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La peau de chagrin
prose [ ]

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par [Honoré_de_Balzac ]

2010-06-28  |     |  Inscrit à la bibliotèque par Dolcu Emilia



IX

- N’y a-t-il pas quelque plaisanterie là-dessous?... demanda le jeune homme.
Le vieillard hocha la tête et dit gravement:
- Je ne saurais vous répondre. Mais j’ai offert le terrible pouvoir dont cette peau religieuse est investie, à des hommes doués de plus d’énergie que vous ne paraissez en avoir; et, tout en se moquant de la problématique influence qu’elle devait exercer sur leurs destinées futures, aucun n’a voulu se risquer à signer le contrat fatal si curieusement proposé par je ne sais quelle puissance. Je pense comme eux; comme eux, j’ai douté, je me suis abstenu, et…
- Vous n’avez pas même essayé?... dit le jeune homme.
- Essayer!... reprit le vieillard. Si vous étiez sur la colonne de la place Vendôme, essayeriez-vous de vous jeter dans les airs? … Peut-on arrêter le cours de la vie? L’homme n’a-t-il jamais pu scinder la mort?
Avant d’entrer dans ce cabinet, vous aviez résolu de périr par un suicide… Mais, tout à coup,
un secret vous occupe, et vous distrait de mourir!... Enfant!... Chacun de vos jours ne vous offrira-t-il pas une énigme plus intéressante que celle-ci?...
Écoutez-moi…
J’ai vu la cour licencieuse du régent… Alors, comme vous, j’étais dans la misère: j’ai mendié mon pain. Néanmoins, j’ai atteint l’âge de cent deux ans, et je suis devenu millionnaire… Le malheur m’a donné la fortune, et l’ignorance m’a instruit.
Je vais vous révéler en peu de mots un grand mystère de la vie humaine.
L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes de mort: VOULOIR et POUVOIR.
Entre ces deux termes de l’action humaine, il est une autre formule dont s’emparent les sages et c’est à elle que je dois le bonheur et la longévité. Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit; mais Savoir laisse notre faible organisation dans un perpétel état de calme. Ainsi, le désir ou le vouloir est mort en moi, tué par la pensée; et le mouvement ou le pouvoir s’est résolu par le jeu naturel de mes organes. En deux mots, j’ai placé ma vie, non dans le cœur qui se brise, non dans les sens qui s’émoussent, mais dans le cerveau qui ne s’use pas et survit à tout.
Aussi, rien d’excessif n’a froissé ni mon âme ni mon corps. Cependant, j’ai vu le monde entier. Mes pieds ont foulé les plus hautes montagnes de l’Asie et de l’Amérique. J’ai appris tous les langages humains et j’ai vécu sous toutes les coutumes. J’ai prêté mon argent à un Chinois en prenant pour gage le corps de son père, et j’ai dormi sous la tente de l’Arabe sur la foi de sa parole, j’ai signé des contrats dans les capitales euroéennes, et j’ai laissé sans crainte, mon or dans le wigham des sauvages. J’ai tout obtenu parce que j’ai tout su dédaigner. Ma seule ambition a été de voir; car voir, c’est savoir! Oh! Savoir, jeune homme, n’est-ce pas jouir intuitivement? N’est-ce pas découvrir la substance même du fait et s’en emparer essentiellement? Que reste-t-il d’une possession matérielle? … Rien qu’une idée. Jugez alors combien doit être belle la vie d’un homme qui, pouvant empreindre les réalités dans sa pensée, transporte en son âme les sources du bonheur, en extrait mille voluptés idéales, dépouilées des souillures terrestres. La pensée est la clé de tous les trésors. Elle procure les plaisirs de l’avare sans en donner les soucis… Ainsi, ai-je plané sur le monde, où mes plaisirs ont toujours été des jouissances intellectuelles. Mes débauches étaient la contemplation des mers, des peuples, des forêts, des montagnes!... J’ai tout vu; mais sans fatigue, tranquillement; je n’ai jamais rien désiré, j’ai tout attendu. Je me suis promené dans l’univers comme dans le jardin d’une habitation qui m’appartenait…
Ce que les hommes appellent chagrins, amours, ambition, revers trsitesse, sont pour moi des idées que je change en rêveries. Au lieu de les sentir, je les exprime, je les traduits; et, au lieu de leur laisser de dévorer ma vie, je les dramatise, je les développe, je m’en amuse comme des romans que je lirais par une vision intérieure… N’ayant point forcé mes organes, je jouis encore d’une santé robuste; et mon âme, ayant hérité de toute la force dont je n’abusais pas, cette tête est encore mieux meublée que mes magasins…
