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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2009-10-30 | |
Le vélin
« Peau de veau mort-né, plus fine que le parchemin ordinaire » (selon le Petit Robert) Que l’encre qui médit devienne bénédiction et que le sang qui souille devienne celui qui purifie ; que ce qui était cruel devienne réel ; et que sur l’étal de la peau ou du papier, ce qui était rituel devienne amour. Comme une vie la plus petite, la pauvre qui soit ; comme une bibliothèque de livres rarissimes, inestimables et surprenants ; sur l’enclume des ans, chaque millimètre carré de peau ou de papier est un espace unique, sacré et donc précieux. Odyssée d'encre et de sang, avant de partir pour un très long voyage à dos d’écriture, entre une topographie de la chair et une typographie de la peau ; sur une feuille de papier vierge, j’ai déposé ma plainte comme on dépose sa plume en une goutte de sens, puis doucement, j’ai glissé quelques poèmes griffonnés à la hâte dans mon enveloppe de peau, afin de la poster aux anges, suprêmes messages. Tirer le diable par la queue ou haler les anges par les ailes, c’est toujours la même chose, une identique peau de chagrin. Cela revient toujours au même : tendre perpétuellement le cordon ombilical entre le ciel et la terre ; pas trop, afin qu’il ne se brise pas, et pas trop peu, pour qu’il puisse vibrer comme la corde sensible d’un violoncelle qui frissonne d’un la vivant ; que cesse ce lourd silence autour de la scarification et de l’écriture. Partant du constat qu’écrire sur la corde raide, même entre les lignes, c’est réaliser quelque part une saignée à même la pâte du papier, j’en ai déduit que la feuille ou la chair qui sont scarifiées, symboliquement, révèle le vrai nom le la personne, ses vraies souffrances et que le sang, l’encre versée sont comme leur essence dévoilée. À l’intérieur de ma paume, je peux lire la trame de ma vie comme prise en main, en parchemin, en chemin déroulés, rainures, pliures, plissures… au grain prêt, selon le grammage du papier, vélin qui telles les scarifications, peut se faire relief et creux, vide et plein, à peau nue, à peau crue, tâchée, à peine ou à pleines griffées, comme un document apocryphe ; un vieux livre d’une écriture couchée par couches, par rames, qui s’en viennent, flux, roule, s’empile et se défait …, une écriture qui semble vivre de ses propres mots, et palpiter de son propre sang. La peau est une feuille tendue au vent, comme les feuilles du papier sont tendues d’écritures ; comme le voile qu’il faudra un jour déchirer par la force des choses, par celle du souffle, et arracher entre le mirage de l’ego et moi-même, entre moi-même et l’autre afin que la vie soit. Escarre et scarification, comme la formation d'une croûte sur le Monde. Peaux, feuilles escarpées, en pente douloureuse, raide comme le vertige, escarre de la mémoire. Mots, nécroses et ulcérations qui écrivent la mortification à même la surface du globe. Peur entre le ciel et la terre, le rideau se taillade. Ainsi, les peaux lisses appellent la main douce, et la toison épaisse comme une nuit nomme le toucher : « pelisse ». Peau lice pour vélin veiné à même le fil d’une police certifiée conforme aux bonnes mœurs par l’Académie. Police de caractères divers : Times New Roman, Arial, et le cambré de Cambria, le scarifié de Scarifia, le Verdana, les Fissures, les Références Sans Sérif, les Graffitis et Tags mille gribouillages au mur couvert d’exergues sanguinolents. Quand le griffon fabuleux qui est en nous se fait écriture, griffonnage, mot à corps d’homme, homme à tête de sens, sens à ailes de porte-plumes, hiéroglyphe d’hippogriffe, d’Hippocrate et d'hypocrites... comme oiseau de soi …, alors les mots se mettent à respirer, le papier à vivre, à vivre nu. Alors, les lettres se mettent à s’agiter, comme les membres démis d’un alphabet plein d’escarres, de barres, de traits, de point. Assortiment de marques et de formes, parmi lesquelles on peut entendre transpirer à tue-tête, les peausseries ou le cuir respire encore du cri de la bête. Cet entre voiles, entre moi-même et l’autre, cet entre-deux du voile et de la feuille, au sein desquels la puissance de l’encre et celle du