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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2015-04-09 | |
Notre travail porte sur la constitution du background culturel et idéologique permettant aux membres d’un portail d’orientation littéraire de communiquer entre eux. Dans ce sens, on entend convoquer le principe dialogique qui postule que le discours d’un locuteur est chargé de transmissions et d'interprétations des paroles d'autrui.
Le portail Agonia, formé de plusieurs communautés culturelles, dont la communauté qui fait l’objet principal de notre étude, la communauté française, nous permettra de mieux cerner le lien entre interaction, dialogue entre membres-scripteurs, et dialogisme, qui réfère aux dialogues avec des discours antérieurs et à l’anticipation, par le scripteur, de l’interprétation de sa production. Pour déceler, dans la matérialité des commentaires des membres du site, les traces des deux types de dialogues, nous en appelons à un deuxième concept bakhtinien, celui de polyphonie. La visée de notre travail est pratique mais aussi théorique. Nous formons ainsi l’hypothèse que la dimension dialogique, qui fait que tout discours soit traversé par l’altérité, et la dimension « dialogale », qui suppose que tout discours est animé d’une intention, se laissent voir dans le processus de réception et de production du discours. D’une manière plus générale, nous disons que la relation au discours d’autrui est différente selon qu’on se place du point de vue du récepteur ou de l’émetteur. Cette relation est subie par le récepteur et assumée par l’émetteur. Dans le premier cas, elle est source d’altérité, dans le second, elle est l’expression d’une identité. Concernant la visée pratique, nous entendons montrer que la communication sur le site passe par l’appropriation d’un certain nombre de règles écrites, mais aussi non écrites, qui émergent de l’interaction verbale. Plus exactement, la communication aboutit si le degré d’appropriation des règles est élevé et elle échoue dans le cas contraire. Dans notre optique, l’appropriation des règles constituent le background culturel et idéologique des membres du site. La partie théorique comporte un bref aperçu de la théorie bakhtinienne du dialogue et des échos qu’elle a suscités et un essai de redéfinition de l’identité et de l’altérité dont le but est non pas tant de nous démarquer de la démarche bakhtinienne et de ses développements que de mettre les accents différemment. Nous commencerons quand même par donner les raisons pour lesquelles nous avons choisi le portail littéraire Agonia au détriment d’autres . Tout d’abord, il est à l’image de la société actuelle ; il est marqué par un fort brassage des cultures, des langues, et par conséquent des identités. Il abrite, plus précisément, 10 communautés linguistiques différentes, et grâce à la possibilité de traduire en ligne chaque texte, personnel ou non personnel, il assure l’interrelation entre les communautés. Ensuite, il existe sur cette plateforme une statistique, mise à jour automatiquement, qui permet de voir où se situe chaque communauté par rapport aux autres en termes d’activité. Cela nous a permis de constater que l’usage du français dans le domaine de la littérature est en bonne position et que la communauté littéraire en général n’est pas prête à céder au monolinguisme. Enfin, le portail Agonia est ouvert à toutes les formes d’écriture, est un espace de liberté. Mais il s’agit d’une liberté régie par des règles, des règles écrites et non écrites, dont l’appropriation contribuent à la constitution du background culturel et idéologique de chaque membre. Et, en tout dernier lieu, il n’est peut-être pas négligeable de mentionner que le site Agonia a une bonne visibilité sur la toile. Bref aperçu de la théorie bakhtinienne du dialogue et des échos qu’elle a suscités Par certaines de ses idées, Mikhaïl Bakhtine préfigure