Arthur Rimbaud a suscité, comme bien peu d'écrivains, une avalanche de commentaires posthumes et pourtant, 150 ans après sa naissance, il nous échappe toujours. Et donc nous fascine toujours.

Depuis longtemps, l'homme aux semelles de vent - né le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières (Ardennes) et mort le 10 novembre 1891 à Marseille - ne s'appartient plus : il est devenu un mythe qui fait partie de la culture générale. Il n'a pourtant écrit que pendant une poignée d'années et ses oeuvres complètes tiennent en un seul volume, de taille même pas impressionnante.

Expositions, conférences (dont un colloque à la Sorbonne, en mai) ou théâtre figurent parmi les manifestations de l'anniversaire de sa naissance, tandis qu'une vingtaine d'ouvrages ont été publiés à l'occasion. L'éditeur Textuel ressort un très vivant Album Rimbaud et l'oeuvre intégrale manuscrite. Il s'agit là de pages particulièrement émouvantes car, tout à coup, des textes connus parfois par coeur ("je m'en allais, les poings dans mes poches crevées"...) surgissent sans l'intermédiaire de la typographie.

L'anniversaire culminera avec l'inauguration, le 20 octobre, de la maison Rimbaud à Charleville, réaménagée en musée Rimbaud.

Tout cela ne suffira pas à faire le tour du poète et de l'homme. "L'enfant prodige de Charleville, le compagnon turbulent de Verlaine ou le négociant implanté au Harrar a multiplié les provocations à plaisir et cultivé les contradictions les plus irritantes. Il nous nargue, nous échappe", a écrit Robert Kopp pour la nouvelle édition de ses oeuvres complètes et de sa correspondance (collection Bouquins chez Robert Laffont).

Car l'image de l'aventurier qui abandonne la littérature a supplanté celle du génie précoce. "C'est d'abord sa vie qui fascine. Il avait tous les talents, c'était un énorme poète et voilà qu'il renonce à ce talent! Cela inquiète les gens. Le public arrive aux poèmes dans un deuxième temps, il entre alors dans une densité plus intéressante et une approche plus profonde" de Rimbaud, selon Claude Jeancolas, auteur, entre autres, de l'Album Rimbaud et d'une anthologie (Textuel) sur le poète.

Des dizaines d'écrivains ou d'artistes, de Proust à Borges, en passant par Gainsbourg ou Cartier-Bresson, racontent dans ce dernier ouvrage l'émotion éprouvée en lisant Rimbaud, s'interrogent bien sûr sur son abandon de l'écriture et soulignent son influence sur leur propre création.

Dans cet hommage quasi-unanime, une exception : celle d'Albert Camus qui reproche à Rimbaud d'avoir arrêté d'écrire : "mais où est donc la vertu de celui qui se détourne de la contradiction et trahit son génie avant de l'avoir souffert jusqu'à la fin?".

"Rimbaud est un miroir où chacun se retrouve un peu soi-même et ça, c'est la force du mythe. Ca intéressait le romancier Philippe Besson de faire croire que Rimbaud couchait avec son serviteur. Ce n'est pas la vérité, mais ce n'est pas grave si ça permet de créer des oeuvres d'art. Gauguin, lui, y voit le colonisateur. C'est cela la magie de Rimbaud: donner le courage de créer", estime Claude Jeancolas.

Que reste-t-il, après tant et tant d'exégèses, à découvrir sur l'auteur du "bateau ivre" dont il ne nous est parvenu que six photos ? Sûrement des clichés de ses parents et des lettres manuscrites de la période africaine, actuellement aux mains de personnes privées.

lundi 18 octobre 2004, AFP.