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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-01-23 | | MB : Comment se porte la poésie en Israël aujourd'hui ? RS : L'état de la poésie ressemble à une serre : il y a des fleurs qui ont besoin d'un petit coup de soleil pour se parer de pétales et il y a des fleurs auxquelles le soleil doit faire la cour longtemps afin qu'elles se réveillent. Je ne suis pas un professeur d'agriculture, mais ce qui naîtra de la comparaison entre fleurs et poèmes, ce sera la beauté. MB : Comment caractérisez-vous l'écriture des jeunes poètes en Israël ? Est-ce que vous vous sentez proches d'eux ? RS : Les jeunes poètes sont nés dans l'intervalle entre la CNN et la MTV, et leur monde est un mélange où la langue du quotidien et la langue élevée se côtoient, où rien n'est ni important ni pas important et où la première loi de la poésie est que il n'y pas de lois. Mais il ne faut pas généraliser, je ne veux pas les transformer en un seul train qui avance sur les mêmes rails. Je me sens très proche d'eux, ils me rappellent moi-même à l'âge de dix-sept ans. MB : On sait que le public vous aime bien. Comment s'explique l'accueil si chaleureux et immédiat de votre public ? Quel est votre public ? RS : Partout, le public c'est l'oeil que mon regard tâche de capter. J'aime bien voir des yeux qui brillent. J'aime bien le public. Il me touche beaucoup. Je sens que le poème que je suis en train de lire sur la scène est une symphonie inachevée et que chacun de ceux qui l'écoutent peut y ajouter une ligne personnelle. Chacun peut prendre le poème vers un lieu qui lui appartient. Je suis un cowboy de la poésie : j'erre d'un endroit à l'autre en essayant de sortir le revolver du poème même là où il n'y a pas d'explosif poétique. MB : Quel est le public de la poésie en Israël ? Quelles sont les réactions du public en Israël ? RS : Je me souviens tout particulièrement d'une réaction très poétique à laquelle j'ai dédié un poème : « Remarque à la jeune fille qui racontait que son ami lui avait offert une serviette-éponge brodée des lignes d'un de mes poèmes d'amour » Tu t'essuies de moi et laisses les mots que j'ai écrits sur une autre embrasser l'eau qui dégouline de ton corps. Avec les serviettes je couds des voiles pour les proues des navires et j'attends que la tempête défonce en leur honneur les portes de la mer. » MB : Est-il comparable à d'autres publics dans différents pays ? RS : J'ai énormément de souvenirs de toutes les rencontres, mais le souvenir le plus exquis, jusqu'à aujourd'hui, est de Milan, de la section des détenues de la prison San Vittoria. Je les ai rencontrées dans la bibliothèque de la prison. Certaines d'entre elles ressemblaient aux vieilles dames du Comité des volontaires pour le soutien des soldats, d'autres avaient le clignement de l'oeil de la vendeuse qui vous convainc d'essayer un manteau dans l'une des boutiques de Milano et au moins trois d'entre elles avaient ce regard qui cite la moitié du fameux couple Bonny et Clyde. Dans leurs cellules il y avait plus de poupées et de nounours que dans la chambre de ma fille à l'époque où elle habillait et déshabillait les poupées Barbie. Je me rappelle qu'une femme avait traversé le couloir enveloppée d'une serviette-éponge. Ses cheveux sentaient le shampooing. J'ai baissé les yeux pour ne pas toucher à son intimité, mais elle ne m'a pas laissé l'occasion de l'ignorer. MB : A l'occasion des festivals de poésie, vous rencontrez beaucoup de poètes. Pourriez-vous nous parler d'une rencontre dont vous gardez un souvenir particulier ? RS : En 1993, j'ai été invité à un événement artistique à Lodz. L'horloge de la ville s'était arrêtée dans les années cinquante. Dans les rues ça sentait la vodka depuis un kilomètre ; on en vendait même dans des canettes arrangées dans les frigidaires des magasins à côté des Coca-Cola. L'octane de l'alcool était très élevé et les jeunes filles de dix-sept ans se sentaient obligées de s'excuser en y ajoutant du jus de pamplemousse. C'est là que j'ai rencontré Allen Ginsberg, dans la cantine de l'école d'hôtellerie. Ginsberg a demandé une salade et a reçu comme nous tous une montagne de pommes de terre. J'ai voulu