l’approche énonciative. Il considère ainsi que c’est l’énoncé et non pas la proposition, prise isolément, qui constitue la base de tout échange interpersonnel. Pour ce qui est des raisons qu’il convoque pour le prouver, elles font l’originalité de son approche et continuent d’alimenter une importante réflexion épistémologique. L’énoncé, dit le théoricien russe, est pris dans un réseau de relations, les relations avec les énoncés antérieurs, produits par rapport à un même objet, et les relations avec l’interlocuteur, pour qui l’énoncé est une réponse et chez qui il cherche à susciter une réponse. « Se constituant dans l’atmosphère du “déjà dit”, le discours est déterminé en même temps par la réplique non encore dite, mais sollicitée et déjà prévue » . (Bakhtine M., Esthétique et théorie du roman, p. 103) Ces relations, qui pénètrent à l’intérieur de l’énoncé, peuvent s'établir à l'égard d'un mot isolé aussi, « si celui-ci est perçu non en tant que mot impersonnel de la langue, mais en tant que signe de la position interprétative d'autrui ». (Bakhtine, M. La poétique de Dostoïevski, p. 241-242.) Notre parole, dit encore Bakhtine « est remplie des mots d'autrui et nos énoncés sont caractérisés à des degrés variables par l'altérité ou l'assimilation, par un emploi identique ou démarqué, retravaillé ou infléchi des mots d'autrui »( Bakhtine, M. , Esthétique de la création verbale, p. 296) Tourné non seulement vers l’objet de l’énoncé mais aussi vers le discours d’autrui portant sur cet objet, l’énoncé bakhtinien est bi-directionnel: „L’expression d’un énoncé est toujours, à un degré plus ou moins grand, une réponse, autrement dit : elle manifeste non seulement son propre rapport à l’objet de l’énoncé, mais aussi le rapport des locuteurs aux énoncés d’autrui » (Nølke, H, Types d’êtres discursifs, p. 81-96) Chargé de transmissions et d'interprétations des paroles d'autrui, l’énoncé bakhtinien est traversé en permanence par l'altérité, y compris l’alterité du sujet parlant, qui peut se dédoubler pour gloser son propre énoncé. Dans ce que Bakhtine appelle le réel du dialogue, les répliques du dialogue extérieur interfèrent avec celles du dialogue intérieur, et cette interférence peut être consonante ou dissonante. Plus récemment, Ø. Gjerstat parle d’ « orientation dialogale » de l’énoncé, qui marque l’alternance des tours de parole, et donc l’alternance de locuteurs distincts , et d’ « orientation dialogique », qui se rapporte aux relations que les énoncés entretiennent entre eux. Le virage épistémique opéré par l’œuvre bakhtinienne se fait sentir dans l’approche du sujet parlant aussi. Celui-ci est censé partager le sens avec ses interlocuteurs, ce qui fait que la parole ne soit plus un lieu d’émergence de l’individualité mais la manifestation d’une activité collective. Mais ce n'est pas tout. Pour Bakhtine, l'auteur d'un énoncé « ne peut jamais s'en remettre tout entier, et livrer toute sa production verbale à la seule volonté absolue et définitive de destinataires actuels ou proches . » (Bakhtine, M. , Esthétique de la création verbale. p.337 ) Tout dialogue se déroule en présence d'un troisième participant invisible qui se situe au-dessus des participants que sont le locuteur et son destinataire immédiats. Cette troisième instance dialogique, qui n’est pas l'autrui singulier de l'intersubjectivité, inscrit l’échange verbal dans la « grande temporalité ». Elle peut ainsi être « Dieu, la vérité absolu, le jugement de la conscience humaine impartiale, le peuple, le jugement de l'histoire, la science, etc.) ». (Bakhtine, M. , Esthétique de la création verbale. Paris , Gallimard, p.337) Pour nous, ce sur-destinataire, comme l’appelle Bakhtine, est le background culturel et idélogique de chaque membre du site Agonia. Et ce sur-destinataire, qui est transpersonnel, fait que le dialogue avec les autres membres du site aboutisse ou bien échoue. Pour