ne gardent pas leurs cours. Ils sont heureux. Ils ont des choses dans leurs poches. Ils ouvrent tout le temps et feraient des sacoches Dans lesquelles Dieu seul sait tout ce qu'ils ont mis. On entend s'envoler parfois de tendres cris Vers ce cabriolet qui fait un bruit de cage; Et le carrosse roule... « Eugène, soyez sage! - Surtout surveille bien ton petit frère, Abel! » Et l'on voit s'empourprer le mont Jaitzquibel. Ils font tout ce chemin que je viens de refaire. Je les vois. Je peux dire : « Ils sont aux croix de pierre. Ils longent le vieux mur de granit » (il y a Maintenant sur ce mur un grand magnolia!). Je peux dire : « Ils vont être au château d'Urtubie Dont l'armure d'ardoise est sans cesse fourbie Par quelque brusque averse au flot diluvien; Ils y sont! ils le voient, comme un archer qui vie nt De laver à grande eau les mailles de sa brugne, Se sécher au soleil sur la route d'Urrugne. Ils sont au pont; ils sont... » Je rêve les détails Du voyage. Je sais devant quels vieux portails Ils se sont arrêtés, dans un certain village. Ils roulent. Maintenant le bizarre attelage A rejoint, près d'Irun, le Convoi du Trésor. Un beau général-duc tout étincelant d'or Prend le commandement de cette cavalcade Qui doit faire briller les yeux de l'embuscade; C'est parmi des plumets que l'on ressort d'Irun; D'alertes éclaireurs galopent un par un Pour voir si dans les rocs rien ne se dissimule... Clic! Clac! Déjà les fers de la première mule Ont frappé d'un sonore et quadruple oméga La route d'Oyarzun et d'Astigarraga; La bergère s'enfuit et le troupeau s'effare; Les andalous vont l'amble au son de la fanfare. Quoi ! pour Victor Hugo, des trompettes? - Déjà ? Non, mais pour le Trésor. Ce Trésor protégea Le petit voyageur pour qui tremble la Muse. Il est de ces hasards bienheureux. Dieu s'amuse. Deux mille hommes à pied! mille hommes à cheval! Et l'on serre les rangs! et dans l'ombre du val La Providence - car toujours la Providence Lorsque naît un génie est dans la confidence! - Sourit de ce Trésor qui n'est qu'un prête-nom'; Et trois mille soldats renforcés de canon, Gardent, croyant garder un coffre plein de piastres Un merveilleux enfant dont l'âme est pleine d'astres! Je rêve les détails du voyage. Un convoi Fait exprès, semble-t-il, pour l'enfant qui le voit! Chaîne héroï-comique, espagnole et française, Et dont chaque chaînon est fait d'une antithèse! On voyage en Espagne, on est gardé par des Grenadiers : ce sont des grenadiers hollandais. Napoléon, qui pense à tout malgré la guerre, Envoie un personnel tout neuf au Roi son frère De sorte qu'on peut voir un quadrille dansant D'auditeurs au Conseil d'État sur des pur-sang. Le Trésor est suivi de trois cents véhicules Remplis de voyageurs charmants ou ridicules. Élégance où parfois la loque flamboya, On dirait d'un Boilly retouché par Goya. Les jeunes colonels musqués et sans moustaches Découvrent des minois dans le fond des pataches La main tremble; l'oeil rit; la fleur tombe... Est-ce beau, Criant à Salinas, chantant à Pancorbo, Tantôt pris de fou rire et tantôt de panique, Sous cet immense ciel bleu, ce cortège unique Roulant, trottant, sifflant, luisant, flambant, piaffant, Et, parmi ce cortège unique, cet enfant! Cet enfant porte en lui deux provinces de France, Et sa Bretagne rêve, et sa Lorraine pense Et c'est en même temps un petit Parisien Qui ne perd pas la tête et qui regarde bien. Qu'il regarde ! voici Hernani ! V Les voitures Passent sous la visière énorme des toitures Dans cette rue étrange où je monte en rêvant. Ah ! c'est l'Espagne, enfin ! Je sais bien qu'au-devant De celui qui sera son poète, l'Espagne Avait mandé sa grâce à travers la montagne, Qu'elle avait détaché vers lui quelques splendeurs - Vieux clochers chambellans, moulins ambassadeurs, Chargés de l'accueillir au seuil de la Biscaye D'un peu de majesté, de morgue et d'antiquaille ! Je sais bien qu'au-devant de celui qui venait Elle avait envoyé le soleil, le genêt, Le vent du sud chantant son grand air de bravoure; Que déjà cette Reine, aux portes de Ciboure, Avait fait de sa part saluer cet Infant Par un vieux mendiant de rouge se coiffant; Mais c'est à Hernani - noir village, je t'aime! Qu'elle avait décidé de