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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-01-03 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
Enfant, pâle embryon, toi qui dors dans les eaux
Comme un petit dieu mort dans un cercueil de verre. Tu goûtes maintenant l'existence légère Du poisson qui somnole au-dessous des roseaux. Tu vis comme la plante, et ton inconscience Est un lis entr'ouvert qui n'a que sa candeur Et qui ne sait pas même à quelle profondeur Dans le sein de la terre il puise sa substance. Douce fleur sans abeille et sans rosée au front, Ma sève te parcourt et te prête son âme ; Cependant l'étendue avare te réclame Et te fait tressaillir dans mon petit giron. Tu ne sais pas combien ta chair a mis de fibres Dans le sol maternel et jeune de ma chair Et jamais ton regard que je pressens si clair N'apprendra ce mystère innocent dans les livres. Qui peut dire comment je te serre de près ? Tu m'appartiens ainsi que l'aurore à la plaine, Autour de toi ma vie est une chaude laine Où tes membres frileux poussent dans le secret. Je suis autour de toi comme l'amande verte Qui ferme son écrin sur l'amandon laiteux, Comme la cosse molle aux replis cotonneux Dont la graine enfantine et soyeuse est couverte. La larme qui me monte aux yeux, tu la connais, Elle a le goût profond de mon sang sur tes lèvres, Tu sais quelles ferveurs, quelles brûlantes fièvres Déchaînent dans ma veine un torrent acharné. Je vois tes bras monter jusqu'à ma nuit obscure Comme pour caresser ce que j'ai d'ignoré, Ce point si douloureux où l'être resserré Sent qu'il est étranger à toute la nature. Écoute, maintenant que tu m'entends encor, Imprime dans mon sein ta bouche puérile, Réponds à mon amour avec ta chair docile Quel autre enlacement me paraîtra plus fort ? Les jours que je vivrai isolée et sans flamme, Quand tu seras un homme et moins vivant pour moi, Je reverrai les temps où j'étais avec toi, Lorsque nous étions deux à jouer dans mon âme. Car nous jouons parfois. Je te donne mon coeur Comme un joyau vibrant qui contient des chimères, Je te donne mes yeux où des images claires Rament languissamment sur un lac de fraîcheur. Ce sont des cygnes d'or qui semblent des navires, Des nymphes de la nuit qui se posent sur l'eau. La lune sur leur front incline son chapeau Et ce n'est que pour toi qu'elles ont des sourires. Aussi, quand tu feras plus tard tes premiers pas, La rose, le soleil, l'arbre, la tourterelle, Auront pour le regard de ta grâce nouvelle Des gestes familiers que tu reconnaîtras. Mais tu ne sauras plus sur quelles blondes rives De gros poissons d'argent t'apportaient des anneaux Ni sur quelle prairie intime des agneaux Faisaient bondir l'ardeur de leurs pattes naïves. Car jamais plus mon coeur qui parle avec le tien Cette langue muette et chaude des pensées Ne pourra renouer l'étreinte délacée : L'aurore ne sait pas de quelle ombre elle vient. Non, tu ne sauras pas quelle Vénus candide Déposa dans ton sang la flamme du baiser, L'angoisse du mystère où l'art va se briser, Et ce goût de nourrir un désespoir timide. Tu ne sauras plus rien de moi, le jour fatal Où tu t'élanceras dans l'existence rude, Ô mon petit miroir qui vois ma solitude Se pencher anxieuse au bord de ton cristal. (Cécile Sauvage, L’âme en bourgeon, 1908)
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