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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-03-13 | | Des questions essentielles sur l'Å“uvre de Constantin Brâncuşi, sur les significations de l'art en général, sont formulées par Benjamin Fondane dans son article "Brâncuşi", publié dans les Cahiers de l'Etoile, en 1929. On y découvre la réaction de Fondane au contexte littéraire et artistique de son temps, à la crise culturelle et aux courants au milieu desquels il se retrouve dans les années vingt à Paris. Bien plus, il survole plusieurs époques telles que leurs vérités artistiques les révèlent, avec une apparente légèreté – celle d'un esprit vif et intuitif, mais dont la profondeur est incontestable. Des concepts que les arts et la littérature ont métamorphosés à travers le temps et les courants, sont analysés par Fondane dans cet article intitulé tout simplement "Brâncuşi": "recherche artistique", "le but de l'art", "l'art pour l'art", "authenticité", "objet", "primitif" et "moderne". La respiration et l'envol de ses jugements sur l'art sont bien plus larges et englobants, la réflexion que ce texte implique s'élève bien plus haut qu'on ne le soupçonne. Ce qui attire Fondane chez cet artiste qui "traverse à pied"1 les courants du XXe siècle, c'est le fait que Brâncuşi est un artiste solitaire, dans ce sens que tout véritable génie est solitaire. Aux yeux de Fondane, B fait partie de ces grands artistes hors toutes catégories, que l'on "ne peut jauger avec une balance des rues", car elle est "férocement unique": "appliquer à Brâncuşi les modalités d'un jugement, quel qu'il soit, met gravement en péril la personne même de qui juge." Brâncuşi est ainsi caractérisé contre toutes les définitions et caractérisations possibles. Les grands artistes se situent toujours "avant le Bien et le Mal"2 , comme il écrira en 1934 dans un article consacré à Marc Chagall. L'art de Chagall, comme l'art de Brancusi, précède nos catégories logiques, nos réductions systématiques et ne sauraient s'inscrire dans nul cadre. Fondane avait déjà pris ses distances par rapport aux courants qui menaçaient d'emporter autour de lui, les arts, la littérature, la poésie. Trop lucide, trop profond pour se laisser engloutir - lui-même ne courait pas ce danger - il dénoncait déjà en 1927 "la superficialité" du futurisme qui "écarte toute vie contemplative", l'engagement politique des surréalistes dans son texte "Les surréalistes et la révolution"3. Le drame de ces courants réside dans le fait qu'ils se sont assignés des "buts impossibles", le futurisme se posant les questions que le surréalisme croit résoudre. Analysés par Fondane au-delà du XXe siècle, la causalité, l'enchaînement des courants expliquent les phénomènes culturels européens dont il est le témoin; le XIXe siècle avec son romantisme n'y échappe pas: le XIXe siècle avait fini par appeler Å“uvre d'art "ce qui s'opposait à la vie, ce qui trichait sur le réel, ce qui cachait l'homme"; bien qu'il aime les romantiques autant que les surréalistes ou les dadaïstes, il mesure avec sévérité la mal que ces courants avec leurs esthétiques ont pu faire. Seule la pierre de Brancusi devenue Å“uvre d'art résiste à toute tentative de la classer sous telle ou telle étiquette. Mais "la vie a-t-elle le droit de jaillir d 'une pierre?" se demande Fondane. Ce qui intéresse surtout Fondane c'est ce "avoir le droit" , le fait d'échapper aux lois; "tant pis pour elles" écrira Fondane au bout de la première page de son article. "Que reste-t-il donc à l'artiste, s'il ne lui reste guère que ce qui est permis?" En 1929, on constate déjà la portée des échos de la philosophie