ce qui est des concepts bakhtiniens de polyphonie et de dialogisme, ils ont investi le champ des sciences humaines et ont marqué les sciences du langage, tout particulièrement la linguistique du discours. Jacques Bres et les praxématiciens ont ainsi développé une conception du dialogisme dans le cadre d’une théorie qui se propose de saisir le sens non pas comme produit fini, cristallisé, mais dans le processus dynamique de sa production. Pour les promoteurs de cette théorie, le passage de la langue à la parole est un acte et cet acte exige du temps. Ce temps au cours duquel s’exerce l’activité langagière est analysé en trois instances: l’à dire, le dire et le dit. L’à dire détermine le dire et se trouve à son tour contrôlé par le dit. Le lien entre les trois instances peut être saisi à travers les traces qu’il laisse sur le dit. Ces traces, selon les dires de Robert Vion, membre de l’équipe AFL (Analyse des Fonctionnments Langagiers ), sont l’effet sur l’énoncé du principe dialogique qui veut que que toute parole soit traversée de discours antérieurs et de l’anticipation de sa réception. La polyphonie bakhtinienne a été reprise par Oswald Ducrot, qui a distingué entre locuteur, instance responsable du contexte énonciatif immédiat et de l’acte de langage produit, et énonciateur, instance abstraite, équivalent du personnage dont le locuteur cite le point de vue en s'en distanciant ou non. Grâce à cette distinction, le linguiste français est parvenu à expliquer aussi bien des faits de discours comme l’ironie que des faits de langue comme la négation. Mais les énonciateurs ducrotiens, mis à part les formes de discours rapporté, sont le plus souvent non identifiables. Ils « peuvent manifester des points de vue sans que, pour autant, on puisse leur attribuer des mots précis ; s’ils « parlent », c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas au sens matériel du terme, leurs paroles » . (Ducrot, O., Le dire et le dit, p. 204.). La ScaPo-Line (la théorie SCAndinave de la POlyphonie LINguistiquE) s’intéresse, de son côté, à l’ancrage formel de la polyphonie, aux contraintes linguistiques qui régissent son interprétation. Son but est ainsi de décrire des phénomènes comme la négation, le clivage et les connecteurs argumentatifs. La théorie polyphonique scandinave a cependant en commun avec l’approche ducrotienne le fait de concevoir la coexistence de «voix” selon un modèle hiérarchique, et donc le fait de situer le locuteur au centre déictique de l’énoncé. D’autres développements bakhtiniens remettent en cause l’unicité du sujet parlant. C’est le cas de l'école de Genève d'analyse du discours pour laquelle la polyphonie se reconnaît à la co-présence de plusieurs locuteurs et non d'énonciateurs purement abstraits. Il y a ensuite pas mal de polyphonistes, français ou scandinaves, qui cherchent à concilier des choix théoriques différents. L’objectif de Øyvind Gjerstad, par exemple, est de prendre appui sur la perspective discursive de la praxématique, en vue de compléter une analyse linguistique basée sur la ScaPoLine. « Une voix ainsi identifiée peut correspondre à un énoncé antérieur ou anticipé, ou bien à un contenu propositionnel qui ne relève pas d’un acte d’énonciation, mais dont la source est inférée à partir de connaissances sur un individu ou une collectivité susceptible d’être associé à un tel contenu. » (Gjerstad Ø., La polyphonie discursive : Les voix de la langue et de l’interaction) En ce qui nous concerne, nous partageons la position de Robert Vion qui dit que «Le dialogisme est un principe général qui caractérise le langage alors que la polyphonie concerne les effets sur l’énoncé et le discours d’un dialogisme montré ou affleurant. » Avec un bémol toutefois, qui se précisera lors de la deuxième partie de notre approche théorique. Essai de redéfinition de l’identité et de l’altérité Dans cette partie de notre travail, on