l'attendre elle-même. Et tous les murs étaient pavoisés de haillons. Depuis qu'on parcourait les âpres régions Pour la première fois le convoi faisait halte; De sorte que ce fut vraiment - et je m'exalte, Je parle seul tout haut, je ris! - ce fut ici Que la rencontre eut lieu. - Noir village, merci! Tout à l'heure, en passant, on me montrait une île. J'ai dit au batelier : « Ta barque est inutile Que peut me faire à moi sur quel bout de terrain Un Haro se rencontre avec un Mazarin? Je veux voir Hernani! C'est là qu'entre les poutres D'une rue où l'on boit le sombre vin des outres, Sous une longue bande étroite d'indigo, Se rencontra l'Espagne avec Victor Hugo! Je suis un pèlerin. Je viens pour qu'on me montre Le véritable endroit de la grande rencontre, Et non pas je ne sais quelle île des Faisans! Le siècle, cette année, a de nouveau deux ans. Ô rapide frisson des âmes enfantines! Aussitôt qu'il eut vu, l'enfant des Feuillantines, L'orgueil silencieux qui ronge ces maisons Et leur sort sur la face en énormes blasons; Ces fers forgés; ces bois sculptés; ces hommes pâles Qui sur de pauvres seuils se drapent dans des châles; Les caprices pointus de ce pavé grimpant Sous le balcon qui bombe et la loque qui pend Aussitôt qu'il eut vu ce clocher à grillage Où les cloches ont l'air d'oiseaux de bronze en cage. Aussitôt que, passant la poterne, il eut vu Les longs veloutements de ce vallon perdu Ces chênes bas taillés d'une façon si drôle Qu'ils ont la grosse tête à perruque du saule; Ces fermes rabattant sur leurs murs des volets D'où le piment retombe en doubles chapelets; Ces gazons où toujours quelque poulain se vautre; Ces toits dont un côté descend plus bas que l'autre; Aussitôt qu'il eut vu marcher dans les sentiers Des joueurs de pelote et des contrebandiers; Sous les arbres trapus tout enthyrsés de lierres Rire, des muletiers avec des sandalières; Des filles aux pieds nus, de leurs orteils vibrants, Caresser à rebrousse-écume les torrents Des prêtres bruns mêler des ombres de soutanes Aux troncs décortiqués et pâles des platanes; Des mules trois par trois traîner ces grands berceaux Dont la toile au soleil tremble sur deux arceaux La broussaille dresser son piège qui chuchote; Les moulins avoir l'air d'attendre Don Quichotte; Et les maïs bouger leur barbe et leurs plumets; Et les feux s'allumer soudain sur les sommets; Et le linge sécher à travers les campagnes, Il fut plus Espagnol que toutes les Espagnes! Il a reçu le coup de soleil, c'est fini. Quand sa mère aura peur - plus loin que Hernani Il rira. - Le buisson où s'embusque la haine Elle le connaît trop, la maman Vendéenne! Elle dit à son fils : « Rentrez la tête un peu! » Mais une vitre éclate! On vient de faire feu! « C'est gentil, l'ennemi qui m'envoie une bille ! » Dit l'enfant. Car ce brave aux longs cheveux de Fille Est déjà tellement du pays où l'on est Qu'il a mis du panache à son petit bonnet. VI Ô mystère charmant et profond de l'enfance! Quoi! cet être joyeux d'enfreindre une défense, Qui rit, qui parle seul, qui joue, et qui soudain Semble pris pour ses jeux d'un immense dédain, Et rêve, dédaignant l'image ou la praline, Dans le plus sombre coin de la vieille berline; Qui montrait tout à l'heure un golfe avec son doigt En demandant, « Quel est ce gros saphir qu'on voit ? » Ce garçonnet ravi d'abîmer son costume, C'est Celui qui mettra son siècle sur l'enclume, Qui pendant si longtemps sera terrible et seul, Et qui pratiquera si bien l'Art d'être Aïeul Que, pâles apprentis sortant tous de ses forges, Les poètes seront ses innombrables Georges ! Quoi ! cet enfant, c'est lui par qui nous apprenons Que tous ces voyageurs croyaient avoir des noms, Et c'est lui l'éternel parmi ces éphémères ! Quoi! c'est le grand Hugo, ce petit Victor! Mères, Qu'il y ait du respect parfois dans la douceur Du baiser mis au front de votre enfant rêveur Que vos lèvres, parfois, en écartant des boucles Aient peur de se brûler à quelques escarboucles Frissonnez au milieu d'un rire; effrayez-vous De prendre l'avenir, ainsi, sur vos genoux Et dites-vous, avec une ivresse inquiète, Lorsque vous saisissez une petite tête Pour essayer de voir au fond des yeux gamins, Qui, vous tenez peut-être un monde