chestovienne dans l'Å“uvre de Fondane: dans l'acharnement contre la Raison, contre les Logos qui prêchent, la révolte et le doute chestoviens se font entendre. L'artiste plus fort que les lois, voilà une idée qui répond à cette autre conviction de Fondane selon laquelle la "vanité" doit être enlevée à tout art afin qu'il soit un art véritable comme celui de Brâncuşi: "c'est parce qu'il n'attache aucune importance aux règles ni à la vanité du métier, que le métier le sert à souhait, que les règles se plient à sa force" Il s'en suit que, dans son essence, l'art de Brâncuşi est en dehors du temps, de tous temps: "…pas plus que Brâncuşi ne fait partie de l'art de son temps et du temps qui l'a précédé, il n'a trouvé dans le pays où il a vu le jour un passé, un milieu propice, ni quoi que ce soit qui fût une justification quelconque de son génie particulier." Comparons au passage suivant où Fondane parle de Chagall en termes très explicites: "Je ne vous aurais pas dit que l'art de Chagall est russe, ou juif, voire français (…) car je ne crois pas beaucoup à ces distinctions et je pense qu'elles embrouillent plus qu'elles n'allègent et n'éclaircissent une question"4 L'universalité d'un artiste réside dans le fait qu'il est capable de se détacher des choses, de "trouver toutes les terres jolies, ou toutes les terres laides; peut-être aussi cela leur permettrait–il de quitter plus souvent la terre."5 Chagall et Brancusi sont des artistes qui ont quitté "leurs terres" pour engendrer leur Å“uvre sur la seule terre poétique, et pour y renaître eux-mêmes sans les amarres du temps ni de l'espace. "Car Brâncuşi n'est vraiment pas d'aujourd'hui, ni de sa patrie, ni de son siècle. Eh quoi, hors du temps alors? Pourquoi pas? Le problème est d'intentions. Si on avait découvert ses pierres dans une fouille, expression supposée d'un temps X – et cela peut bien lui arriver encore – on aurait mis bien du temps à comprendre qu'il s'agissait là d'une volonté d'art, que ces objets étaient un produit libre." Un artiste doit prendre la "liberté d'être inactuel", écrira Fondane plus tard dans le Faux traité d'esthétique6, en continuant et développant la plupart des idées que nous trouvons à propos de Brâncuşi. Sa propre conception de l'art affleure déjà quand Fondane parle de "volonté d'art" et de "produit libre": la volonté ne suffit évidemment pas pour créer un Å“uvre d'art; l'esprit artistique est ou n'est pas; il n'est pas régi par la volonté d'art; tout objet d'art devrait être un "produit libre". Ce que Fondane "voit" à travers l'Å“uvre de l'artiste correspond à sa propre vue de l'esthétique; le regard du sculpteur et celui de Fondane coïncident. Contre tous les esthétismes, l'analyse entreprise par Fondane dans ce texte nous met devant une mise en regard précise et fidèle du regard du sculpteur même. En examinant de plus près ce texte, on constate que l'image de Brâncuşi se détache sur une toile de fond qui se tisse surtout en formulations négatives; leurs nombre domine, fait qui se vérifie d'ailleurs tout au long de l'article; Fondane caractérise donc Brâncuşi en négative, en désignant avant tout ce qu'il n'est pas: "ni de sa patrie, ni de son siècle (…), ne fait pas partie de l'art de son temps". Cela est naturel lorsque l'image qui doit ressortir du texte est celle d'un solitaire qui marche à contre courant. Ce que nous lisons, c'est une sorte de démonstration a contrario, au cours de laquelle Fondane énumère idées reçues, clichés de pensée, stéréotypes – tous enracinés dans la culture occidentale. Même ses questions rhétoriques imposent des "réponses" négatives: "Et à qui l'art de Brancusi ressemble-t-il? Regardez