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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2007-01-25 | |
LE GOÛT DES CHOSES
Quand l’évier se réveille, une couleur de vieux métal éclabousse l’émail. La table qui fut branche se souvient de la terre et donne à la tisane un goût de chant d’oiseau. Les chaises craquent à l’unisson. La fenêtre du coin est amoureuse du soleil. Un tournesol jaloux ouvre son parasol comme on boude une amie. Dans la forêt d’érables, les poumons de la vie respirent par les feuilles. Prenant la mort de court, je me réveille encore plein de rêves à la main. Je poursuis du crayon les l qui s’échappent du buisson des consonnes, une abeille qui fuit la colère des voyelles. C’est un branle-bas sonore sur la page du jour. Les girouettes grincent comme des flûtistes sourds sur la portée du vent. Le dos en voûte des collines fait comme un arc-en-ciel sur la ligne d’horizon. Un merle un peu perdu courtise le chat noir. La cuisine est un lieu qu’habite la parole. Quand elle est grosse de vie, j’aiguise mon crayon. Je surveille d’un œil l’éveil des fougères et le café qui bout. Sans préface ni point, je barbouille de mots la confiture de fraises. Affalée contre un mur, une vieille chaise en bois laisse tomber les bras. L’espérance se promène en sandales de paille. Le désespoir attend près de la boite à malle les lettres qui se perdent. J’appartiens tout entier au rêve qui me fuit, au bonheur des hommes, à l’opéra des heures, au bal des oiseaux. Le café refroidi, je sortirai dehors, un bâton à la main, visiter les fourmis, courtiser les parfums échappés de la terre, chatouiller l’absolu avec un brin de paille. Sur le sentier des vaches, des véroniques d’ombre accentuent la lumière. Des coquelicots s’amusent à faire rougir le temps. Le rire d’un ruisseau désaltère ses rives. J’entrevois l’altitude dans un pas de fourmi, l’abîme dans un cri. Je ne saurai jamais la langue des oiseaux ni s’ils meurent en chantant. Les nuages sourient au-dessus de mes yeux. On doit parler d’amour quelque part dans un lit, sur la paille ou la plage. Je retrouve mon loup au détour d’un bosquet, les babines à l’affût. Un chevreuil plus loin se prépare à courir. La vie est un brouillon dont on cherche l’épure. Je lis sur les écorces comme au plat de la main. L’œil s’anime et tout change dans le regard des choses. Lorsque les mots se taisent, les muets nous comprennent. J’aperçois l’infini dans le mouvement des graines. Certaines journées chaudes, je laisse mon mantra sur le porte-manteau. Un autre s’en fera une petite laine, un pardessus, un paragraphe. Je quitte le chemin. Je me ferme les yeux. Je m’égare dans le milieu de tout, les ronciers en pelote, les fagots de fardoches, le foin des métaphores, l’éclat des oxymores, les os des feuilles, les mots sur la page, les veinures du bois, la pulpe des fruits mûrs. Mes mots courent partout comme des écureuils à l’envers des branches, un vol de mésanges égaillé par la pluie. Je cherche les guirlandes accrochées aux sapins, les lèvres de la pluie, les murmures du temps. J’entends la terre chuchoter, les racines faire la fête, les boutons d’or s’ouvrir et les débris d’insectes retourner à la vie. Peu importe où j’écris, mes pieds dépassent dans la marge. Les poèmes sont des nœuds dans le bois de la vie. Les écureuils s’en servent pour entrer dans les arbres. Les yeux fermés des morts franchissent l’invisible. Caché derrière un arbre, j’ai regardé ému l’enterrement d’une ortie. Le vent touchait de l’orgue sur le cuivre des feuilles. De simples anémones récitaient la prière sur le jubé de l’herbe. La sage-femme des fleurs se déguise en abeille. Elle berce le pollen jusqu’à la mie de pain. La mort d’un proche est comme un livre rangé trop haut. Certaines phrases s’échappent quand on a besoin d’elles. On les trouve au matin, entortillées dans l’encre. On les étale sur la page comme des lettres d’or. Je me replie ou je m’étire au toucher du vent. Je ne suis qu’une feuille qui quête dans les branches la sève des racines, un pétale qui tète la rosée du matin, une abeille orpheline qui a quitté la ruche. Il commence à pleuvoir. L’eau coule sur ma peau comme des billes de verre. Les cigales se cachent au-dessous des fougères. Un arc-en-ciel d’oiseaux laisse tomber ses plumes. J’abandonne ma bêche dans le jardin du cœur, mon bâton sur la route et mes mots sur la pierre. Je les ramasserai tout gluants d’espérance dans la beauté fragile du silence. Écrire est une marche. Mes pas usent la terre en commentant la route. J’offre à lire à mon loup les odeurs de l’homme. Il court dans son souffle en attendant la meute. Le ciel donne la becquée aux petites fleurs des champs. J’en garde quelques graines pour le grenier de la voix, quelques miettes pour la route, quelques mots pour la page. Les ronces montent la garde à l’église des mûres. Une abeille dit la messe dans l’hébreu du pollen. J’avance très lentement pour ne rien déranger. Un champ de pissenlits m’offre l’or des pauvres. Je longe la muraille aux vieilles pierres de sage. On dirait que je marche dans une toile de Van Gogh. Les pinceaux de mes jambes ajoutent quelques traits au jaune des tournesols. J’aurais du prendre un panier, cueillir des noix, des pignes, des cailloux, des trèfles à quatre feuilles. Je rentre les mains vides dans la cuisine du rêve. Le soleil est revenu faire la cour aux fenêtres. La table chante en bois d’érable. Le parquet lui répond en craquements de pin. Un peu d’eau dans un verre n’attend plus que mes lèvres. Un peu d’encre dans l’eau propage ses images. Elles me servent parfois pour caler une phrase, ouvrir un paragraphe, fermer la parenthèse. Sur l’heure de midi, j’écris à l’opinel sur une miche de pain, des mots de fraise et d’eau d’érable. J’ajoute un peu de miel à la tisane de l’âme, du thym sur la misère, un grain de sel à la pluie, une pincée de rire dans le bol des larmes. Le citron sur la table garde au frais les couleurs. Je caresse la vie avec des mains de bébé. J’écris pour habiller les arbres sans écorce, les fleurs sans abeille, les heures sans personne. |
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