MARSEILLE(AFP) - Le 31 juillet 1944, Antoine de Saint-Exupéry s'installe, sans dire un mot, dans son Lightning P38 n°223. A 8h45, il décolle de Borgo, en Corse, pour une mission dont il ne reviendra jamais.

Le mystère de la disparition du père du "Petit Prince" est resté intact durant 60 ans. La veille de cet ultime vol, Saint-Ex était rentré tard. Sa doublure était prête à le remplacer pour cette mission de reconnaissance photographique, destinée à préparer le débarquement en Provence.

Jugé trop âgé pour piloter, l'écrivain avait été mis en réserve de commandement en 1943. Mais à force d'insistance, il fut finalement autorisé à effectuer cinq missions au sein du 33ème groupe de reconnaissance (2/33). Cette unité, comprenant uniquement des Français, équipés de matériel américain, avait été transférée à Borgo le 17 juillet 1944. Ce 31 juillet, la trace du P38 de Saint-Ex est suivie par les radars alliés depuis la Corse jusqu'à son passage au-dessus des côtes françaises, peu avant 9h30. Les conditions météorologiques sont bonnes.

Le pilote devait normalement franchir de nouveau le littoral français vers 11h30 pour rentrer vers 12h45, une fois sa mission achevée. Il n'est jamais revenu. Le pilote est porté disparu à l'âge de 44 ans. Nul ne sait où s'est abîmé son avion, un bimoteur bipoutre Lightning P 38 J, modifié en F-5 B, autrement dit en avion de reconnaissance non armé, avec à l'avant des caméras à la place d'une mitrailleuse. Fanatiques de l'aviation et historiens amateurs s'acharnent dès lors à percer le mystère de cette disparition, menant plusieurs campagnes de recherches.

Sans résultat probant, jusqu'à la tapageuse découverte d'une gourmette en argent par un pêcheur marseillais, annoncée en octobre 1998. "La mer est si grande, une gourmette si petite. C'est miraculeux", s'exclame alors Jean-Claude Bianco, qui a ramené le bijou dans son chalut au large de Marseille, et se dira blessé par les incrédules mettant en doute l'authenticité de la gourmette. Sur le bracelet figure la mention gravée: "Antoine de Saint-Exupéry (Consuelo) - c/o Reynal and Hitchcock Inc. - 386 4th Ave N.Y. City - USA".

Consuelo était l'épouse de l'écrivain, les inscriptions suivantes correspondant aux nom et adresse de l'éditeur new-yorkais qui a publié le "Petit Prince" en anglais en 1943 et aurait offert le bijou. Mais, relèvent alors des détracteurs, aucune gourmette ne figurait sur la liste des effets personnels embarqués par le pilote. Historien amateur et spécialiste de Saint-Ex, Patrick Ehrhardt, défend alors la thèse d'une disparition dans les Alpes, soulignant qu'aucun combat aérien n'a été signalé au dessus de Marseille le 31 juillet 1944.

Il cite aussi un rapport d'enquête d'août 44 selon lequel: "les écoutes radio et radio-magnétiques permettent d'assurer qu'il n'est pas tombé au retour, ni en mer, ni près des côtes françaises". Le lieu de sa disparition est maintenant établi, mais les causes - accident, malaise, suicide ou tir ennemi dans l'arrière pays ... - ne sont toujours pas élucidées. Dans leur "journal de marche", les pilotes du 2/33 ont laissé ces mots en hommage à St-Ex: "nous pensons tous à cette joie qu'il n'aura pas de rentrer en France libérée avec nous".

Mercredi 07 avril 2004.