son Å“uvre. Est-elle d'un contemporain de Rodin? Il commence à l'époque des cubistes et il n'en a pas été touché, lorsque la mode vint de la sculpture nègre, et les bois de B s'en apparentent étrangement, il était déjà engagé dans sa voie, et n'a pu y reconnaître qu'un effort semblable au sien. A pied, il a parcouru un siècle plein d'écoles spéculatives et il a continué son bonhomme de chemin sans une seule influence; c'est au moment qu'on ?? découvrit le triangle et le carré, la surface plane et la ligne droite, qu'il trouva bon de parler sphère et ligne courbe. " Des repères comme "contemporain de", "à l'époque de", sans parler des écoles, des influences, de la mode et de la ressemblance n'ont pas de sens si on veut se former une image de Brâncuşi. Ceux qui essaient de lui trouver un contexte, une filiation, découvrira que nul cadre ne lui est approprié, car Brâncuşi n'a que son propre chemin, sa voie artistique inscrite en lui, une voie qu'il doit parcourir. Le tout est couronné de l'ironie implacable de Fondane lorsqu'il parle des "découvertes "du xxe siècle. Ce ton ironique devient sarcastique, ses métaphores plus tranchantes, lorsqu'il entre dans une polémique acerbe puisque les idées qu'il tient absolument à défendre découlent de sa conception fondamentale de l'art. Si l'on avance dans la lecture de ce "tissu" négatif, le portrait de Brâncuşi s'éclaircit – par contraste - avec chaque phrase qui s'ajoute. C'est en mentionnant ce que l'Å“uvre de Brâncuşi n'est pas, que Fondane énumère toutes les idées reçues dont il faut se méfier: "n'y voyez pas un enseignement, (…) jamais Brâncuşi ne pourra prêcher, ni même proposer l'Idéal, l'Idée, mais seulement un idéal, une idée"; l'oiseau de Brancusi "n'est ni un concept, ni un symbole, ni une allégorie de quoi que ce soit, pas plus la statue de la Joie que celle de la Douleur, pas plus ce qui nourrit que ce qui égare; pas plus un reproche anxieux qu'une vaine lamentation." Après cette série de négations concernant l'Å“uvre de l'artiste, reste une question à poser: qu'est-ce qu'elle est ? Les affirmations sont elles-mêmes la négation de négations ou de restrictions: l'Å“uvre de Brancusi "n'est pas qu'une question adroitement posée; c'est bien purement et simplement : une réponse", c'est un "événement pur", ou comme il dira dans son Faux Traité, cette Å“uvre d'art grâce à laquelle "nous redressons un équilibre tordu"7 L'Å“uvre de Brancusi semble "ne pas exprimer l'humain", mais être un "hommage seulement au jaillissement de la courbe tendre, de la matière en ébullition"; c'est l'Å“uvre d'un génie qui "avoisine la plus haute spéculation, à cheval sur les mathématiques de l'esprit, un génie de l'algèbre". A la recherche de la perfection, l'artiste, le créateur a une grosse mission, puisqu'il y a bien des créations "manquées et à corriger". Un autre artiste "inhumain" - mais autrement "inhumain" – qui est mentionné dans le même article est Picasso; celui-ci est "inhumain avec férocité" et ses recherches "sont d'un fou furieux; (…) ce grand gosse de Pablo a la fièvre maligne; il force la nature à coups de hache; …il casse tous les jouets humains pour découvrir leur fonctionnement; à quoi ce tas de ressorts rouillés qui sont l'histoire de la peinture, pourront-ils encore servir? Ont-ils un secret à livrer, y a-t-il bien un secret à trouver?" Fondane a compris que la grande différence entre Picasso et Brancusi est là : il n'y a pas de secret à "trouver" ni à "livrer", ni à casser pour découvrir; il suffit de caresser la pierre et elle va parler avec l'immesurable force tranquille du sculpteur: "Quelle force immense il emploie pour donner