s’est proposé de construire une explication de l’identité et de l’altérité à partir de trois évidences : 1. notre moi change à tout instant ; 2. à tout instant nous sommes nous-mêmes ; 3. nous sommes, mais nous n’avons pas toujours été et nous ne serons pas toujours. Avec les deux premières évidences, on est en pleine aporie. Pour s’en sortir, tout en évitant les dualismes, on a choisi de se placer au cœur du processus de production réception, processus qui suppose un agent et un patient, un agent qui devient patient et un patient qui peut à son tour être agent. Reste à savoir quand nous sommes nous-mêmes, en tant qu’agent ou en tant que patient. Pour cela, on se rapportera tour à tour aux deux volets du processus mentionné plus haut. Dans le sens de la réception il y a un double mouvement : de l’extérieur vers nous et de nous vers l’objet de notre réception. Par le second mouvement, qui est intérieur, l’objet est modifié en accord avec nos propres données, par le premier mouvement, nous-mêmes nous sommes sujets à modification, nous devenons autres. Dans le sens de la production, nous agissons en accord avec cet autre que nous sommes devenus entre temps. Autrement dit, nous agissons en accord avec nous, nous sommes nous-mêmes. Un premier regard porté sur le processus de production réception nous a révélé ceci : on est soi-même en tant qu’agent et on est autre en tant que patient. Il n’y a donc pas contradiction à dire que notre moi change à tout instant et qu’à tout instant nous sommes nous-mêmes. Cette réponse fait en revanche surgir une autre question: Est-ce que nous sommes nous-mêmes dans le résultat de nos actions aussi? Autrement dit, est-ce que nous sommes nous-mêmes dans nos réussites ou dans nos échecs ? Pour répondre à cette question, on prendra appui sur deux exemples? Un individu veut flatter son chef et il y parvient. Pour avoir fait ce qu’il voulait, on peut dire qu’il est lui-même ? Un autre individu veut se promener et il le fait, mais à un moment donné, il marche dans une flaque. Est-ce qu’on peut dire qu’il est en accord avec lui en faisant cela ? Ce qui est sûr c’est que l’individu qui a flatté son chef comme celui qui s’est promené ont agi en accord avec eux, ont été eux-mêmes. Mais alors que le premier a agi en accord avec lui et avec son chef, le deuxième a agi en accord avec lui et en désaccord avec la réalité de la route. Or l’accord ou le désaccord avec la réalité autour de nous ne dépend pas de nous en tant qu’agents, mais de nous en tant que patients. Le premier individu est ainsi parvenu à flatter son chef parce qu’il le connaissait bien, alors que le deuxième a marché dans la flaque, parce qu’il ne l’avait pas vue. La distinction entre l’hypostase d’agent et celle de patient est d’autant plus importante que sa valeur n’est pas seulement explicative mais aussi ontologique. Reste à savoir comment on passe du rôle d’agent à celui de patient et inversement. Pour cela on récapitulera ce qu’on sait déjà. Et on sait que le fait de devenir patient est en rapport avec un mouvement qui ne dépend pas de nous, le mouvement qui s’exerce sur nous de l’extérieur. Le fait d’être agent dépend en revanche de nous, est en rapport avec notre volonté d’agir. Pour voir plus clairement comment se passent les choses, on partira d’un constat qui est à notre portée: il n’y a pas d’expérience neutre. Et cela à trait à la relation que nous établissons avec les choses hors de nous dans le processus de réception. Cette relation, qui peut aller de la compatibilité la plus totale jusqu’à l’incompatibilité la plus absolue, génère notre volonté de faire une chose ou de ne pas la faire ou de faire une chose plutôt qu’une autre. Elle n’explique pas pour autant pourquoi certains de nos actes atteignent leur but alors que d’autres le manquent. En fait, seul le passage à l’acte dépend de notre volonté. En ce qui concerne le résultat de l’acte, il