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■ Les saisons
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2013-05-26 | | De son grand manteau vert, une aurore boréale couvre la ville comme un sourire d’enfant. Depuis que j’ai du sang bangladais sur mes vêtements, je traverse Charleville tout nu, et seul le désir de rencontrer mes semblables dans leurs différences m’habille de son image floue. Mon pas-de-porte ouvre sur l’autre ; mon pas me porte plus loin comme les ailes de l’oiseau et comme le pinceau du calligraphe, il me trace à mesure que je parcours sans mesure les rues à la recherche de l’humain et de quelque moi-même dans l’autre. Depuis que j’ai du sang sur les mains, je marche humblement vers moi, dans les propres pas de quelque Dieu de passage, et seule la compassion l’emporte sur la contrition. Depuis que j’ai du sang dans l’œil, je regarde la vie avec un tout autre regard. Depuis que j’ai du sang dans l’oreille, je n’entends plus de la même manière le bruissement des lèvres porté par le souffle du vent, je tente d’écouter ! Fini les tee-shirts made in lointain, car l’ailleurs est ici en moi et je me revêts de textes chauds en lieu et place de textile ensanglanté. La plume seule peut me vêtir de bons mots pour que l’écharpe du phrasé me couvre de son rien ; dans cette nudité je retrouve l’innocence de mes cinq ans et toute cette candeur qui seule peut se jouer des autres, du ciel et de la terre. Dans la fraicheur du matin, en caleçon de peau moite, je traverse la ville, simplement, dans le plus modeste des appareils de poète, mais ce n’est pas un matin comme un autre, et je peux même vous dire que les matins à venir ne seront plus jamais les mêmes ! Je redeviens l’indien revêtu seulement de la plume de l’aigle ; Robinson faisant naufrage sur son île déserte, exhibant ma pâleur aux passants consternés, avec mon carquois rempli de mots d’enfant, narquois et joueur comme un jeune singe croisant la peuplade des cités, chevauchant le rêve, rencontrant les tribus de banlieue et mille citadins et indigènes apeurés . Petit enfant regardant le triomphe du jour sur la nuit qui s’efface. Dans les limbes, nouveau-né de ce grand matin, sans lange et sans haillon, dans l’harmonie des ombres, entre le zénith et l’obscurité, couvert d’un simple mouchoir, je pleure les victimes du monde, les martyrs de l’extrême et les souffre-douleurs des fondamentalismes. Entre la guerre des foulards et le linge à thé, entre la camisole de force et le dernier string à la mode, je vide ma garde-robe devenue inutile, et mes opinions devenues obsolètes. Cousu main ou brodé, à fleurs ou à damier, de maille ou de flanelle, avec ou sans couture, le seul trousseau qui vaille c’est celui de l’amour, celui que l’on porte à soi pour le porter aux autres, comme si l’on portait un vêtement d’amour tout cousu de tendresse et de miséricorde. Enfant nomade, voyageant à dos de nénuphar, nu d’identité et de toute relation, moine ermite, me baignant avec de saintes nymphes dans le creux des sources claires, déshabillé de mes diplômes, dévêtu de mes expériences, de mes croyances et de mes idées fixes, je vivrais jusqu’au bout ce dépouillement, cette dépossession sans fin du cœur, de l’âme et du corps, buvant le nectar des fleurs et me nourrissant de simples contemplations. Échoué à corps perdu dans l’abandon progressif, candide à corps vautré dans les eaux bleues d’un lagon, en tenue naturelle, comme le premier Adam ou comme l’enfant qui naît, j’entrerais en moi par la porte de l’oubli. Les cheveux longs dans le vent je rechercherais l’essentiel. Découvert de pied en cap, laissant ma carnation prendre la lumière des étoiles voyeuses, je me montrerais sans voile, sans idées et sans conviction aucune, pour cacher mes manques et toutes mes pauvretés humaines, dépouillé de tout complexe, in naturalibus, tout nu comme les premiers vers d’Arthur Rimbaud. Et avec ce dernier, à travers les villes dévastées, je demanderai aussi pardon de m’être nourri durant tant d’années de mensonge et de convictions (1) (1) en référence à la Saison en Enfer (1873) |
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