sang président. Ces deux rituels nous indisposent, nous qui avons balisé nos sécurités, banalisé l’écriture et feignons d’ignorer la blessure entre nous. S’écrire, se tailler, ces deux rituels n’étant qu’une même forme, qu’un seul aspect, des mêmes relations de force et de vie entre le corps écrivant, le corps écrit et le Cosmos. L’écriture comme « mal culturel » ou la scarification comme « mal sacré » sont identifiées au porteur, à l’homme. Les stigmates de la peau étant eux-mêmes une altération de l’écriture, où, les racines du langage, des empreintes rupestres de mains à l’origine des idéogrammes, se rejoignent, et utilise le tracé comme des Yantra et Mantra religieux, mots germes, saignée-germe qui donne à la plaie sa fonction de force agissante. La puissance du trait est une transposition qui parle d’elle-même d’une force magique, et d’une puissance évocatrice comme une écriture secrète, de caractère presque divin. Je connais des lieux névrotiques qui sont parfois comme des trouées lumineuses ! Même si le corps use de moyens étonnants, secrets ou pathologiques pour exprimer dans tous ses états la vie, il y a comme un état de nudité de la peau et de mystique de la page qui deviennent comme un mystère dévoilé recto verso, côté feuille, côté peau. Tentative souvent vaine d’unifier, de ré-identifier l’homme déchiré, entre lui et ce qu’il pressent d’infinis. Ces chemins de traverse où l’esprit parle aux corps, et où les mots sculptent les maux. Le Bic à la bouche, la salive au Bic, l’oreille aux aguets … dans son habit de peau, le poète dit que la vie dans son sang, dans son germe est là , comme un devenir. Il nous faut passer de la page blanche aux gris, du gris à la couleur, du liquide amniotique au sang. Comme la semence tombe en terre, que meure ce qui doit mourir, et que poussent l’os et l’arbre, en germe dans la plaie et dans les mots. Si le corps de l’homme est à l’image du corps de Dieu, entre nous, il y a encore du chemin à faire pour nous humaniser avant de nous laisser diviniser. De la peau à éteindre et des pages à écrire dans l’entre-deux. La chair et le papier, le souffle du poète et le sang de l’homme, authentifient et identifient cette distance, et ce geste d’écriture, ce rite sacrificiel, semble vouloir crachoter par l’encre et racheter la vie par le sang, dans un rite sacrificiel officiel, avec ses victimes sanglante ou transpirante. Dont l’ordre des médecins et l’ordre des lettrés sont les garants et les souverains sacrificateurs, en des lieux très académiques, où l’on pratique l’aspersion de sang et d’encre, sur des propitiatoires d’or , de coalition sociale et d’alliances culturelles, afin de rendre à César l’offrande qu’il réclame, après bien des épreuves de soumission et de purification. La reconnaissance, c’est le prix du sang et du pacte entre le sang et de l’encre. Je suis un habitué de ces lieux où viennent se greffer la peau et le papier, les couleurs du ciel et celles de l’enfer et de l’enfermement. La mise à nu de la chair est comme une conjuration, nous touchons là au grand mystère du sang et de l’encre. Sacrifice sanglant comme marque de fabrique : l’homme est de chair et de geste. La peau et la feuille, comme tous les voiles qui séparent encore l’âme profonde du Réel et du Monde, se gonflent de vent et d’esprit pour aller au grand large, en eaux profondes. Écoulement du sang d’encre et de l’encre de sang, comme des règles de femmes, ces grandes porteuses de vie. Comme pour expurger, expulser, sortir de cette peau, de cette feuille qui est matrices comme un ventre. Écrire, saigner, c’est un peu perdre ses énergies, un peu perdre son âme, la purification passe par là elle est comme un accomplissement. « Qui nous délivrera de ce corps de chair, de ce corps de mort », crie l’apôtre, pour racheter le droit de vivre, d’aimer et d’être aimé. Seul le Verbe peut libérer le sang, à sang d’encre et de sèves ; seul le Verbe peut libérer l’humanité qui est en chacun de nous. Stalker jouant le jeu dans une médiation de l’encre, de l’entre, des passages secrets à la marge des hors jeu, des miroirs hors lieux, là où les mots de passe ont toute la magie des lieux de passages. Que de sang, que d’écrits, pour que vive