lui dire qu'il était le père de ma nourriture à moi, mais devant les pommes de terre une telle phrase aurait semblé fade. Quelques heures après nous sommes montés sur la scène du musée des Artistes pour lire des poèmes. A la fin, j'ai dit à Ginsberg qu'il était les yeux ouverts de mon rêve américain et que je trouvais étrange de le rencontrer sous le ciel de la Pologne. Il a souri et m'a offert son recueil de poèmes en traduction polonaise. Au-dessus de la dédicace il a dessiné un visage à l'intérieur duquel il a écrit « Tiger ». MB : Et de tous les poètes que vous avez rencontrés dans le monde, qui vous a le plus touché ? RS : Wislawa Symborska. En voici la preuve : « Chanson d'amour pour Wislawa Symborska » « As-tu apporté une photo de ta fille ? » demande-t-elle et dans ma bouche je sens [pousser d'autres dents pour croquer cet instant. « Allez ! Buvons encore un cognac » sa voix vole [au vent comme une faux coupant le blé dont on cuira des mots et coupera le pain qui tombe même amoureux du couteau. Sur la table les tranches de marmelade [ressemblent à des feuilles qui viennent de tomber dans [l'assiette. Mais les vraies feuilles restent accrochées aux [arbres de Cracovie enveloppées sous cellophane dans le brouillard [qui vient adoucir le soir. MB : Vous dessinez, vous peignez, vous réalisez des collages. Est-ce le flux de l'écriture qui vous inspire dans la peinture et le collage, ou est-ce plutôt l'inverse ? RS : La salle d'accouchement est toujours remplie de paroles. Les dessins, les peintures viennent après. Je ne suis pas un peintre mais un poète qui, parfois, au lieu de se servir de l'alphabet, se sert de la palette des couleurs. MB : Comment s'est passée votre rencontre avec la poésie française, avec les poètes français ? RS : La poésie française fait partie de ma nourriture littéraire. Je suis un soldat dans l'armée de Rimbaud, un oiseau dans le ciel de Prévert, je salue René Char, mais le poète avec qui je communique par l'écriture, c'est Max Jacob. Voici la preuve : Première leçon du cours sur la poésie exacte Inspiré par « La Mendiante de Naples » de Max Jacob « Tu vois », dit-il, « le moustachu ? » « Il y a trois moustachus », je réponds. « Le moustachu », continue-t-il, « avec l'oeil [chinois ? » « Les trois sont moustachus avec l'oeil chinois », [je précise. « Le moustachu », insiste-t-il, « avec l'oeil chinois [et une cicatrice au-dessus du sourcil ? » « Les trois », je ne cède pas, « sont moustachus [avec l'oeil chinois et une cicatrice [au-dessus du sourcil. » Alors il sortit un revolver, tira sur celui de droite [ et sur celui du milieu, et montra celui de gauche en disant : « Celui-là , je meurs d'envie de le tuer. » Demain, chers élèves, dans le cours sur la poésie [d'amour, on va étudier comment transformer le coeur en criminel traqué. MB : Que pensez-vous du projet des « livres pauvres » de Daniel Leuwers où le peintre et le poète collaborent à une oeuvre différente du concept du livre classique pour se rapprocher du livret d'art ? RS : C'est un projet merveilleux, car il croit que les mots peuvent être sortis de la prison du livre ; et qu'on peut coudre des ailes et laisser le poème s'envoler vers des lieux où il n'a jamais été. MB : La traduction de la poésie est-elle selon vous une forme d'écriture ou un travail plutôt technique ? RS : La traduction est un art. Le traducteur n'est pas l'agent qui dirige la circulation à la frontière entre les langues, mais l'accoucheur du poème dans une autre langue. MB : Comment la poésie est-elle accueillie dans les écoles ? RS : Avant d'entrer en classe, en exergue, sur un mur imaginaire, j'accroche deux citations : d'abord deux lignes d'un poème d'Abraham Ben-Itshak : « heureux les semeurs qui ne se pressent pas à cueillir/ ils arriveront le plus loin… », la deuxième, un poème de Bertolt Brecht : « les jeunes penchés sur les livres/ pourquoi étudient-ils ?