dépend aussi des moyens dont nous disposons pour l’accomplir. Quand nous sommes jeunes, par exemple, notre volonté d’agir est grande, mais nos moyens d’action sont encore pauvres. Quand nous sommes âgés, nous avons les moyens mais la volonté ( ou l’énergie) fait souvent défaut. Par la suite, on verra en quoi consiste nos moyens d’action et comment nous faisons pour nous les procurer. Les moyens d’action sont les données de notre expérience et ils résultent de la même relation qui génère notre volonté de faire ou de ne pas faire une chose ou de faire une chose plutôt qu’une autre. Ou pour être plus précis, les moyens d’action sont le résultat de la mise en rapport des stimulations qui s’exercent sur nous de l’extérieur avec les informations similaires que nous détenons déjà. Les similarités confèrent aux nouvelles données la généralité qui nous est nécessaire pour reconnaître que telle tasse, par exemple, est une tasse ou que la tasse dont nous nous servons est celle dont nous nous sommes déjà servi. Sur fond de similarités, se détachent les particularités qui nous sont nécessaires pour identifier une tasse entre les autres ou la différence entre la tasse dont nous nous servons et cette même tasse dont nous nous sommes déjà servi. Donald Davidson, à la suite de W. V. Quine, dit que le mental a un caractère holistique, que ses contenus ne peuvent pas être déterminés isolément : « …nous ne pouvons comprendre les croyances particulières que dans la mesure où elles sont intrinsèquement liées à d’autres croyances, à des préférences, à des intentions, espoirs, peurs, attentes, et autres états mentaux. Cela ne tient pas seulement, comme dans le cas de la mesure de la longueur, au fait que chaque cas particulier confirme une théorie et dépend d’elle, mais au fait que le contenu d’une attitude propositionnelle dérive de la position qu’elle occupe dans la trame générale. » (Davidson, D., Actions et événements, p. 297) Expliquer le caractère individuel, daté de l’expérience mentale à partir de la place qu’elle occupe c’est implicitement prendre en compte le moment où elle s’est produite. Mais on ne peut déterminer ce moment que dans un autre moment, ce qui fait que l’expérience change de place et donc d’environnement. Et cela donne finalement une autre expérience. Davidson a raison de dire que l’expérience mentale, en tant qu’expérience datée, n’est pas connaissable, mais il a tort de soutenir que cette expérience n’est pas une expérience type aussi. En fait, on a affaire ici aux deux faces d’une même expérience. Qui plus est, toute expérience a une charge positive ou négative selon que la relation établie avec les choses hors de nous est une relation de compatibilité ou d’incompatibilité. En termes psychologiques, on dira que l’expérience s’accompagne toujours d’un état plus ou moins bon ou plus ou moins mauvais. Cet état explique la volonté de continuer une expérience ou de l’abandonner. La continuation, dans le premier cas, nous rapporte d’autres moyens d’action (et donc d’autres expériences utiles), l’abandon, dans le deuxième, nous évite d’autres dégats (et donc d’autres expériences nuisibles). D’où il résulte que l’état qui accompagne l’expérience est responsable du passage de l’hypostase de patient à celle d’agent, alors que le passage inverse réclame une stimulation externe. Le rapport entre la volonté d’agir et les moyens d’action est d’autant plus important qu’il engage la troisième évidence, celle selon laquelle nous sommes, mais nous n’avons pas toujours été et nous ne serons pas toujours. Pour déterminer ce rapport je vais convoquer une autre série de faits évidents pour nous tous : Plus nous avons de moyens plus la chance d’accomplir notre désir est grande. Plus notre désir est fort plus la chance de nous procurer les moyens pour l’accomplir est grande. Ou pour le dire autrement, les moyens, s’ils sont suffisants, servent notre désir, le