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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2014-07-13 | | J'ai récemment eu la chance, invité par le poète Marcel Migozzi, de pouvoir visiter l'atelier de Serge Plagnol dont je ne connaissais jusqu'à présent que quelques œuvres accrochées de manière temporaire aux cimaises du musée des Beaux-Arts de Toulon (musée dont la riche collection est offerte trop parcimonieusement et aléatoirement à la vue du public). Ce qui frappe le regard, en pénétrant dans l’ancien entrepôt industriel dont Serge Pagnol a fait son atelier, ce sont, au-delà des nombreuses toiles rangées verticalement sur plusieurs épaisseurs, les grands tableaux qui trouent dans l’épaisseur des murs d’étranges fenêtres ouvertes sur des paysages mouvants comme des paysages mentaux. Quelque chose de profondément tumultueux bouillonne dans le tableau où les couleurs paraissent agitées de remous tandis qu’elles s’étagent ou se répartissent en mares, en prairies, en arbres et en vallons aux contours sinueux et entrelacés. Qu’est-ce ? On dirait la terre première du temps de la Genèse, où le peintre comme un démiurge chercherait à accoucher, dans les convulsions de la matière picturale, des formes latentes qui s’ébauchent dans les lignes de force de sa composition. Des droites soulignées de noir et des strates, où les couleurs se décantent en même temps qu’elles se nuancent d’ocre, avouent l’intention d’organiser la violence chaotique des couleurs comme, aux premiers jours du monde, l’Eden est né de la séparation du ciel et des eaux dans l’éclat du "fiat lux". Ici, le monde semble encore terraqué, tant les couleurs sont diffuses comme sur la surface d’un étang où stagneraient encore quelques flaques de nuit, et malléable, comme un magma qui se fige en se refroidissant et couvre d’une paupière opaque l’éclat aveuglant de son or liquide. Pour le spectateur immobile qui contemple le tableau et s’immerge peu à peu dans ce monde en construction, dont le mortier est peut-être son regard qui structure, en acteur bien plus qu’en témoin, la matière brute en mouvement donnée à voir par le peintre, la violence qui prenait source dans la puissance explosive des couleurs peu à peu s’apaise en même temps que s’impose le sentiment d’une nature primitive qui cherche à s’organiser en paysage où l’homme trouve sa place. Outre les arbres qui jaillissent du sol comme des tridents lumineux, on distingue dans le tableau des silhouettes aux contours indistincts, presque transparentes comme des formes lointaines discernées à travers les vibrations de l’air surchauffé et dissoutes dans l’excès de lumière. A mi-chemin de l’absence et de la présence, un peu comme une ombre enfouie ou une empreinte en creux témoignant du passage d’un corps, ces figures sont des couples aux postures évocatrices d’échos antiques ou d’hommages aux maîtres de la peinture (les baigneuses de Matisse, par exemple) ; elles semblent des fantômes qui entremêlent les époques et superposent, à la représentation de cet Eden en genèse, un paysage du temps, éternisé et libéré de l’enchaînement des siècles. Et au sentiment initial de trouble et de violence qu’avait suscité la disposition des couleurs succède un sentiment d’harmonie car les formes humaines ou naturelles ne sont pas ici dissociées : elles composent un même ensemble intimement lié à la matière du tableau fait de couleurs à la fois superposées et juxtaposées. Et ces couleurs où dominent le vert sombre, le jaune d’or, le bleu (variable comme le ciel), font écho au monde réel, habité de ces mêmes couleurs et irriguées des présences amies évoquées par Serge Plagnol, qui sont profondément méditerranéennes. Cette peinture n’est pas une peinture d’atelier qui eût pu être faite en tout autre lieu : elle puise sa vigueur dans le monde qui l’entoure et cristallise sur la toile son éternité atemporelle.
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