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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2021-07-15 | |
Formé de deux collocations érigés en concepts, le titre traduit un rapport ironique au monde et à la philosophie. Pris en eux-même, les deux concepts réfèrent à la connaissance et à l’existence qu’ils désignent de façon négative. La négativité est amplifiée par le cumul des concepts et par l’utilisation des majuscules. Dans le titre il y a un mélange de dérision et de solennel qui fait sourire ou qui, de toute façon, crée une attente. Mais le titre en soi n’est pas ironique. Il ne dit moins pour désigner davantage que dans son rapport à l’ensemble de l’œuvre. Plus précisément, l’ironie naît du rapport entre le paratexte et le texte, et impose une approche globale. Il s’agit là de l’ironie comme expression du rapport au monde. Dans la remise en question de la philosophie, l’ironie réclame en plus une approche ponctuelle. Je vais m’intéresser d’abord à l’ironie vue comme rapport au monde.
Dans le texte, le parallèle entre le „presque-rien” et le ”presque-tout” laisse voir „l’immensité” du „presque-rien”: „Celui par exemple qui saurait que la Ballade en fa dièse de Gabriel Fauré est construite sur trois thèmes distincts, le thème nocturne de l’introduction, le thème de l’allegretto et un motif deux fois esquissé dans une lente improvisation, puis développé souvent selon le rythme balancé d’une barcarolle, souvent comme un scherzo giocoso, souvent parmi les trilles, celui-là serait bien loin de ne rien savoir; mais du mystère ailé, captivant qui circule dans tout cela [...] il n’aurait pas la moindre idée.” (Jankelevitch 1980 : 55) Il ressort que le „presque-rien” n’est pas la différence entre le tout et le „presque-tout”, il est le mystère de la totalité et, par un renversement de la logique, c’est le presque tout qui est comme rien. Mais le „presque-rien” n’est pas seulement immense, il est aussi inépuisable. Par conséquent, „il ne doit pas être traité comme le charbon et le pétrole, dont les réserves s’épuisent, mais plutôt comme l’infatigable recommencement de chaque printemps. Le presque-rien est aussi métaphysiquement inépuisable que le renouveau est inlassable.” (Jankelevitch 1980 : 60) Il y a une distiction qui est au cœur de la réflexion jankelevitchienne, c’est celle entre essence et existence, entre ce que les choses sont et le fait qu’elles sont. En philosophe du „je-ne-sais-quoi”, Jankélévtich s’intéresse à l’existence ou à ce qu’il appelle quoddité. „ Le fait même que je ne sais pas devient révélateur par son immersion au fond d’une quoddité pressentie: sans cette quoddité l’amathie n’est qu’un trou dans le savoir, une lacune sans signification; grâce à cette quoddité l’amathie devient savoir soustrait et proposé, passage continué de la nescience à la science, gnose en instance perpétuelle de révélation.” (Jankelevitch 1980 : 67) Le „je-ne-sais-quoi” est ainsi l’essence de la totalité que l’intuition nous révèle. Jankelevitch va jusqu’à poser le „je-ne-sais-quoi” en principe de l’existence: „si le je-ne-sais-quoi est quelque chose, il n’est rien;[...] par contre si le je-ne-sais-quoi n’est rien, c’est-à-dire s’il n’a rien d’une chose, alors il redevient, comme le dit Leibniz de Dieu, „l’existentifiant” par excellence”, donc celui qui fait exister.”( Jankelevitch 1980 : 69) Le „je-ne-sais-quoi” et le „presque rien” n’apparaissent donc pas dans le texte comme des concepts privatifs, comme de simples déficits. Au contraire, c’est le manque du „je-ne-sais-quoi” qui est privatif et l’absence du „presque-rien” qui peut tout gâcher. Dans le rapport entre le texte et le paratexte s’opѐre un renversement de sens, proche de l’antiphrase; l’auteur décrit en termes dévalorisants une réalité qu’il s’agit de valoriser. Ce renversement, tout en nous laissant voir les choses comme elles sont, nous fait sourire. L’ironie comme rapport au monde est plus proche de l’humour. Mais l’essentiel du livre se présente comme une remise en question de la philosophie rationnelle de l’être, celle qui s’intéresse à ce qui fait que les choses sont ce qu’elles sont et à la philosophie modale du paraître, qui s’en tient aux seules modalités d’être des choses. Cette ample remise en question demande un éclaircissement, aussi petit soit-il. Pourquoi s’en prendre à ces philosophies? Parce qu’elles conçoivent la réalité comme une totalité close. La philosophe rationnelle s’interroge sur ce qu’est une chose et définit a priori son concept, mais elle ne nous enseigne rien sur la façon dont on passe du concept d’une chose à son existence effective. La philosophie modale, de son côté, fait du paraître la manifestation de l’être, mais elle ne nous dit rien sur ce qui fait être l’être. Pour Jankélévitch le devenir seul permet le passage du possible à l’effectif. Et ce passage ne peut être compris sans prendre en considération le temps. Il s’agit là du temps irréversible de l’histoire, qui est organique et non pas du temps cyclique de la nature, qui est apparent. „ [...] l’être sans doute s’oppose au paraître, mais il n’y a pas d’être hors de l’apparaître, pas d’être en dehors de cette émergence continuée de quelque chose où s’explicite un infini pouvoir de réalisation qu’il faut bien, enfin, appeler le Temps. (Jankelevitch 1980 : 35) Ou encore „ Au mépris du tiers exclu il existe par-delà le possible et le réel je ne-sais-quoi qui est les deux à la fois, ou