désir, s’il est fort, crée les moyens. Et pourtant un autre fait, tout aussi évident, va à l’encontre des premiers. Plus le nombre de moyens augmente plus la force du désir diminue. C’est ce qui arrive en cas de fatigue ou de vieillesse. Nous avons établi jusqu’ici que les données de notre expérience sont autant de moyens d’action. Nous avons établi aussi qu’avec chaque donnée nous devenons autres. La question maintenant n’est pas de savoir s’il existe des limites à ce devenir, car nous savons déjà que nous ne serons pas toujours. La question est de savoir dans quelles limites nous pouvons devenir autres ou quelles sont les limites au-delà desquelles nous ne sommes plus nous-mêmes ou nous perdons notre statut d’agent Il existe un donné, reçu en héritage de nos parents, qui est notre donné initial ou notre potentiel inné. C’est dans ses limites que nous devenons autres. Ces limites une fois atteintes, le lien entre celui que nous sommes devenus et celui que nous étions avant est rompu. Cela veut dire nous ne pouvons plus passer du rôle de patient à celui d’agent. Or nous ne sommes identiques à nous-mêmes qu’en tant qu’agent. On peut se demander ce qui fait que ce lien se casse. C’est le trop grand nombre d’acquis ou une charge énergétique qui déborde l’inné. Cette démarche théorique nous a permis de constater ceci: nos actes, y compris nos actes de parole, sont soit l'expression de l'accord avec soi et avec la réalité autour de soi, soit l'expression de l'accord avec soi et le désaccord avec la réalité autour de soi. L'accord ou le désaccord avec la réalité, quant à lui, passe par la perception de la réalité, qui est préalable à l'acte. Aussi dans le cas d'une action, qui comporte plusieurs actes, faut-il prendre en compte non seulement la perception de la réalité qui précède l'action, mais aussi la perception de la réalité qui précède chaque acte. Cette dernière permet d'adapter le vouloir agir aux moyens d'action comme elle permet de changer de vouloir agir. Mais en changeant de vouloir agir, on change d'action aussi. Pour résumer, la réussite ou l'échec d'une action se joue dans le rapport entre le vouloir agir et les moyens d'action. Le vouloir agir garantit l'unité de l'action, les moyens d'action, selon qu'elles sont riches ou pauvres, contribuent à sa réussite ou a son échec. Le trop grand nombre de moyens d'autre part, limite la disposition à l'action. Or seule cette disposition garantit l'identité, alors que les moyens d'action sont source d’enrichissement mais aussi d'altération. Commentaires postés sur Agonia² - Analyse 1. Une réponse sur mesure E., j'ai cru à une femme ”rassée”, mais comme le mot... n'existe pas (???), je suis desolé, ce n’est pas le cas! ………………………………………………………………………………….. Juste comme ça, parmi d'autres, je vis à Montréal depuis mai 1982 et j'ai fait des études universitaires là-bas (ici!). Vous? PS ... A part le fait que la poésie n'est pas mon métier, plutôt la médicine comparative, […] Bien à vous! L’intérêt de la première partie du commentaire consiste dans la convocation d’un commentaire antérieur („Mais cette strophe aussi manque d’intelligibilité, ce qui n’étonne pas beaucoup, étant donné que vous utilisez, entre autres, le mot rassé, qui n’existe pas […]») Par la proximité entre „rassée” et „racée” ainsi que par la construction syntaxique, l’auteur confère à son expression une charge ludique et subversive importante et réussit à prendre avantage de l’utilisation incorrecte du mot. Dans la deuxième partie, l’auteur oppose son parcours méritoire et à celui supposé insignifiant de son allocutaire. „Vous?” est ainsi le siège d’une double instance, la première qui pose la question et la seconde qui laisse entendre que, rapporté à tout ce que „je” a fait, „vous». n’a pu faire grand-chose. Par le titre, „Une réponse sur mesure”, l’auteur délègue au commentaire antérieur toute responsabilté pour d’éventuelles