entre vos mains Sait-on à quel moment au juste le dieu passe ? Songez à la minute émouvante de grâce Où, dans la vieille rue, au son d'un fandango Que rythme un claquement de fouet, Madame Hugo Sort du carrosse vert dont l'attelage souffle, Et, prenant dans ses bras l'enfant qu'elle emmitoufle, Distraite, d'une voix qui sommeille à demi, Lui dit légèrement: « Tu vois, c'est Hernani. » Aucun éclair n'a lui dans la ruelle noire; Nul n'a senti tomber cette graine de gloire; Et lui-même l'enfant n'est pas resté songeur. On se bouscule, on crie, on jure; un voyageur Chante... Et le germe obscur descend au fond de l'âme. « C'est Hernani, tu vois », a murmuré Madame La générale Hugo, d'une distraite voix. Et l'enfant regardait. « C'est Hernani, tu vois », Dit cette mère. Et tout, pendant cette minute, Tout; Don Ruy, Don Carlos, le grand vers dont la flûte Soupire, le bandit, l'amour, le collier d'or, La bataille de mi]-huit-cent-trente, le cor, Mademoiselle Mars, la salle qui trépide, Tout, le lion superbe et le vieillard stupide, Oui, tout fut, au-dessus de ce village fier, Pendant cette minute, en puissance, dans l'air! Cette minute-là fut grosse du chef-d'oeuvre. - Et, faisant de son fouet zigzaguer la couleuvre, Un jeune postillon, sur un seuil, étalait Le rouge fatidique et vif de son gilet. Le Rêve dans l'esprit des grands amants du Verbe Abonde avec amour autour d'un nom superbe Il suspend, en secret, son cristal doux et lent Au nom qui s'alourdit d'un poids étincelant; Et quand, plus tard, cherchant dans cette ombre où tout reste, Hugo retirera de son cour, d'un seul geste, Le nom qui s'y enfonce en tremblant aujourd'hui, Ce nom ramènera tout un drame avec lui! VII ... Mais la nuit m'a surpris près d'un portail de pierre Alors je me souviens qu'il aimait la prière Qu'il a divinement murmuré : « Va prier... » Je songe que le soir du vingt-six Février, Hernani, ton église est bien selon mon âme, Puisque je ne peux pas aller à Notre-Dame ! Et je laisse la vieille en noir qui tient les clés M'ouvrir. Saint-Sébastien a les cheveux bouclés; Le large autel doré luit de toutes ses forces Et l'on voit des raisins sur les colonnes torses. Cette église serait sûrement de son goût. Et comme dans son ouvre énorme on trouve tout, J'y prends quelques beaux vers comme on choisit des cierges, Et je les fais brûler doucement. Et les Vierges - Fronts de cire entrevus à travers des carreaux Sont celles justement qu'invoquent ses héros; Et je t'ai demandé, Petit Roi de Galice, Comment il faut prier pour que Dieu s'attendrisse ! Et je sors tout ému sous le ciel toujours beau Et je marche en disant : « Maître, Génie, Hugo... Souris, Père d'un siècle, aux humbles fils d'une heure ! Que quelque chose, en nous, de ce grand jour, demeure! Donne-nous le courage et donne-nous la foi Qu' il nous faut pour oser travailler après toi... » Et les mots se pressaient sans ordre sur ma lèvre, Car depuis le matin je cultivais ma fièvre. « ... Fais que nous nous levions la nuit pour travailler, Que nous ne dormions plus à , cause du laurier; Et détache ta main, un instant, de ta tempe, Pour bénir notre front, notre cour, notre lampe. » Des paysans passaient. - « Persuade-nous bien Que le travail est tout, que nous ne sommes rien... Un chant montait, de ceux que plusieurs voix reprennent. « ... et dis-nous de chanter pour que tous nous comprennent! » Ainsi parlait la voix de mon âme à genoux. Le soir d'Espagne était merveilleusement doux. Mais il fallait partir, car l'ombre enveloppante Venait; je reprenais la vieille rue en pente Qui serre tellement le ciel entre ses toits Que l'on ne voit jamais qu'une étoile à la fois; Je murmurais : « Faut-il qu'un pareil jour s'achève ? » Je sortais de Hugo comme l'on sert d'un rêve; Et j'ai redescendu la rue; et lorsque j'ai Passé sous le dernier balcon de fer forgé, Un homme, d'une voix orgueilleuse et bourrue, M'a dit: « Señor, c'est là - dans cette vieille rue - Que naquit Urbuta, le brave à qui le Roi François Premier rendit son épée ! » Alors, moi J'ai dit : « C'est là qu'est né - dans cette rue ancienne - Le drame auquel le Cid pourrait rendre la sienne. » Hernani, 26 février 1902. |
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