-Le bonheur, dites-vous ?
Mais n'est-ce point cueillir l'inaccessible étoile ?
Emprisonner entre ses doigts toute l'eau de l'océan ?
Compter toutes les étoiles dans le ciel ?
Mourir sous une avalanche de baisers et de caresses ?

-Non, au contraire, ma chère Dame !
Il suffit parfois de si peu pour être heureux.

-Allez, Poète, dites-moi votre recette.
Je meurs d'impatience de connaître
enfin le secret du Bonheur !

-Ma chère Dame, ne vous moquez point de moi,
je vous en prie.

-Allez, ne soyez point timide
et livrez-moi vos ingrédients du Bonheur.

-Oh, chère Dame, il y en a des milliers
et ça risque d'être très long et fastidieux !

-Allez, allez, Poète, je suis d'une patience d'ange.
Dites m'en seulement quelques-uns et je verrai.

-Pourtant, je vous l’ai déjà dit, chère Dame.
Il suffit de si peu pour être heureux :

un air de musique de Vivaldi ou de Verdi,
un vers de Verlaine ou de Prévert,
un verre de rosé ou une flûte de champagne,
un vol d'hirondelle ou de crécerelle,
un nuage qui passe,
une ondée qui rafraîchit,
la visite inopinée d'un raton ou d'un lièvre dans sa cour,
le visage d'un ami,
la main de l'être aimé,
quelques pas de danse,
quelques plats pour la panse,
un sourire d'enfant…

-Assez, assez, Poète,
je vous en supplie !
Arrêtez !

-Quoi, est-ce trop ou trop peu, chère Dame ?

-Ni l'un ni l'autre, Poète !
Je crois que je ne suis pas née pour le Bonheur !

(Toile de l'artiste Rosso Fiorentino: "Amour jouant du luth")