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■ Voir son épouse pleurer
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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-11-26 | |
SINGING IN THE RAIN
La chevelure du ciel laisse tomber ses franges de nuages. La pluie change les formes. Le sable a quelque fois des humeurs océanes. Lorsque la pluie dérape, les routes se mettent à tourner comme les roues folles d’un vélo. Des éoliennes liquides crachent des vagues de vent. Ce n’est pas la foi qui déplace les montagnes, c’est la vitesse des atomes, la lenteur du temps, la kinésie de l’air. Les montagnes ne sont qu’un semblant d’équilibre. Il y a dans chaque chose le germe d’une idée, le cœur d’une châtaigne, une amande intime au cœur de l’isolement, un noyau d’espérance dans les écales amères. On ne voit pas la pluie. Elle nage dans nos yeux. Elle aveugle les bêtes. C’est comme un gros chagrin, un enfant qui pleure sans savoir pourquoi, un cheval qui hennit pour une avoine bleue. Une seule goutte est comme le niveau qui sert au maçon. On ne lutte pas contre la pluie. On se couche avec elle. Même la terre étire ses biceps pour se laisser toucher. On n’affronte pas la pluie. On accompagne ses murmures, ses râles, ses chansons. Même en courbant la tête, on s’enfonce dans le ciel. La pluie est si fragile, on ne peut la briser. Quand on s’habille de pluie, on se retrouve nu. Les saules ne pleurent pas, ils chantent sous la pluie. On ne vainc pas la pluie. Elle ajoute à la terre le mouvement des plantes. Elle aiguise les rivières. Elle cherche la lumière dans les trous sur le sol. Elle rassasie les feuilles dans le chignon des arbres. Elle fait rire les pierres et se moque du sérieux. Elle réveille les lézards, la luzerne et le trèfle. Ses gouttes descendent en grappes d’une église liquide. On se laisse dissoudre. On chevauche ses lignes. On ne distance pas la pluie. De quelque côté qu’on aille, elle présente son dos. Elle annonce le temps sans image ni texte. Elle ânonne son eau sur le bord des lucarnes. Elle verse du soleil dans l’entonnoir végétal. Elle fait rouiller les clous rongés par la mémoire. La pluie est sans pudeur mais se cache pour boire. Le cœur s’agrandit de son immensité. Elle relie les racines au vol des oiseaux et la pierre aux étoiles. On n’écrit pas la pluie. Elle grave des virgules dans les phrases du sable. Elle fait fondre la neige et les traces de pas. Elle frappe les rochers, les broussailles, les houx. Ni la ronce ni l’ortie n’échappent à ses doigts. Dans la bibliothèque de la pluie, chaque goutte est un livre. Les fleurs apprennent la lecture à chaque nouvel orage. Tous les jardins viennent boire l’alphabet vertical. On n’étreint pas la pluie sans verser quelques larmes. Elle égalise les rivières et soude les nuages. Elle distend les silences et dilue les paroles. Elle traverse les ronces sans déchirer sa robe. Elle ouvre une fenêtre dans le coeur des bourgeons et danse de guingois sur les pentis mouillés. Elle coule sur les toits aux paupières d’ardoise. Elle met un baume sur les fougères brûlées, un pansement sur le feu. Ses bulbes de lumière éclaboussent les vagues. Chaque cercle dans l’eau en compose un nouveau. La pluie quand elle tombe fait des arbres liquides, une lessive qui s’enfle. On reconnaît la vie sous son écorce fluide. La soie de ses pinceaux assouplit l’horizon et plie ses lignes droites. Les yeux fermés, on peut lire sur le sable le braille de ses gouttes. Telle un breuvage d’elle-même, la route se liquéfie. La pluie démasque l’invisible et pénètre la terre par ses mille serrures. On n’attrape pas la pluie comme un poisson d’eau douce. Son enveloppe rappelle nos nuits amniotiques. Elle fait chanter les arbres, les ruisseaux, l’herbe mauve des prés. Elle suce les pépins au cœur des pommiers. Elle sucre le pollen au milieu des abeilles. Ses jambes dodelinent sur les pans de falaise. Qu’elle brille comme un pain, le sable s’en nourrit. 24 novembre 2005
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