/ aucun livre n'enseigne/ à l'homme accroché au barbelé/ comment obtenir un peu d'eau. » A mon avis, il y a deux moyens d'enseigner la poésie ; le premier, plus retenu, tenant compte de ce qui est écrit dans les manuels, le deuxième croit que le monde des associations du lecteur est un lieu ouvert. Dans le langage de la danse, c'est la différence entre le tango et la samba : la samba brésilienne ; tout comme la deuxième méthode, enlève même les seins du soutien-gorge, tout est dehors. Le bonheur se crie. Le tango, la deuxième méthode, contrôle ses pas, noircit le pays plat autour des yeux et les drapeaux depuis longtemps en berne. Le jugement esthétique du chorégraphe et du spectateur ne tient compte que du résultat. Et le résultat, dans une classe où l'éducation est démocratique, oblige à inventer une danse nouvelle. Appelons-la : « samgo » ; dans cette danse la mesure des pas est importante pour que les drapeaux de l'anarchie ne flottent pas dans l'air, mais il faut laisser les bras ondoyer jusqu'à la dernière goutte de sueur. Cette combinaison permet au lecteur de coudre lui-même ses propres ailes au dos du poème, tout en gardant les coordonnées du vol. Le rôle du professeur est double : d'une part, bâtir une piste de décollage aussi large que possible, d'autre part, veiller à ce que le décollage se passe bien. MB : … et les ateliers d'écriture ? RS : Un atelier d'écriture n'est pas un instrument visant à créer des écrivains de façon industrielle. L'atelier n'est que le feu intime où chacun jette ses vers et cela doit être un plaisir pour tous de sentir l'odeur du feu. MB : Qui a été le héros de votre enfance ? RS : Mon premier héros a été Johnny Weissmuller, le vrai Tarzan, comme les distributeurs de films mentionnaient chaque fois. La jungle semblait un pont trop éloigné, Jane n'avait pas besoin de maquillage et personne n'a obligé Tarzan d'aller à l'école ou être à temps pour les repas. Si on m'avait demandé, à l'âge de huit ans, d'illustrer le mot liberté, c'est évidemment l'image que j'aurais choisie. J'ai grandi depuis. Lui, Johnny Weissmuller, non. A la fin de sa vie, interné dans une maison de retraite hollywoodienne, cet homme vieillissant faisait vibrer les murs avec des hurlements féroces. Les Tarzan, comme les vieux soldats ne meurent jamais. Mais lui, il est mort en janvier 1984. Weissmuller a été mon choix naturel quand, à l'école primaire, la maîtresse nous a demandé d'écrire une composition sur un héros. Les autres enfants ont écrit sur Bar-Kokhba ou sur Méïr Har-Tsion, mais moi, j'avais la jungle. Weissmuller avait une âme de poète. Non pas quand il grimpait dans les arbres, ni quand ses doigts caressaient le cou d'un tigre, mais dans ses moments non-spectaculaires, des moments où la jungle, avec ses arbres, ses racines, devenait un décor de carton dans un film en noir et blanc. J'en garde l'idée de courage enfantin, la volonté de fermer les yeux devant le panneau « danger : frontière ». Je garde la sensation que sa mort a été une intersection entre les chemins de terre carrossable et l'autoroute. MB : Quels sont vos projets d'avenir ? RS : Au Caire, sortira bientôt mon troisième recueil de poèmes traduits en arabe, intitulé Lait des lions ; ensuite, à Copenhague, un livre traduit en danois. On traduit en ce moment mes poèmes en roumain aussi : comme la famille de ma femme est arrivée de Roumanie, un livre traduit en roumain serait le retour aux racines que j'ai gagnées par l'intermédiaire de ma femme. Né à Bagdad, immigré en Israël à l’âge de deux ans, Ronny Someck vit à Tel-Aviv, enseigne la littérature et dirige des ateliers de création littéraire. Il a publié 10 recueils de poèmes, ainsi qu'un livre pour enfants avec sa fille Shirly (Le bouton du rire). Ses poèmes ont été traduits en 39 langues. Des recueils ont été traduits en français, arabe, catalan, albanais, italien, macédonien, yiddish, croate, napali, anglais. Il a reçu le Prix du Premier Ministre, le Prix Yéhouda Amichaï pour la poésie hébraïque, le "Prix des poèmes du vin" accordé en 2005 dans le cadre des Soirées Poétiques de Struga, Macédoine et le Prix de poésie Hans Berghhuis 2006 dans le cadre du Festival international "Les Nuits de la Poésie" de Maastricht, Hollande. Livres publiés en français: Nés à Bagdad (avec Abdul Kader El Janabi), Paris, Editions Stavit, 1998. Traduction: Michel Opatowski. Constat de beauté, Luxembourg/Québec, Editions PHI, Collection Graphiti, 2008. Traduction: Marlena Braester. |
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