l'impression du facile?" Contrairement à Picasso, Brâncuşi croit à "l'étincelle qui va sortir, qui doit sortir". Et lui, il ne fait que l'attendre. "Le silex est sa plume d'oie"; si chez Picasso, la tension est explicite, chez Brancusi elle est implicite, l'oeuvre étant l'équilibre retrouvé. Fondane se sent proche de Brancusi dans cette facilité à manier l'instrument de la création artistique: la plume ou le silex. Avec le même goût du paradoxe oxymorique que nous lui connaissons, Fondane résume en deux ou trois mots, des théories entières. Selon Fondane, Brâncuşi n'est pas un théoricien, comme Picasso: "aucune théorie n'est jamais sortie de ses lèvres, aucune théorie ne saurait sortir de ses Å“uvres"; "cette bouche méprise l'éloquence; elle nie le creux; elle supprime l'apparence en ce qu'elle a d'accidentel et de neutre; elle cherche à l'esprit des moyens nouveaux, des chances abolies; elle ouvre le hasard avec un couteau à huîtres; elle synchronise mille puissances éparses; elle n'a pas de serrure visible." L'art de Brâncusi est partie intégrante de sa vie; un problème fondamental est posé ici: c'est la rupture vie-art. L'Å“uvre de Brancusi continue la vie, comme l'Å“uvre des artisans, ces "ouvriers de plein air" dont la vie et l'art forme un continuum; elle serait malheureuse de se voir "obligée à atterrir dans un salon pompeux, désoeuvrée d'être là , honteuse"; elle a une vie, elle est la vie. Dans l'analyse de Fondane, c'est le XIXe siècle qui "avait fini par appeler Å“uvre d'art ce qui s'opposait à la vie, ce qui trichait sur le réel, ce qui cachait l'homme". Pour Brancusi, tout comme pour Fondane, l'art pour l'art n'existe pas, au contraire: "l'art est le but de toute activité humaine, de toute activité qui s'ignore, il est la forme même qu'elle revêt, le signe de sa performance, son naturel aboutissement." L'Å“uvre d'art ne se regarde pas dans le miroir, elle n'a pas de but "artistique" déclaré, conscient de soi, ni de "volonté d'art", car "si l'art se reconnaît décoratif, ou ornemental, il s'avoue fonction de luxe, alors qu'il nous importe de prouver passionnément qu'il est une fonction primaire, spontanée et naturelle, voire une fonction utilitaire." Le sens de "utilitaire" ici n'est pas le sens - que lui prête Artaud, par exemple - de quelque moyen qui devrait "servir" à quelque chose et qui s'opposerait à l'art, à la poésie, mais plutôt "nécessaire, essentiel à la vie, indispensable". La "volonté d'art " ne fait que déclencher à nouveau l'ironie fondanienne: "Je soutiens que Brancusi, profondément, n'a jamais voulu faire de l'art; il n'a voulu faire - la douane des Etats-Unis a vu juste – que du métal d'une certaine consistance et d'un certain poids." La pierre, le métal deviennent poétiques, naturellement poétiques, sans être coupées de la vie. C'est un art qui n'est pas conscient de lui-même en tant qu'art, ou avec un terme auquel Fondane s'arrêtera longuement dans le Faux Traité, "irresponsable", dans le sens de l'"irresponsabilité du poète"8 qu'il analyse à propos de Rimbaud. Dans son Faux Traité, Fondane approfondit sa réflexion sur la poésie, réflexion qui peut s'appliquer à tout art qui doit "apporter des évidences – des vérités premières, bonnes en tous temps et tous lieux"9 C'est bien cet art en tant que "vérité première" qui découle de l'irresponsabilité de l'artiste: "Par un processus dont il n'est pas le maître, une voix se dégage de lui, inconsciente, à laquelle il ne fait que préparer un instrument digne d'elle. … L'artiste qui sait où il va est arrêté bien promptement dans sa course. " Fondane y voit un "miracle", comme dans le cas du Douanier Rousseau qui "ne