l’homme ; pour qu’il devienne un être de chair et d’esprit, un passeur. Que d’encre et de sang versé et à verser, pour que l’homme devienne un être d’amour, de partage, de justice et de paix. À jouer à touche écrit, le poète peut devenir sourd comme un pot. À toucher le papier imprimé, à explorer de l’œil les fils de la trame, toute tricotée comme de la soie, il peut en devenir dépendant. Là où sont tannés de nuit les damnés et damnés de jours, les papiers de peaux affinées, peaufinées, prêtées et apprêtées pour les doigts, l’encre et le mouvement ; là en ce lieu presque obsessionnel, le rituel de l’écriture prend des tournures de sacrifices. Vélin et derme, griffure-écriture, en tout cas je les ressens comme une réalité liée à notre incarnation. Il semblerait qu’il existe comme un parallélisme entre l’écriture et la scarification. Entre la substance du papier et celle de la peau. Parce que goutte que coûte, par le sang ou l’encre, les blessures doivent s’écrire ou s’inscrire quelque part dans le Cosmos ! Pour mettre à plat la platitude des jours et en relief le fond de la nuit, je pose à nue la souffrance ou j’écrie à vif l’espérance ; ainsi, pour mettre à mal le mal, et pour inscrire le manque et le vide, parmi les moteurs de l’évolution, j’écris donc de suis. Les poètes, c’est connu, ont la peau à fleur de mots ! J’écris avec des mots qui donnent un goût de poussière rance au chemin, un goût d’inachevé sur des voies difficilement carrossables, mais j’écris et je crie au désert. Entre l’auto mutilation et l’écrit coule le même plasma des mots. La frontière y est maigre comme une soudaine anorexie et la transcription à cicatrice lue, se fait traduction, en de multiples métaphores souvent épidermiques. À la base de toute littérature, il y aurait comme une rature, une surcharge émotionnelle, un truc qui se fait biffures concaves, comme des sillons dans les muscles d’un écorché. À la base de toute écriture, il y aurait « ça », telle une profonde culpabilité qui remonterait aux origines du langage, il y aurait « ça » comme le gage d’une réelle incarnation qui semblerait vouloir sourdre à tout prix du centre de la Terre, ou jaillir du cœur de la chair. « Ça », pas une petite infraction à la vie, mais une virulente attraction à vivre plus, pour nous appeler vers le haut à plus de conscience. Guidant notre main, de bas en haut, de gauche à droite, et toujours en avant pour plus d’humanité. Une affliction profonde, qui appelle à l’élévation, à l’envers du revers, de la tristesse vers la joie, de la Terre vers le Ciel, avec une même précision dans la calligraphie que dans une chorégraphie ; une même incision, un même grattage à sang, à pages nouées de veinules pleines à craquer de bon sens. Il nous faut créer un lieu, un sens et un lien comme une présence vivante, entre ces deux médias : celui de notre enveloppe de peau, et le papier où le poète écrit les maux mêmes de notre humanité qui sans cesse se cherche. Les deux supports étant pareillement roués de coups par la vie et éclairés par la même espérance. Car, même les écritoires de peau transpirent devant un beau paysage ! Escarres, échardes, sceaux, cicatrices, ciel … mot à mot, goutte à goutte d’hématie, les mots sont comme des épées, des poinçons et des lames, à faire mal. Mal édiction, mal-locution, mots tatoués jusqu’aux horizons de marques indélébiles comme d’éternelles coupures. Censure comme sangsues suçant l’encre à même les regards. Plaies offertes aux vents et aux vagues, pages ouvertes aux maux, aux ulcérations comme aux palpitations, quand la peau respire la joie, l’amour et l’espérance. Les critiques, les coupures et ratures dans un texte, ne sont-elles pas les traces de caries profondes, d’un mal dedans qui s’exprime dehors ? À coup de Bic ou de stylet pour s’écrier d’écrire, sectionner superficiellement la feuille, morceler la trame du récit, couper la peau d’un geste large, ou même les muqueuses comme on découpe le temps en tranches ; comme on s’explique l’espace sur les yeux en s’appliquant à écrire d’impossible fragment d’absolu, sur toutes les parties du corps préalablement scarifiées avec les griffes de l’infini et de l’éternité. À plein boutons de peau, un lieu double, un