dérives. Ainsi, le dialogisme interdiscursif transforme-t-il ce commentaire en un lieu d’affrontement. Finalement, pour garder la face, l’auteur délaisse le rôle de poète pour endosser celui de médecin comparatiste. Et avec cela, il déserte le site. De toute façon, avec les attaques „ad hominem” et avec la mise en avant de la vie personnlle au détriment des textes postés sur Agonia, il avait enfreint les règles du site. 2. Rendons a César Merci A. de ce commentaire intéressant et pertinent sur Jacques Prévert, qui est un poète que j'apprécie et sur lequel j'avais fait quelques recherches biographiques. Notamment sur internet... J'ai donc eu une curieuse impression de "déjà-lu" en découvrant ton article, dont il me semble que tu as omis de citer la source (je te laisse de soin de le faire). Il n'est pas interdit de diffuser des textes et des articles de presse dont le contenu nous parait susceptible d'intéresser les autres lecteurs d'Agonia (Nicole Pottier et Marlena Braester, par exemple, le font souvent et je les en remercie), sous réserve de respecter les droits de copyright et de ne pas s'approprier le travail des autres. La vérite de parole, qui est l'enjeu de toute Poésie authentique, commence là aussi... Dans ce commentaire c’est la non-coïncidence recherchée entre le mot et la chose qui relève de la polyphonie. En fait, ce n’est pas l’article de A. qui est „intéressant et pertinent”, mais la source de l’article que A a omis de citer. Ce procédé contamine le syntagme „Poésie authentique”, qui perd ainsi ses couleurs, et le titre du commentaire devient „Rendons à l’auteur (ce qui lui appartient)”. Les négations dans la phrase « Il n'est pas interdit de diffuser des textes et des articles de presse[…]”marquent la réfutation d’un point de vue que l’allocutaire pourrait supposer être celui du locuteur. Pour prouver qu’il n’y est pour rien, ce dernier apporte des arguments « (Nicole Pottier et Marlena Braester, par exemple, le font souvent et je les en remercie)”. En même temps il rappelle les conditions liées à cette pratique « respecter les droits de copyright et de ne pas s'approprier le travail des autres». On est ici en présence d’un dialogisme interlocutif, par lequel le locuteur anticipe sur la réponse potentielle de l’allocutaire qu’il essaie par la même occasion de façonner. Mais il faut dire que le dialogisme interdiscursif ne manque pas non plus. Le «il» de « Il n'est pas interdit » est la marque du „non-locuteur” qui est le règlement du site Finalement, le membre visé par le commentaire a reconnu son tort et a cité la source. 3. pudeur l'image finale est très inspirée et crédible elle concentre tout le frisson de l'émotion qui est très sensuelle et féminine et attenue l'impact des verbes moins "politiquement corrects"(je lèche, je renifle ) qui pourraient choquer les âmes trop pudiques... Chère A. J'espère que les verbes audacieux ne troubleront pas l'esprit de mes lecteurs. Merci, A. de nouveau, votre commentaire souligne l'idée de sensualité, malhereusement, non si fière qu'autrefois. Dans le premier commentaire, le segment « politiquement corrects » cumule deux niveaux sémiotiques : il est utilisé en mention, ce qui est marqué par les guillemets, et il est utilisé en contexte pour qualifier les verbes qui « pourraient choquer les âmes trop pudiques... ». C’est un cas d’énonciation dédoublée, qui permet au locuteur de commenter son dire. Le procédé mis faveur est connu sous le nom de modalisation autonymique. En ce qui concerne la réponse au commentaire, elle est traversée de bout en bout par la polyphonie. Tout d’abord, « mes lecteurs » convoque « vos lecteurs » pour laisser entendre que le locuteur et l’allocutaire ont des lecteurs différents, avec peut-être des horizons d’attente différents. Quant au commentaire dont il est question dans le segment « votre commentaire souligne l'idée de sensualité », il est plutôt « en mauvaise posture ». Une fois parce qu’il pourrait contrarier « les âmes pudiques », une autre fois parce qu’il n’assume pas vraiment la sensualité. Le modalisateur « malheureusement » contribue en ce sens à complexifier le positionnement du locuteur en même temps qu’il ancre le commentaire sur ce que Robert Vion appelle extérieurs discursifs. Ici les temps d’autrefois. 