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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2013-01-09 | |
illustration : "Naturalisation", composition R.Reumond 2013.
Parole de chevreuils empaillés et de momies tristes et moisies par le temps, que ne ferions-nous pas pour nous survivre à nous-mêmes, pour prolonger notre notoriété, nos images illusoires et nos pensées lumineuses de stars ordinaires, en perpétuant jusqu’à nos ombres les plus fades ? Que ne ferions-nous pas pour mériter ou pour gagner l’immortalité, et prolonger ainsi de quelques mirages nos illusions jusqu’aux confins des apparences ? À l’instar du professeur Gunther Von Hagens avec ses préparations de cadavres, que ne ferions-nous pas aussi pour être encore un peu ? Un Docteur Frankenstein sommeillerait-il en chacun de nous, s’agitant en vain entre le monstre et la démonstration, entre Golem et faux-semblant, parce que la vie nous torture du dehors et qu’elle nous tiraille bien sûr du dedans ? J’ai des amis taxidermistes et anatomistes aussi, et je suis moi-même passionné de muséologie et fasciné par leurs opérations, par cette alchimie de paille et de formol. Naturaliser la vie, la mettre en bocal et en fiches, préparer la mort dans le but de lui conserver des apparences vivantes, afin de faire de cette science de la vie des mausolées de la mort, certains y trouvent du plaisir ! Entre l'art de la plastination et celui du rêve, entre les frictions et les réalités, nous voyageons sans cesse, laissant là quelques traces poussiéreuses, quelques citations exemplaires ou même quelques beaux livres épars, témoignages fragiles de notre vulnérabilité et de notre court passage sur Terre. Mais quelle est notre véritable identité ? Notre vraie nature ? Notre juste nationalité, notre bonne réalité ? Existent-elles en fait, ou rêvons-nous notre propre existence ? À quelle « part à dire » n’aspirons-nous pas de tout notre cœur de bête pour préserver outre-tombe nos relations les plus pures et nos attachements les plus désordonnés ? Notre petite personne, notre pauvre moi, sont tellement inquiets qu’ils exigent toujours plus de la vie, l’Infini et l’Éternité eux-mêmes, malgré leurs majuscules, ne suffiraient pas semble-t-il à combler ce Grand Manque ? Pourtant, ne sommes-nous pas tous un jour appelés à nous fondre dans l’Univers comme le sucre dans l’eau pour relever un peu le goût des choses en apportant un peu plus de conscience ? Notre vocation première n’est-elle pas d’ouvrir les yeux simplement sur nous-mêmes dans le Cosmos et sur les galaxies en nous-mêmes pour nous rencontrer, enfin ? Les jeunes aveugles dont je me suis occupé durant des années étaient déjà tellement bien accoutumés à leur état de non-voyant que très peut parmi eux aspiraient à « voir » comme vous et moi. Oui, nous voyons ou nous croyons voir, mais de notre côté du miroir, de notre côté de la lumière, ne sommes-nous pas appelés à tendre plus encore vers une douloureuse clairvoyance qui exige la dépossession totale des croyances erronées dont nous sommes les otages ? Un sage disait, « ils ont des yeux et pourtant ils ne voient pas ! », Oui, nous voyons déjà bien, ou pas trop mal, mais « Percer le voir » à nous crever les yeux, tel Oedipe pour arrêter de fusionner avec les apparences n’est-elle pas une invitation à la vraie vie ? Max Ernst, quant à lui, voyant parmi les aveugles, ne disait-il pas : "Telle est la vocation de l'homme : se délivrer de sa cécité." Ou encore, "C'est en se débarrassant de son opacité que l'univers se fond dans l'homme." Ce qui revient au même. Et Simone de Beauvoir de surenchérir en affirmant que "Pour désirer laisser des traces dans le monde, il faut en être solidaire." Simone et Max collaient vrai avec cette réalité ; si la mort est à la source de l’art, l’art lui-même est à la source de la vie, et acquérir un regard qui délivre reste parmi nous « Le grand Art » parmi les autres. |
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