double lien. Peau contre papier, l’une et l’autre sont liés autour du porte-plume, comme mariées par la main, dans le même mouvement, la même quête pour un destin d’homme et de poète écorché. Entre la faculté du rêve et la tension poétique, contraction, spasme de l’espace calligraphique. Chorégraphie des corps scarifiés sur des scènes ensanglantées. Spectacle banal. Scarifiage à la charrue, en pleine terre pour labourer la chair des mots et retourner les mots de la chair. Scarifiage d’âge en âge, comme les mues successives des générations qui nous ont précédées, comme pour briser la croûte durcie de notre animalité et vivre enfin des semailles. Et pour ne pas mourir idiot, les yeux fermés, je stigmate le papier. Les mots s’y inscrivent comme toujours à la lisière des incomplétudes, pour faire lien, rassembler, unifier recoller les incroyables morceaux d’un épouvantable puzzle. Pourquoi les mutilations, amputation et autres contusions, pourquoi ces convulsions du corps, ces spasmes ? Pourquoi les coups de la vie et du sort donnent-ils toujours ce même sentiment d'inachevé, d'insuffisance, de grand vide que certains éprouvent plus fort que d’autre au point de se mutiler ? En écoutant « Passage » de l’ensemble Soledad, je peaufine les mots, je cerne la peau au liseré des sens, de ces cinq sens dont je porte le vêtement trop étroit. Parce que le bonheur comme le malheur ne sont jamais totaux, mais se positionnent plutôt comme le resto du verso, et l’inverse, le revers du travers, et s’écrivent au cœur de nos fragmentations. Parce que tout homme digne de ce « non » à la mort, à l’injustice et au mal, écrivain ou pas, peau d’être ou peau d’âme, désire toujours plus. L’expansion de l’Univers n’en est que la métaphore ! Sur l’étal de mes mains, je trace la cicatrice des jours anciens et celles de jours à venir. Une communion avec et entre les hommes, dont les baisers, les signes et les traces, les blessures, les paroles, métaphores et visions, sont toujours de vivantes déclarations d’amour. J’écris, comme un droit péage au pied de la lettre, péage au pied des lettres. Sang d’encre, encrage à veinule ouverte, d’une écriture qui reste comme cryptée, en marge des endroits assurés. Calligraphie où le geste et la geste se croisent pour ne plus faire qu’un. Lever la peau, enlever l’écorce pour y graver son nom et y tatouer ses rêves. La page carnifiée, le texte clarifié, la peau scarifiée, comme toute écriture, ne seraient-ils que le miroir de l’âme ? Archives inédites de ma quête d’humanité, ma peau serait-elle la page d’un livre ? Le Roland romancé d’une vie à déployer, d’une vie à tourner la page, sans fin, comme une vieille nouvelle à la portée d’échos, ou comme un poème déteint, ambré aux entournures ; à moins que ma vie ne soit le feuillet déchiré d’un livre saint - comme ces anciens bréviaires que l’on jette aux papiers tellement ils sont vieux et jaunis. Avant de franchir le premier pont de ce pèlerinage, une simple question m’habite : scarifications superficielles ou profondes, écoulements des sèves, des sangs, d’encres ou de sérosités les plus diverses ; bistouri ou porte-plume ; marquage rituel ou littérature ; signes de blessures, symboles d’initiations ou incisions pratiquées sur l'écorce d'un arbre pour y mettre l’écriture …, graffitis ou signature, qui écrira le dernier mot ? L’encre ou le sang ? La peau ou la feuille ? La parole se donne, se tisse, se tresse quand la peau s’étire, quand les tissus se stressent, voulant vivre plus, se dépassant sans cesse pour que l’autre soi lui-même, unique à aimer. Sur mon PC, comme à l’horizon, le fond d’écran se couvre de rouge sang pour dire que tout est coupé, copié, collé. La feuille et la peau se couvrent de parures et de scarifications. Les ronds des O, délimitent la culture du corps. Chaque trait de peintures corporelles est un moyen d’expression comme un code visuel. Nœuds de mots et de peaux, révélant toujours quelque part la peur et le désir de vivre. La peau meurtrie contre la page, usée par tant de frottement, que l’index s’échauffe et que le pouce s’irrite, au filet d’encre et de sang, le bonheur est toujours pour demain. (...) |
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