4. "Des mots qui se taisent et qui creusent..." oui... la nostalgie existe bien dans toutes les langues. Saudade, en portugais, avec sa façon bien particulière d'être prononcé, évoque tout à fait le "dor" roumain pour moi. Das tut mir weh : cela me fait mal, et cela me fait mal au "heim" (le foyer) qui donne aussi "Heimat" la patrie. Bien sûr, je respecte ta traduction et ton choix. D'autant plus que le titre est très joli "Le dernier dor" Merci pour cette explication avec l'appui de Kundera... Dans ce commentaire, les modalisateurs « oui » et « Bien sûr » permettent au locuteur d’adosser ses énoncés aux discours antérieurs et de brosser un tableau des langues d’autant plus impressionnant que chaque langue se laisse traduire dans d’autres tout en préservant son identité. Comme les langues, leurs locuteurs sont porteurs d’un point de vue, d’un style qu’il faut respecter. « Bien sur ». Pour conclure, le tout premier texte est l'expression de l'accord de l'auteur avec soi, avec la façon négative dont il a reçu le commentaire à son poème posté sur Agonia. Mais il est également l'expression du désaccord avec la réalité du site et ses règles. On dira autrement que les moyens d'expression n'ont pas suivi le vouloir dire, que la constitution du background culturel et idéologique de l'auteur était "en chantier". Le deuxième texte aussi est l'expression de l'accord de l'auteur avec soi, avec son grand respect pour l'écriture. Mais il est également l'expression de l'accord avec la réalité de l'autre. Rien donc d'étonnant que son texte ait atteint son objectif. Dans les deux textes suivants, chaque auteur réussit à bien gérer son désaccord avec la vision des choses de l'autre, et avec son style. Ils parviennent ainsi à trouver le rapport juste entre leur vouloir dire et leurs moyens d'action. Avec le dernier texte, on peut parler d'un background culturel et idéologique pleinement constitué. Un discours est en effet l'expression du lien avec des discours antérieurs portant sur le même sujet. Mais, implicitement, il est l'expression du lien avec les faits antérieurs ayant généré le sujet. Le lien avec la réalité linguistique, comme avec la réalité extra linguistique, est un préalable de l'acte, et ce lien qui va au delà de la langue, et donc du dialogisme, pour récupérer le référent, s'établit dans le processus de réception. Notes 1. Le terme de non-locuteur fait partie de l’appareil conceptuel de la La ScaPo-Line 2. L’auteur du commentaire est marqué par l’initiale de son prénom Bibliographie Bakhtine, M. La poétique de Dostoïevski. Paris, Points Seuil, 1970 a Bakhtine, M., Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par Daria Olivier, Gallimard, Paris, 1975 Bakhtine, M. , Esthétique de la création verbale. Paris , Gallimard, 1984 Bakhtine, M. La poétique de Dostoïevski. Paris, Points Seuil, 1970 a, p. 241-242. Bres, J., Brève introduction à la praxématique, In: L'Information Grammaticale, N. 77, 1998 Davidson, D., Actions et événements, Presses universitaires de Paris, 2008 Ducrot, O., Le dire et le dit, Les éditions de minuit, 1984, p. 204. Vion, R., Polyphonie énonciative et dialogisme, http://www.praxiling.fr/IMG/pdf_Vion1.pd Portail Agonia-section française http://francais.agonia.net Gjerstad Ø., La polyphonie discursive : Les voix de la langue et de l’interaction, http://www.praxiling.fr/IMG/pdf_gjerstad1.pdf Article publié dans « Actes du colloque international, Journées de la Francophonie, XIX édition, Iasi, 2014 » |
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