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Poesie et mathematiques
essai [ ]
en lisant Ion Barbu ou '1+1=2'

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [triton ]

2007-09-17  |     | 



Peut-être est-ce une conséquence perverse du système scolaire, qui sépare et cloisonne d’une manière caricaturale, les études littéraires et les études scientifiques ? Il est en effet fréquent d’opposer la fraîche spontanéité de la création poétique et la rigueur, froide et méthodique, de la démonstration mathématique ; or je sais des poètes dont la poésie découle – en partie - de leur études mathématiques et dont le rapport aux mots reproduit celui que les mathématiciens nouent avec les objets abstraits des mathématiques pures.
Pour ma part, je ne sais pas si j’aurais jamais été capable de comprendre certains développements de la Poésie moderne sans l’apport de mes études scientifiques, qui m’ont incité à affiner et à définir plus clairement les notions de catégories et de concepts, qu’on retrouve dans la linguistique et donc au cœur même de l’écriture poétique, puisqu’elle est d’abord une interrogation sur notre rapport au monde via et par-delà le langage.
Ayant ouvert fortuitement, dans la bibliothèque de mon épouse, un recueil des poèmes et essais de Ion Barbu, j'ai découvert un auteur roumain qui cristallisait, plus que tout autre que je connaisse, les similitudes, les poussant parfois dans son oeuvre jusqu'à l'identification, entre Poésie et Mathématiques.


1. Le réel absolu
Nous savons que le monde ne se réduit pas à ce que nous en savons : les concepts définissent un monde re-construit et réduit à l’échelle de ce que permettent nos capacités cognitives. Il n’est pourtant pas si simple d’effectuer l’expérience de ce vertige, d’approcher les limites où le sol se dérobe et dévoile le gouffre autour de nous. Chercher ce seuil est chercher un Graal semblable à celui que les mystiques convoitent dans la contemplation et le reniement, pour la dépasser, de leur condition humaine. Même un ciel étoilé, contemplé depuis le sommet d’une montagne ou sur la mer bruissante, ne dévoile rien de son immensité et de la profondeur infinie de son néant : il faut faire l’effort intellectuel de se représenter les dimensions et les éons qui nous séparent de ces astres, inaccessibles à jamais bien que si familiers à nos yeux… Le monde est semblable à ce ciel ; l’arbre que ma main touche et palpe ne m’est pas plus familier que l’étoile que mon regard effleure sans la troubler. Ce qu'est cet arbre, par-delà la rugosité de son écorce et la densité de sa présence muette, m'est inconnu : je peux bien le nommer, d'un mot du dictionnaire, et le catégoriser (plus ou finement, selon mes connaissances et la richesse de mon vocabulaire) mais je n'irai pas au-delà son apparence sensible.
La poésie sait rendre palpable la distance incommensurable entre nous et la moindre chose qui nous environne, du ciel immense à l'arbre du jardin (lisez 'Le ciel ou l'irréalité' de Jean Tardieu, dans La part de l'ombre). Il y a un réel absolu, qui n'est pas réductible à nos concepts et nous résiste. Abolir cette distance n'est pas l'enjeu de la poésie parce que l'objet réel est inacessible mais cette distance est ce qui permet à la poésie d'etre comme une lumière rasante révélant l'ombre de l'objet réel et de dire l'absence (le déréliction – thème unique de la poésie depuis Baudelaire) pour évoquer la présence car « nous ne sommes pas au monde » (A.Rimbaud).
La pratique des mathématiques permet aussi, et peut-être plus directement encore, de faire l'expérience d'une confrontation avec « l'être » du monde. Tout d'abord, il devient vite évident, pour l'étudiant en mathématiques, que la logique mathématique n'est pas celle du sens commun. Considérons une évidence : 1+1=2. Pourtant, ce résultat n'est vrai que parce que le néant, s'il est additionné à lui-même un nombre infini de fois, engendre une matière non nulle.
Tout le monde sait que 0+0 = 0 ; supposons que 0 + 0+ 0 + 0 + 0 + ... (à l'infini) = 0.
Comme 1-1 = 0, je peux écrire :
0 = (1-1) + (1-1) +(1-1) + ... (à l'infini)
--> 0 = 1 – 1 +1 – 1 + 1- 1 +... (à l'infini)
--> 0 = 1 + (-1 + 1) + (-1 + 1) + (- 1 +1) +... (à l'infini)
--> 0 = 1 + (1-1) + (1-1) + (1-1) +... à l'infini
--> 0 = 1 + 0 + 0 + 0 + ... à l'infini
donc 0 = 1
Que signifie ce résultat ? Que toute l'arithmétique usuelle (1+1=2), qui semble être évidente et de bon sens, n'existe que parce que 0+0+0+...+0 à l'infini est indéterminé. Ceci n'est qu'un exemple, très simple, montrant qu'il faut se défier du bon sens. Dans leurs travaux, les mathématiciens ont plus souvent le sentiment de découvrir les règles de mondes « abstraits », dotés d'une cohérence propre, que celui de découvrir les règles de la logique intellectuelle humaine. Les mathématiques sont, comme tout langage, un carcan de régles (logiques et non plus grammaticales ou syntaxiques) qui impose sa logique interne et façonne la représentation, empêchant donc l'immédiateté de parole. Ce que nous pensons « évident » en mathématiques ne l'est jamais ; de même que, le mot n'étant pas la chose, un arbre n'est pas un arbre mais la représentation d'un arbre.

