Tu m’as montré les limites d’un être vivant. A côté de toi, j’ai vécu l’amour le plus rempli et le plus pur de ma vie. Il suffit de te regarder et des morceaux de moi glissent pour re-créer le monde. Tu es beau, tu es normal, tu es plein de vie, tu es désordonné, comode, tranquille ; tu es profond, tu sais écouter. Tu peux pleurer et tu n’as pas honte en le montrant. Tu reconnais tes fautes, tu es raisonnable et équilibré. Tu as du charme, quand tu souris, tout le monde sourit. Tu sais te promener calmement et regarder les bâtiments, tu sais faire des câlins et demander des bisous. Tu sais t’habiller et tu m’as habillée, tu es propre et tu m’as lavé les mains. Tu es beau sous la douche et quand tu dors. Tu parais faible de temps en temps et dominateur quand tu es assis à la table. Tes cheveux sont âpres et ta peau fine ; tes pieds ont le goût de la mer. Tu sais aimer profondément, aveuglement, mais quand tu changes d’avis, c’est à jamais. Tu sais faire l’amour ; tu sais ouvrir et promener tes doigts. Tu bouges comme tu danses, tu glisses comme un rêve. As-tu jamais été le mien ?
Oui. Parce que je te porte en moi. Tes lignes, tes réactions, tes tics verbaux ou physiques, tes habitudes, tes paroles, tes gestes. Je ne suis plus moi-même. Ta senteur, ton goût ; ton poids, le son de ta voix, je les garde en moi. J’ai changé sous tes mains comme la terre molle dans les mains adroites d’un sculpteur aveugle. Seulement en te regardant, en étant à côté de toi j’ai nettoyé mes lignes et mon passé. Je suis devenue ta création, malheureusement imparfaite. Mais c’est ça qui m’est resté, après l’oubli. Tu m’as appris la stabilité. Voilà, je te la rends. C’est ma stabilité à moi, obsessive et cruelle, qui fait souffrir, qui accable et tue. La terre a séché et la statue a pris la forme que tu lui as donnée. Ta statue est restée au bord de la rivière, viens l’emporter ! Ton passé s’y retrouve.
Créateur, tu m’as oubliée seule dans le Paradis ! Donne – moi une pomme de quoi me nourrir pour m'évader d’ici, fais – moi un signe ! Tiens mes côtes, crée qui tu veux , mais touche-moi encore une fois ! Envoie-moi tes serpents et tes archanges avec leurs épées en flamme pour que je leur dise : il n’y a pas plus grand amour ! Laissez-moi le voir, laissez-moi le toucher ! Sinon, tuez-moi ! Je ne peux pas le faire toute seule ! Je ne peux pas détruire ce qu’il a créé, je n’ai pas ce droit ! Envoie-moi tes bataillons d’anges et tes serpents, tes orages et tes oiseaux, tes nuages poudreux, tes foudres et tes coups de tonnerre pour que je sache que tu existes encore!
Je suis ici.
Je t’attends.