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Fontaine
prose [ ]

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par [laplanda ]

2010-07-29  |     | 



Je me suis rendu compte qu’il y avait un œuf en moi à l’âge de treize ans. Depuis ce jour de joyeuse hystérie, ma vie n’est plus qu’un chantier effréné en vue de l’éclosion miraculeuse.
Ce jour-là, j’ai senti que la plus grande des joies était impossible à représenter spontanément. Pour parvenir à l’exprimer, une vie entière est nécessaire, dévouée à explorer les finesses d’une seule chose, afin de créer une beauté suffisamment transcendante pour qu’une autre personne, pas forcément spécialisée dans cette chose, puisse vaguement percevoir ou deviner ce qu’elle recèle. N’existant plus que pour engendrer un tel objet, j’ai travaillé à construire des fontaines.
Chaque matin de ma vie, je me levai empressé de me mettre à l’ouvrage, comme s’il eut dû être fait hier, avant-hier, dix ans plus tôt. J’érigeai plusieurs centaines de jeux d’eaux, chacun cent fois meilleur que le précédent, et mon expertise était recherchée par les plus grands de ce monde. À chaque geste de mes mains, je sentais l’imminence de mon but, parvenir à exprimer Dieu.
Ma réputation a toujours été celle d’un homme triste, sans passion et sans humour ; mes traits graves et lourds ont souvent inspiré la pitié, et nombreux sont ceux qui ont cherché à mettre fin à mon célibat, sans succès. Ce n’est pas que mon corps n’avait aucun désir sexuel, bien au contraire, seulement je constatais ces élans sans me sentir le moindrement concerné, comme s’ils étaient ceux de quelqu’un d’autre. On m’a aussi maintes fois conseillé de me reposer, de m’établir dans une maison, mais qu’aurais-je bien pu faire d’un tel fardeau? Pendant tout ce temps, la plus grande des joies, celle que j’avais ressentie pour la première fois pendant ma quatorzième année, ne m’a pas quitté un instant, et la passion avec laquelle j’œuvrai ressemblait aux yeux brillants d’un enfant qui cours vers ses parents le jour de son anniversaire, sans aucune pensée, complètement abandonné à son bonheur, oubliant jusqu’à sa propre existence. Quant à l’humour, qui en aurait besoin, qui ressent déjà une parfaite légèreté en toute chose? Vraiment, j’étais aussi heureux que mon visage pouvait sembler malheureux à certains, et je n’ai jamais pris quoique ce soit au sérieux, sauf ce travail lui-même qui justifiait tout ce que j’étais.
Ma joie est incommunicable. Elle n’a rien à voir avec cet entrain fantasmé et artificiel dont se vantent certains groupes spirituels, dont la majorité est sectaire. Toute forme de regroupement est en soi une discrimination et un malheur, car l’exaltation que je vis ne s’identifie à rien.
Ma consécration en une activité unique ne m’a aucunement empêché de me délecter de toutes les perceptions qui s’offrirent à moi lors de mes innombrables voyages, même que ces perceptions furent la nourriture indispensable à mes fontaines. Cette écoute active était le clou qui allait enfin libérer la sphère informe et dorée de ce petit œuf que je couvais, et vers ma soixantième année, en sentant mes forces se dissiper, je compris que l’éclosion devait se produire bientôt, ou pas du tout. Les cinquante dernières années de ma vie m’avait semblées infiniment courtes, bien que chaque seconde fut pour moi l’éternité.
J’annonçai alors ma dernière construction, celle qui allait ridiculiser toutes les précédentes, et les couronner à la fois. L’apogée de mon art, un sommet parmi tous les arts. Suite à cette nouvelle, mes anciens travaux étaient le centre d’une attention particulière de la part des revues spécialisée, de quelques anthologistes, d’un peu n’importe qui. Même si mon ultime fontaine était un projet pour le futur, mon œuvre entière était empreinte de nostalgie, comme si elle était le reste d’une connaissance perdue dans un mythique passé. En voyant cette atmosphère saisissante, j’appréhendais avec une sorte de rire étouffé la surprise que j’allais provoquer.
Je n’ai fait aucun plan. Je n’ai pensé ni au style, ni au courant, ni à quoi ce soit, j’ai utilisé de mauvais outils, j’ai engagé de parfaits inconnus. Le seul choix sélectif que j’aie fait est celui du lieu : de tous ceux qu’on s’est empressé de m’offrir, j’ai opté pour la gare de Charing Cross à Londres, parce que l’absurdité qui s’apprêtait à retentir avait une certaine affiliation avec l’humour britannique. Quand ma fontaine fut faite, la réaction générale fut délicieuse.
Le chant du cygne de ma carrière est fort simple à décrire : c’est un petit bassin d’eau d’un mètre de diamètre, sans jet, aucunement travaillé, fait de béton mal coulé, porteur d’aucun message, pouvant servir de bac à saletés, de cendrier ou de croque-pied. On prit ma finale pour ce qu’elle était : une grande imposture. Une moquerie de moi et de mon œuvre, une injure à l’humanité et à tous les arts. Cependant, j’étais entièrement satisfait : l’œuf avait éclos.
Hors de l’avis unanime, quelques vieux sots et jeunes cons ont sûrement ressenti, devant ma sculpture, l’ivresse suprême, toutes les sagesses, l’ineffable présence de Dieu et leur propre mort, leur baptême, et ce sans même connaître le moindrement ni les circonstances de sa création, ni l’incongruité grossière de sa disposition au sein d’un carrefour si noble. Elle fut retirée hors de toute vue après une vingtaine de jours.
Aujourd’hui, ma retraite est simple et riche : je me suis fait bâtir une petite maison très moderne en Égypte, juste à côté du Sphinx. Bien sûr, cela me coûta toute ma fortune, exception faite de l’argent nécessaire pour une fin de vie luxueuse et faste. Je vis le reste de mes jours à dessiner des chefs-d'œuvre dans le sable, d’une qualité et d’une finesse comparable à mes plus belles et riches fontaines.
Je suis le seul à en jouir ; le vent les efface à mesure. Ce n’est pas dommage, parce que de toute manière les rares spectateurs ne savent pas priser mon œil prodigieusement développé en arts visuels. De toute évidence, je m’étais trompé : pour apprécier les détails d’un objet d’art à leur pleine valeur, il est nécessaire d’être connaisseur ; ne peut être compris que ce qui est déjà su. Je suis aussi le seul à m’apprécier moi-même, au point que les photos publiées du sphinx sont toutes retouchées de manière à faire disparaître mon affreux domicile, comme on nettoie une tache de sauce tomate sur un veston blanc. En somme, je suis seul. Je suis seul à ressentir ce dieu de beauté et d’allégresse intransmissibles qui m’a permis de vivre sans exister moi-même. Cet œuf fut mon baptême, une mort vivante, et maintenant qu’il est cassé, me voilà à nouveau ressuscité! Après soi-même, tout le reste existe encore, et ensuite quand le monde entier est détruit par l’œil ouvert de Dieu, c’est un second baptême, la seconde mort de tout... Mais comment dire, comment dire! L’œuf a éclos, il était vide et c’est merveilleux, il n’y a rien de plus à dire, vraiment rien à dire!

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