plutôt qui n’est ni l’un ni l’autre, qui est entre les deux, et dont le nom est Devenir. ( Jankelevitch 1964 : 34) Jankélévitch est bergsonien et il l’assume. Aprѐs l’ironie qui se dégage du rapport entre le texte et le paratexte, je me pencherai sur l’ironie qui résulte du rapport entre le texte et sont contexte d’énonciation. A ce propos, je considèrerai comme signal linguistique tout ce qui marque un relief dans la surface du texte. Dans un deuxѐme temps, l’énoncé ironique, je l’interprèterai dans son contexte d’énonciation. „ –Il y a bien des façons d’escamoter le mystère: on peut, soit intervertir purement et simplement l’ordre d’importance de l’essence et de l’accident, soit faire de l’inconnaissable une simple exténuation quantitative du connaissable. La réhabilitation de l’accident caractérise une certaine philosophie modale qui se désintéresse de l’être pour considérer les seules manières d’être de cet être: le philosophe réintègre la caverne des ombres et des reflets hors de laquelle il avait fait évader les captifs. Qualités primaires, qualités secondaires, elles ont toutes mêmes promotion et même consistance pour un impressionnisme philosophique qui réduit la substance à ses modes.” (Jankelevitch 1980 : 13) L’ironie n’est pas difficile à détecter: „le philosophe réintègre la caverne des ombres et des reflets hors de laquelle il avait fait évader les captifs”. L’énoncé se déroule en deux temps qui correspondent à deux actions à chronologie inversée: le philosophe réintégre la caverne aprѐs avoir fait évader les captifs hors de la caverne. En réintégrant la caverne il y retrouve sa place. Une place désirable, car le verbe réintegrer est connoté positivement. Par voie de conséquence, le geste d’avoir libéré les captifs, qui en principe est noble, se transforme en un geste ignoble, devient un délit d’usurpation. Et la posture du philosophe est d’autant plus ridicule que, censé chercher la connaissance qui est lumière, il se retrouve, dans la caverne à la merci des illusions. Le renversement de sens est préparé par l’usage de la structure factitive „ avait fait évader” associée à la préposition „hors”, qui indique l’extériorité par rapport à la caverne. Ensemble, les deux prennent le sens de forcer les captifs à sortir de chez eux, les mettre à la porte. Pourtant, l’énoncé n’est pas ironique en soi. Et la connaissance de l’allégorie de la caverne, n’y peut rien. Les indices déclencheurs de l’ironie se trouvent en fait dans le contexte. d’énonciation: d’abord, le verbe escamoter dans „escamoter le mystère”, qui signifie éluder habilement, a une charge négative; ensuite, „intervertir l’ordre d’importance de l’essence et de l’accident” c’est déranger l’ordre naturel des choses. Le faire en plus „purement et simplement” ressemble à un escamotage; enfin, „faire de l’inconnaissable et du connaissable des mesures physiques, quatitatives” c’est aller contre nature et c’est aussi y aller sans ménagements, car l’exténuation quatitative du connaissable est en fait une „simple” exténuation quantitative. Mais le tout premier indice d’ironie apparaît avec le syntagme „la réabilitation de l’accident”. Dans la même phrase nous avons „ une certaine philosophie modale” où „une certaine” marque une distanciation par rapport à la philosophie en question. Et la distanciation est propre à l’ironie. Rien d’étonnant dans ce cas que l’énoncé ironique s’étale immédiatement après. Dans la derniѐre phrase, l’accumulation et la symétrie, „qualités primaires, qualités secondaires”, d’une part et „même promotion et même consistance” d’autre part, servent à caricaturer cette philosophie qui, sereinement et tranquillement, met ensemble, sur le même plan, des choses qui ne vont pas ensemble. En fait, on a un énoncé ironique dans un contexte satirique. „ Gracian s’engage plus profondément que Pascal dans le jeu intramondain: comme Cicéron tourné vers le renom, la célébration louangeuse et l’applaudissement, comme le Prince machiavélique et comme le courtisan de Balthzar Castiglione, le „Plausible” de Gracian est le personnage parfaitement adapté au régime de l’apparence, de la doxa et de la poudre aux yeux. Paroles de soie! s’écrie cet homme modernissime. « Avoir la bouche toujours pleine de sucre pour confire les paroles, car les ennemis mêmes y prennent goût. » tel est l’ABC d’un art de plaire qui exalte le goût des hommes en avivant le ragoût des choses. Il faut le dire : Gracian a décidément quitté l’anagogie escarpée et sublime de Platon pour les chemins fleuris, mais insidieux de la démagogie, qui est agogie par douceur et suavité ; Jankelevitch 1980: 16) Dans ce deuxième extrait, ce qui attire l’attention ce sont les termes disparates „la doxa” et „la poudre aux yeux” attachés au syntagme „régime de l’apparence”. Et pour comble, ce zeugma sert à décrire un „personnage parfaitement adapté”. Comme dans le cas précédent, il y a des indices déclencheurs de l’ironie. Il s’agit de la comparaison entre „le Plausible de Gracian” et autres personnages célèbres qui ont cédé à la flatterie, et donc à la facilité. Avec le superlatif „modernissime”, avec l’association incongrue entre le fait d’exalter le goût des hommes et celui d’aviver le ragoût des choses, avec le commentaire critique de l’auteur dans la phrase finale, on est dans le registre de la satire. L’ironie jankelecitchéenne est une oasis dans un océan de satire. |
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