- Là!... dit-il se frappant le front, là sont les millions. Je passe des journées délicieuses en jetant un regard intelligent dans le passé. J’évoque des pays entiers, des sites, des vues de l’Océan, des figures ravissantes! J’ai un sérail imaginaire où je possède toutes les femmes que je n’ai pas eues… Je revois des guerres, des révolutions… Oh, comment préférer de fébriles, de légères admirations pour quelques chairs plus ou moins colorées, pour des formes plus ou moins rondes, comment préférer tous les désastres de vos volontés trompées, à la faculté sublime de faire comparaître en soi l’univers même, au plaisir immense de se mouvoir sans être garotté par les liens du temps et de l’espace, de tout embrasser, de tout voir, de se pencher sur le bord du monde pour interroger les autres sphères, pour écouter Dieu!...
- Ceci!... dit-il d’une voix éclatante en montrant la peau de chagrin, est le pouvoir et le vouloir réunis!... Ce sont vos désirs excessifs, vos intempérences, vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre!... car le mal n’est peut-être qu’un violent plaisir. Qui sait à quel point la volupté devient un mal et celui où le mal est encore la volupté/… les plus vives lumières du monde caressent la vue, tandis que les plus douces ténèbres du monde physique la blessent. Sagesse ne vient-elle pas de savoir? … Et qu’est ce que la folie?... sinon l’excès d’un vouloir et d’un pouvoir…
- Eh bien, oui!... je veux savoir… dit l’inconnu en saisissant la peau de chagrin.
- Jeune homme!... s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.
- J’avais résolu ma vie par l’étude et la pensée, mais elles ne m’ont pas nourri.. Je ne veux pas etre la dupe d’une prédication digne de Swedenborg, et de votre amulette orientale, ou plutôt, monsieur, des charitables efforts que vous faites pour me retenir dans un monde où mon existence est impossible.
- Voyons?... ajouta-t-il en serrant le talisman d’une main convulsive et regardant le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide, quelque bacchanale digne du siècle où tout s’est, dit-on, perfectionné!... Que mes convives soient jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie!... Que les vins se succèdent toujours plus incisifs, plus pétillants et soient de force à enivrer même un corps diplomatique!... Enfin, je veux voir la Débauche en délire, rugissante, et dans son char tiré par quatre chevaux, dont l’ardeur nous entraîne par delà les bornes du monde et nous verse sur des plages inconnues… Que les âmes montent dans les cieux ou plongent dans la boue, je ne sais si, alors, elles s’élèvent ou s’abaissent… Peu m’importe! Mais je commande à ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les joies dans une joie, car j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une dernière étreinte pour en mourir… Aussi, souhaité-je et des priapées antiques après boire, et des chants à réveiller les morts, et des triples baisers sans fin, dont le bruit passe sur Paris comme un craquement d’incendie, y réveille les époux et leur inspire une ardeur cuisante qui rajeunisse même les douairières…
Un éclat de rire, parti de la bouche du petit vieillard, retentit comme un bruissement de l’enfer…
Le jeune homme interdit s’arrêta.
- Croyez-vous par hasard, dit le marchand, que mes planches vont s’ouvrir tout à coup pour donner passage à des tables somptueusement servies, à des convives de l’autre monde?… Non, non, jeune homme… Vous avez signé le pacte!...
Tout est dit.
Maintenant vos volontés seront scrupuleusement satisfaites; mais aux dépens de votre vie. Le cercle de vos jours, figuré par cette peau, se resserrera suivant la force et le nombre de vos souhaits, depuis le plus léger jusqu’au plus puissant!...
Le brachman auquel je dois ce talisman m’a jadis expliqué qu’il s’opérerait un mystérieux accord entre les destinées et les souhaits du possesseur… Votre premier désir est vulgaire et je pourrait le réaliser, mais j’en laisse le soin aux événements de votre nouvelle vie… Après tout vous voulez mourir? … Hé bien! Votre suicide n’est que retardé…
L’inconnu surpris et presque irrité de se voir toujours plaisanté par ce singulier vieillard dont l’intention demi-philantropique lui parut clairement démontrer dans cette dernière raillerie, s’écria:
- Je verrai bien, Monsieur,si ma fortune changera pendant le temps que je mettrai à franchir la largeur du quai…. Ou plutôt, pour savoir si vous ne vous moquez pas d’un malheureux, je désire que vous tombiez amoureux d’une danseuse; et, que pour elle, vous deveniez prodigue de tous les biens que vous avez si philosophiquement ménagés!...
A ces mots, il sortit sans entendre un grand soupir. Il traversa les salles, descendit les escaliers de cette maison, suivi par le gros garçon joufflu qui tâchait vainement de l’éclairer; car il courait avec la prestesse d’un voleur pris en flagrant délit…
Aveuglé par une sorte de délire, il ne s’aperçut même pas de l’incroyable ductibilité de la peau de chagrin qui, devenue souple comme un gant, se roula dans ses bras frénétiques, et put entrer dans la poche de son habit, où il la mit presque machinalement.



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