cherchait pas ce qu'il avait à faire, mais qui découvrit sur sa toile ce qu'il avait eu à dire". Brancusi est devant son plâtre "aussi pur que le Douanier, aussi peu responsable". Dans son art, on ne peut pas dire que Brancusi n'a pas de "frères": ce sont les primitifs, les artistes du Gothique, les artistes nègres; et encore: "Brancusi sculpte, non, travaille, fait son boulot, comme un maître maçon, ou comme un terrassier, un cheminot, un plombier, un ramoneur, un machiniste; c'est de cette manière que doit sculpter le primitif, le sauvage, comme on l'appelle par dérision – je veux dire l'homme qui travaille sans arrière-pensée, pour créer et non pour faire montre.", un art sans but précisé à l'avance, an art qui n'est pas "délibéré". Cette position est radicalisée, car la place de Brâncuşi touche à l'extrême: "Brancusi s'efface. Il n'est pas dans sa création." L'idée de l'effacement de l'artiste de sa création rapproche Brancusi des artistes anonymes, populaires, qui n'étaient pas à vrai dire conscients de leur valeur, dont l'art était le métier, au sens le plus simple du mot. C'est la leçon que la sculpture noire a donnée à la sculpture grecque "instituée en professeur", une leçon donnée non seulement à l'art grec, mais aussi à la civilisation européenne, à l'art européen. "Là où le Grec imite la nature, le nègre la révèle, plastiquement s'entend. Et ce sont les nègres qui croient imiter la nature, les Grecs qui parlaient du beau idéal". Quant à la matière de l'Å“uvre de Brancusi, la pierre qui se conçoit dans une apparente immobilité, sans s'éloigner d'elle-même, cette matière semble elle-même hors du temps: "sa patience est celle des révolutions géologiques". De la pierre à la pierre, la différence est infime mais l'infime est décisif: "Le semblable se guérit par le semblable, pensait l'ancienne médecine; un oiseau ne peut être corrigé que par un oiseau semblable, pense Brâncuşi". Ses Å“uvres, il faut les comprendre comme autant de "calembours de la matière", pense Fondane. L'objet se retire dans son essence: "Où se trouve le point, le point unique dans chaque objet, qui fait centre de gravité, le seul centre de gravité du monde? N'écrire qu'un seul poème, toujours le même, ambition qui faisait l'angoisse de Mallarmé et sa tentation, voici que Brancusi le réalise, il ne touche à l'absolu qu'à travers une série infinie d'imperfections légitimes; il a hâte de n'en pas finir, il a peur de se rejoindre…" Devant Picasso, les objets ne sont pas les mêmes que pour Brancusi : pour Picasso, "le jeu est de les appareiller, les dépareiller; (…) Tout attirer vers soi, tout repousser …avec une ingénuité de cauchemar". Pour Brancusi, les objets sont autant d'hypostases, de pastiches, versions d'une entité primaire, autant d"'expressions différentes d'une même forme première, du même leit-motif: l'Å“uf, qui n'est jamais un Å“uf; mais une tête, un enfant, etc." – nous dit Fondane. C'est-à -dire retrouver un "texte primitif". Et l'oiseau sculpté est si essentiel, si réduit au primordial, qu'il se sent lui-même "effrayé de se sentir étrange ou étranger, de paraître si peu oiseau." Lorsque Fondane analyse la recherche de l'artiste, la recherche du vrai, de l'unique, du profondément simple et limpide, on devrait avant tout éviter les malentendus: tout comme il n'y a pas de volonté, il n'y a pas de recherche voulue, explicite, mais il y a ce chemin parcouru dans la simplicité, dans la vérité, voie inconsciente et authentique. Les deux artistes ne se rencontrent pas dans leurs recherches. Picasso est "l'artiste tragique, celui dont l'Å“uvre nous remplit d'angoisse"10, tandis que Brancusi creuse le même, travaille