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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2021-06-03 | |
IIème partie
Tout au début il y a la définition qui fonde la tradition rhétorique et qui se retrouve toujours dans des dictionnaires tels que le Larousse ou le Petit Robert. Il est question de la formulation de Cicéron rectifiée par Quintilien:l’ironie c’est dire le contraire de ce que l’on veut faire entendre (et non pas le contaire de ce que l’on pense). La correction de Quintilien pointe sur l’intentionnalité du procédé. Au XVIIe siѐcle, Pierre Fontanier élargit la notion du mot à l’énoncé; il en fait une figure de pensée; il prend en compte l’attitude du locuteur et par là s’oppose à ceux qui, comme Dumarsais, définissent l’ironie comme une simple antiphrase. Mais ce qui distingue principalement son approche de celui de ses prédecesseurs grecs et latins c’est le fait d’avoir illustré le discours ironiqe par des exemples tirés de textes littéraires et non plus de discours. Il introduit de la sorte „ une nouvelle nuance dans l’appréciation de l’ironie, qui désormais n’obéit plus uniquement à des critères d’efficacité, mais également à des critères d’esthétique, d’élégance.” (Malick Dancausa 2011 : 27) Dans la premiѐre partie du XVIIIe siѐcle, la critique anglaise, en rapport avec la littérature satirique de l'époque, fait évoluer la définition de la notion. Celle-ci désigne désormais tout texte dont l’auteur se désolidarise au moins en partie du point de vue exprimé. L’ironie romantique, qu’on a déjà mentionné, se réfère à toute œuvre, où la distance critique vient tempérer la dimension émotionnelle. Cette conception de l’ironie prépare le passage de la notion dans le domaine de la philosophie. Ainsi, en 1833 Connop Thirlwal, dans l’étude “On the Irony of Sophocles”, dégage en plus de l’ironie verbale et de l’ ironie dialectique des dialogues platoniciens, l’ironie pratique “qui correspond à l’ironie de situation et qui prend le sens qu’on lui accorde aujourd’hui, fondé sur l’opposition entre les espoirs, les craintes, les agissements d’un individu d’une part et l’évolution aveugle d’un processus inéluctable d’autre part.” (Malick Dancausa 2011 : 36) Pour Nietzsche, la connaissance est interprétative, ce qui suppose qu’elle n’est pas donnée une fois pour toutes, qu’elle est passée au tamis de l’ironie. A cette forme d’ironie qui rend compte du caractѐre protéïforme de la réalité, du fait que l’être est changeant et relatif, correspond une nouvelle méthode, l’”essai”, qui se substitute à l’esprit de systѐme. Or le modѐle d’écriture philosophique de Jankelevitch est justement l’essai, qui se situe à l’opposé du modѐle aux contours bien nets de la philosophie traditionnelle. Au XXe siѐcle, linguistes et critiques littéraires considѐrent restrictive la définition classique de l’ironie, mais ils y réagissent différemment. Du côté des linguistes, Kerbrat-Orecchioni fait de la contradiction le principe qui est au fondement de l’ironie et l’explique en termes de relation entre signifiant et signifié. Ainsi l’ironie consiste, selon elle, à associer deux signifiés à un même signifiant : un signifié explicite et un signifié implicite. Ce qui caractérise alors l’énoncé ironique c’est qu’à l’inverse du cas général, le sens implicite y constitue le vrai sens. Mais toute structure sémantique contradictoire n’est pas nécessairement ironique, répliquent Alice Myers, David Kaufer et Alain Berrebdonner. En plus, disent-ils. il y a d’autres tropes qui jouent sur la substitution d’un sens littéral et d’un sens intentionnel. C’est, entre autres, le cas de la métaphore. A l’opposé des linguistes, les critiques litérraires s’intéressent à l’écrit plus qu’à l’oral. Pour Philippe Hamon par exemple, les marquers de l’ironie telles que l’intonation et la mimique se retrouvent dans l’espace du texte écrit là où il y a évaluations possibles et prennent le plus souvent la forme de la métaphore, de l’oxymore, de la litote. Pour lui, comme pour Wayne Booth, l’énonciation est “une posture d’énonciation construite en énoncé”(Hamon 1996 : 5). Toutes ces démarches sauf exception rendent explicite la dimension sérieuse de l’ironie. Or si un énoncé contradictoire n’est pas nécessairement ironique c’est que la dimension ludique y fait défaut. Mon but est justement de récupérer cette dimension. La substitution du sens littéral, dénoté, par le sens connoté, qui est second, est certes au fondement de tous les tropes. Mais dans le cas de la métaphore, par exemple, le sens dénoté cède la place au sens connoté mais ne sort pas de scène. Plus ou moins obscurément, il collabore au nouveau sens, ce qui rend caduque l’idée d’Alain Berrendonner, selon laquelle tout trope repose sur l’identification d’une contradiction interne à l’énoncé. Que se passe-t-il dans le cas de l’ironie? En filant la métaphore de la scène, je dirais que, dans ce cas, le sens dénoté sort de scène pour de bon et comme, en tant que sens premier, il jouissait d’une certaine importance, sa sortie, peu glorieuse, crée un effet de destabilisation. Ce qui reste sur la scène est bel et bien le contraire de ce qui vient de sortir, mais la figuration de la sortie est aussi importante, sinon plus importante, que l’installation du sens contraire, car c’est elle qui confère à l’ironie son caractère ludique. J’estime donc que la notion de jeu de scѐne, par lequel le sens premier s’efface devant le sens second, et celle de structure sémantique contradictoire peuvent ensemble rendre compte des particularités de l’ironie J’ajouterais ceci : comme tous les tropes, l’ironie agit indirectement. Mais alors que la métaphore, par exemple, opère principalement au niveau niveau des émotions, des sentiments et a pour vocation de ressusciter notre capacité d’émerveillement, l’ironie remet en question les idées toutes faites : les opinions, les préjugés les croyances qui bloquent notre perception du réel. On le sait tous, s’attaquer de front aux opinions, aux croyances de quelqu’un c’est courir droit à l’échec. Or l’ambiguïté du propos dans l’ironie laisse une certaine latitude aussi bien au locuteur qu’au récepteur. L’ironie, pour cette raison, joue un important rôle social, et d’autant plus important que sa fonction est évaluative. |
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