2. Le concept
Ecrire sur le concept, « mot-valise » par excellence, n'est pas aisé : quel est le concept sous-tendant le mot 'concept' ? La tautologie menace... mais, heureusement, un biais existe !
C'est au lycée, par l'apprentissage conjugué des bases de la philosophie et des mathématiques, que j'ai commencé à comprendre que 1 + 1 = 2 n'était pas si simple que l'évidence apprise des années plus tôt dans les classes primaires. Le secret d'une addition correcte, tel qu'enseigné par les maitres d'écoles, est qu'il ne faut pas mélanger les serviettes et les torchons, les vaches et les moutons sous peine d'arriver à en déduire l'âge du capitaine (voir nota). Pourtant, on peut : 1 (vache) + 1 (mouton) = 2 (animaux). Ce qui interdit ou autorise l'addition, c'est la catégorisation des choses additionnées, qui résulte d'une démarche intellectuelle préalable. Toute chose pouvant se définir comme un ensemble d'attributs, on peut toujours additionner deux choses sur leurs attributs communs : 1 (vache) + 1 (arbre) = 2 (êtres vivants). Je peux aussi considérer 1 (vache) + 1 (arbre) n'a aucun sens si ma catégorie résultat est (animaux).
Pour cette raison, 1+1 = 2 n'a aucun sens concret en soi puisque je peux indifféremment considérer l'opération comme légitime ou illégitime. Pour penser 1+1 =2, je suis obligé de considérer les objets que je somme comme des listes d'attributs i.e., pour parler mathématiquement, comme des ensembles finis d'éléments.
Tout objet mathématiquement décrit, notamment dans les sciences physiques, se limite ainsi à une liste finie d'attributs quantitatifs (masse, charge electrique, energie, spin, etc.) dont les valeurs ne renvoient pas à l'objet lui-même mais à des critères de catégorisation. L'objet lui-même reste inconnu, voire incompréhensible comme le photon dont la description mathématique, à la fois corpusculaire et ondulatoire, défie nos capacités intellectuelles de représentation.
Le problème est que ce processus est aussi à l'oeuvre dans notre rapport quotidien au monde. Revenons à nos vaches et nos moutons : qu'est-ce qu'une vache, sinon la liste des attributs définis par le dictionnaire académique de la langue française à l'article « vache » ? La vache qui meugle dans le champ voisin est une vache réelle qui possède bien plus d'attributs, outre certains spécifiques non recensés telle que la répartition de ses taches noires, que le dictionnaire ne le laisse croire. Qu'ai-je dit d'elle en prononçant ce mot : « vache » ? Rien, ou presque... Je l'ai simplement catégorisée pour permettre à celui qui me lit de se faire une représentation de l'objet que j'ai nommé : cette représentation n'est pas une vache mais le concept du mot « vache ». Comme le dit bien plus joliment Stéphane Mallarmé, « je dis fleur et voici que surgit l'absente de tout bouquet » [je cite de mémoire].
Tout mot renvoit à un concept et, nécessairement, ment par omission. Les mathématiques m'ayant aidé à comprendre la nature conceptuelle des objets que nous pensons, j'ai alors compris le développement de la poésie moderne depuis Baudelaire qui, le premier, fit du sentiment de déréliction l'objet de la Poésie. En effet, nous vivons parmi les concepts, parmi les ombres du monde réel dont nous ne percevons que ce que nous en laissent voir nos sens et le langage, qu'il soit idiomatique ou mathématique... Tout texte est vain, s'il ne contient l'aveu de cette perte du monde réel, s'il ne contient l'aveu qu'il est plus de choses dans les cieux que ne pourra jamais engendrer la philosophie, s'il ne contient l'aveu que seul l'instant vécu, en un temps et un lieu, donne valeur à la Poésie.
Depuis cette révélation, je ne lis plus (ou presque !) que les poètes...


En conclusion (et aussi pour ne pas exagérer la longueur de cet article... d'ailleurs, merci à ceux qui auront eu la patience de lire cet essai !) , la pratique des sciences enseigne l'humilité et révèle davantage les limites de notre esprit que ses capacités : elle enseigne aussi, à sa manière, que « nous ne sommes pas au monde ». Elle est source de poésie.
Ion Barbu résoud ainsi, dans son essai consacré à Arthur Rimbaud, la dualité incompréhensible pour la plupart des critiques entre l'homme et le poète : Rimbaud s'est inscrit dans la lignée des grands découvreurs du XIXème siècle (explorateurs, chercheurs scientifiques, etc.) et a cherché, dans les mots puis dans l'instant vécu, la confrontation avec le monde réel. Loin d'avoir renié la poésie, il lui a ouvert de nouveaux horizons.

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Nota : il y a quelques decennies, l'Education nationale avait mene une etude pour mesurer le niveau d'eleves du primaire en leur posant un probleme dont l'objet était le calcul de l'age du capitaine, sachant que sa cargaison comportait (a peu pres) tant de vaches, tant de moutons, tant de trucs et tant de machins... La bonne reponse etait evidemment qu'on ne pouvait pas savoir mais il y eut de nombreuses reponses chiffrees !





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