27 avril

Je ressens le besoin de baragouiner, pour moi seul, le poème On a du temps, de Lettres imaginaires...

On a du temps pour tout. Pour dormir,
pour courir à droite et à gauche,
pour regretter nos erreurs et en faire d’autres,
pour juger les autres et nous pardonner nous-mêmes,
on a du temps pour lire et écrire,
corriger ce qu’on a écrit et regretter ce qu’on a écrit,
on a du temps pour des projets et pour ne pas les respecter,
on a du temps pour nous faire des illusions,
afin de fouiller dans leurs cendres plus tard.
On a du temps pour les ambitions et les maladies,
pour culpabiliser le destin et les détails,
on a du temps pour regarder les nuages,
les réclames ou un je-ne-sais-quel accident,
on a du temps pour chasser les questions,
et ajourner les réponses,
on a du temps pour briser un rêve et ensuite le réinventer,
on a du temps pour nous faire des amis, après quoi, les perdre,
on a du temps pour recevoir de bonnes leçons, ensuite, les oublier,
on a du temps pour recevoir des cadeaux et ne pas les comprendre.
On a du temps pour tout.
Mais seulement pour un peu de tendresse, on n’en a pas.
Et quand on arrive en avoir, on meurt.

Oui, on a du temps pour beaucoup de choses, y compris être quelqu'un d’autre que celui que j’ai voulu être. J’ai eu le temps d’être égoïste et superficiel, j’ai eu du temps pour faire de mes regrets une maladie incurable. J’ai eu du temps pour découvrir que le monde où j’existe n’est pas celui où j’aurais désiré vivre sans être certain qu’un monde, quel qu’il soit, aurait été compatible au mien.

Aujourd'hui, je n’ai plus de temps que pour essayer d’assumer la vieillesse et les maladies, comme m’incite Madame G, mais je ne sais pas si je suis suffisamment préparé pour ça.


28 avril

Beaucoup de monde se trouve maintenant à la mer ou à la montagne. Les rues sont presque désertes, à la merci des chiens errants. On dirait que je suis seul dans une barque, sur un lac inconnu et les courants me portent de plus en plus loin du rivage. Même si je criais au secours, personne ne m’entendrait. Je préfère, donc, me taire et m’imaginer que je glisse à travers un rêve. Vers quoi? Aucune idée. L’important c’est de ne pas bouger, pour éviter les douleurs à la jambe droite.
Je transcris ici de Maeterlick : si les cimetières n’existaient pas, les morts n’existeraient pas non plus.

Je songe aux livres que je n’arriverai pas à relire. Parfois, une phrase est assez pour que j’oublie le mesquin que je suis. Comme celle-ci de Saint Augustin :
Le temps est une imitation de l’éternité.

Ce que le temps ne peut égaler par sa permanence, dit Bossuet, il se donne la peine d’imiter par la succession.
Je porte avec moi, lorsque je suis réveillé, un petit enfer. Le souvenir des années où je ne me souciais guère du temps qui passait. Mais, peut-être, pour dire toute la vérité, c’est impossible.


29 avril (Dimanche)

N’importe quels mots j’emploierais pour exprimer le désert de mes dimanches, je les utiliserais bien mal.





*traduit du volume Convorbiri cu Octavian Paler, de Daniel Cristea-Enache