en profondeur sans se fatiguer; pour lui, "le monde n'a plus de secret: il a découvert les quatre ou cinq motifs qui le régissent, les quatre ou cinq clés de l'aube métaphysique. Voici la sphère, l'Å“uf, l'anneau, l'ascension. Toute sa vie Brancusi a été vécu, pensé, agi, par le même oiseau, le même Å“uf, le même coq… et à chaque fois il détruisait l'Å“uvre précédente, pour en publier la version vraie." Le terme qui revient le plus souvent dans l'article de Fondane pour qualifier l'Å“uvre de Brancusi est 'pureté': 'pureté de miroirs ou de neiges', cette pureté essentielle de la pensée face à la matière; Brancusi est "devant son plâtre aussi pur que le Douanier, aussi peu responsable" ; la simplicité "l'oubli de soi", comme chez le Douanier, irréfléchi, spontané, en train de "donner libre jeu à l'obscurité profonde, faire paraître inintelligible ce qui l'est de trop". Et voici Fondane qui continue à parler en oxymores de l'Å“uvre de Brancusi: "sa limpidité est faite d'une richesse incroyable d'obscurité". La pureté de Brancusi "ferait sangloter les oiseaux, s'ils n'étaient en toile peinte.(…) Pureté ne veut pas dire propreté, c'est-à -dire chose qui se salit; (…) Flamme, je vous dirais que Brancusi est une flamme si je n'étais persuadé qu'il est un réveille-matin." Mais il faut se méfier: limpide et simple, ne signifiant pas "calme par maîtrise de soi", au contraire, l'acte véritablement artistique est un voyage dangereux "produit d'un esprit tranquille qui ne doute de rien, alors même que son horoscope perfectionné signale des altitudes insoupçonnées, des chutes énormes, des poches d'air ou des tourbillons." Rien de cette calme platitude de l'esprit qui caractérise la médiocrité. Toute l'anti-esthétique fondanienne telle qu'elle sera largement exposée dans le Faux Traité d'Esthétique est donc contenue dans ce texte, concentrée en quelques pages bien "rondes" - figure elliptique, comme la forme de l'Oiseau de Brâncuşi , qui n'a pas encore déployé ses ailes, mais qui dit déjà l'essentiel. Ce sont les paroles d'un vieux schizophrène rapportées par R. Caillois que Fondane choisira de mettre en exergue à son Faux Traité: "Voyez ces roses, ma femme les aurait trouvées belles; pour moi, c'est un amas de feuilles, de pétales, d'épines et de tiges." Le vieux schizophrène ne fait que répéter l'attitude des douaniers américains qui ne voyaient dans les Å“uvres de Brancusi que "du métal d'une certaine consistance et d'un certain poids". Oui, entre-temps les schizophrènes ont vieilli. La dernière image de Brancusi sur laquelle Fondane clôt son article, boucle une démonstration menée de main de maître: "Il traverse la rue à pied sans se méfier des regards. … Un pas encore et il va sortir du siècle, du cercle. Peut-être même ne s'en apercevra-t-il pas. Il aura été parmi nous une grande oasis de silence. Des morceaux de solitude seront tombés de ses vêtements que personne n'aura arrachés." Qu'est ce qui nous reste de lui et de son Å“uvre? Un langage, "mais son langage – je veux dire sa voix profonde – circule sous le nôtre et le ranime" NOTES 1. Toutes les citations, sauf mention contraire, sont tirées de l'article "Brâncuşi", Cahiers de l'Etoile, 1929. 2. B. Fondane, "Marc Chagall", in Cahiers juifs, vol. 2, no. 9, avril-mai 1934 3. B. Fondane, "Les surréalistes et la révolution", Integral, nr 12, 1927, texte reproduit dans Faux Traité d'Ethétique, Plasma, 1980, p. 138 4. ibid. 5. ibid. 6. B. Fondane, Faux Traité d'Esthétique, op. c., p. 92. 7. id., p. 94 8. id., p. 98 9. id., p. 52 10. B. Fondane, "Marc Chagall", art. cité. Marlena Braester |
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