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la rivière rouge
prose [ ]

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par [BOKAY ]

2004-12-20  |     | 





Enfant, je passais mes vacances près d’une immense forêt qui s’étendait par delà la Belgique, cette région s’appelle ’’Les Ardennes’’. Nous formions une petite bande de cinq copains dont l’un nommé Lucas, était simple d’esprit. Nous profitions de ses faibles facultés pour nous livrer à des jeux à caractère douteux. C’est ainsi que l’un d’entre nous inventa le jeu du ’’mort’’. Il subtilisa le fusil de chasse de son père ainsi qu’une vingtaine de cartouches dont il enleva délicatement les plombs. Il expliqua à Lucas qu’il n’y avait aucun risque et que l’on pouvait jouer à la guerre sans danger avec la sensation de tirer de vraies balles. Nous prîmes le fusil chacun à notre tour. Le dernier à tirer était Lucas et nous lui avions réservé une surprise. Je devais simuler le mort, tomber en faisant semblant d’agoniser et laisser du sang couler de ma bouche qui en fait n’était autre que du jus de betterave rouge. Les autres devaient se précipiter sur moi et constater qu’effectivement, une vraie balle m’avait mortellement touché. Nous fûmes tellement persuasifs que Lucas, croyant m’avoir tué partit se cacher dans la forêt pour échapper disait-il, aux gendarmes et à la prison. Mais Lucas ne revenait pas et nous l’avons recherché jusqu’à la nuit sans succès. Les jours suivant la gendarmerie, avertie des conséquences de notre mauvaise plaisanterie entreprit des recherches qui ne donnèrent aucun résultat. Lucas avait complètement disparu.
L’année suivante, revenant en vacances au même endroit, je demandais des nouvelles de Lucas. On me répondit qu’on ne l’avait jamais revu. Certains prétendaient qu’il était mort, d’autres disaient qu’il s’était installé de l’autre côté de la frontière en Belgique. Mais cette année-là, j’avais trouvé une nouvelle occupation : j’allais à la rivière pour attraper des truites à la main. Je plongeais ma main le plus loin possible sous les grosses pierres puis immobilisais et saisissais l’imprudente qui s’y réfugiait.
Un jour qu’il faisait lourd et orageux, je remontais la rivière en amont, toujours plus loin ! Jamais je ne m’étais aventuré aussi profondément dans cette forêt, jamais je n’avais vu ces énormes rochers qui se positionnent de chaque côté de la rivière. J’avais déjà attrapé quatre truites et je continuais à visiter méticuleusement chaque pierre quand je sentis quelques grosses gouttes d’eau sur ma main suivis d’un violent coup de tonnerre. Je me suis relevé et en quelques secondes l’eau se mit à tomber en trombe dans un vacarme infernal ! Je me suis précipité vers le premier abri, un rocher qui semblait s’enfoncer comme une grotte. Mes yeux s’étant habitués à la demi-obscurité, j’avançais vers le fond car une tache bleue attirait mon attention. C’était une grosse veste d’hiver mais il y avait aussi d’autres vêtements, des chaussures, des gants et bien d’autres choses. Brusquement, mes yeux se posèrent sur un T-shirt jaune et rouge. Je le reconnus immédiatement, c’était celui que portait Lucas l’année dernière quand il avait disparu. Continuant ma prospection, je découvris une sorte de matelas fait de feuilles de fougères et de bruyère. J’étais de plus en plus persuadé que j’avais découvert la cachette de Lucas.
La pluie tombait avec moins d’intensité, je me tenais légèrement à l’intérieur de la grotte, invisible de l’extérieur lorsque j’entendis des craquements de brindilles et de feuilles. Je m’avançai hors de la grotte pour voir ce qui se passait quand tout à coup, je vis en face de moi Lucas, il portait de vêtements en haillon, une longue chevelure sale et noueuse, une barbe clairsemée et tenait un fusil à la main. Dès qu’il m’aperçut, son corps se raidit et il se mit à crier :
--- Au secours, au secours ! Au fantôme
--- Mais non dis-je, ne crains rien Lucas, c’est moi ton copain !
--- Non ! C’est pas toi, je t’ai tué, c’est ton fantôme ! Au secours !
Lucas partit à toute jambe en suivant la rivière qui à cette saison laissait une bande de sable de chaque côté.
--- Attends Lucas ! Ne part pas, je vais t’expliquer… !
Mais Lucas courait de plus belle et me refusant de le laisser ainsi dans sa folie, je me suis mis à courir derrière lui. La poursuite semblait interminable, il était habitué à courir dans de telles conditions et je peinais à garder la distance. Soudain, une petite colline rocheuse se dressa devant moi ! La rivière s’arrêtait net, où plutôt, elle sortait de cette sorte de caverne d’environ un mètre de hauteur. Lucas s’y était introduit, je l’avais vu se baisser puis disparaître. Je me suis mis au bord et j’ai crié :
--- Lucas ! Lucas, reviens, c’est moi ton copain !
Mais Lucas ne donnait aucune réponse. J’ai recommencé à crier mais sans succès, Lucas ne voulait pas répondre. Il s’obstinait à ne pas répondre. Je pris le parti d’attendre et je me suis assis sur un rocher……
Un coup de fusil raisonna de l’intérieur, j’ai crier :
--- Lucas ! Lucas ! Lucas !
Lucas ne répondit pas, il ne répondra plus jamais, la rivière se colora, la pluie se remit à tomber, le tonnerre à gronder. La rivière devint rouge vif, son débit augmenta, doubla, tripla puis ce fut un déferlement se remplit d’un immense flot rouge sang que venait fouetter une pluie d’une extraordinaire d’intensité. Une multitude d’éclairs jaunes et bleus déchirait la forêt, le ciel s’obscurcit jusqu’à devenir pareil à la nuit. Puis, peu à peu les forces se calmèrent, la rivière reprit son cours et sa couleur normale, le ciel retrouva ses nuages d’orages, la pluie cessa de tomber et je retrouvai ma lucidité.

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