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Le petit clown est triste
prose [ ]

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par [Automnale ]

2009-08-03  |     | 



A la floraison des tournesols, les vacanciers, blancs comme le sel du paludier, arrivent avec de grands parasols, des rabanes, des chapeaux de paille, des bouées à têtes de canards, parfois une guitare. Les plus nombreux s’éparpillent à l’abri des pins, d’autres occupent, sur le front de mer, les quelques chambres de l’hôtel « Le téton de Vénus », d’autres encore prennent possession des petites maisons de charme aux tuiles ocrées.

L’océan à perte de vue, la blondeur des dunes solitaires, le parfum suave des immortelles, les garennes bohèmes, les piquants chardons bleus des sables, un air de liberté sur les oyats, de sensualité sur les mimosas, le décor est planté. La saison peut commencer.

L’accorte boulangère propose ses brioches à la fleur d’oranger, le patron du bazar vante ses espadrilles aux semelles de corde et le petit marchand de glaces parcourt l’immense plage, bordée d’écume, en reluquant les seins, en forme de poires ou de pamplemousses, des estivantes. Le soir, lorsque le soleil plonge ses filets d’or dans les flots, les touristes, savourant une barbe à papa ou une gaufre nappée de crème chantilly, flânent sur la corniche.

L’été ne serait pas tout à fait réussi si le neuf août, jour de la saint Amour, le cirque des Lézards n’arrivait dans le village avec ses saltimbanques et ses animaux, toujours les mêmes. Un colleur d’affiches court, de la rue du Marais à l’allée des Etiers, de la plage de la Salicorne à celle des naturistes, pour annoncer le programme des festivités. Sur un air de flamenco, passe la caravane composée de quatre lamas ingrats, d’un vieux canasson, d’un ouistiti décortiquant des cacahuètes, d’un magicien avec sa colombe, d’un charmeur de serpents. Antonio, le clown aux yeux de jade, ferme la marche.

En dépit de bien des aléas, de frissons sur les moissons, de la disparition des papillons, de la poussière des chemins, faisant fi des pauvres baladins, Antonio ne manque jamais le rendez-vous de la saint Amour. Avec sa clarinette, son nez rouge, ses pieds palmés, son accent catalan, il fait le bonheur des petits et des grands. Mais aujourd’hui, derrière sa façade de pitre, comme le petit clown est triste !

Son égérie, son étoile, son unique raison de vivre, la tendre et jolie trapéziste qui le faisait tenir debout, pour qui il calligraphiait des lettres d’amour, des sonnets flamboyant de désir, est partie, après un ultime sourire, lors d’une ultime voltige. Les coquelicots ont tressailli sous la pluie. L’altostratus a déchiré les arcs-en-ciel, éteint les lueurs des phares. Les grêlons ont déchiqueté les lampions. Et le vent, désespéré, s’est mis à hurler sur les rémiges des oiseaux migrateurs.

Pourtant, ce soir encore, Antonio est présent. Chancelant mais présent. Il n’ignore pas que les enfants de la colonie des hirondelles ont déjà rejoint le chapiteau installé sur le parking des dunes. Mais il est las, tellement las de jouer un rôle de composition, tellement las de son nez rouge factice, de son pantalon de bouffon, des contraintes, des faux-semblants ! Las de tenter de rester debout.

Pour la toute dernière fois, il lance, d’une voix fragile, son habituelle formule : « Bonsoir, les petits enfants ! Vous allez bien ? ». Pour la toute dernière fois, il souffle, dans sa clarinette, un succès de Sidney Bechet. Dans son interprétation, il met toute son âme de clown, son infini tristesse, son désespoir, son amour incommensurable pour sa petite fleur partie, sans lui tenir la main, au paradis des trapézistes, des artistes. Le cœur d’Antonio saigne. De grosses larmes coulent de ses yeux de jade. Avant de quitter la piste, il trouve encore la force de faire sa révérence. Les spectateurs applaudissent, applaudissent, applaudissent…

Nul ne réalise cependant que, seul derrière le rideau rouge, le petit clown s’écroule.

Le lendemain, il ne reprendra pas, avec les lamas ingrats, le chemin des saltimbanques. D’ailleurs ce village, par sa simplicité, son authenticité, lui convient. Il se débarrassera vite, au profit d’une petite maison blanche avec des volets bleus, de sa roulotte bringuebalante. Et sur un vieux piano de bastringue, ou sur sa clarinette, il composera des sonates, des mélodies, des chansons. Toutes évoqueront le flux des sentiments, la poésie de l’estran, la vie des éphémères, l’ombre et la lumière.

Et lorsqu’il tiendra un peu mieux debout, le patron du bazar lui fourguera une paire d’espadrilles aux semelles de corde véritable ! Alors, une nuit de pleine lune, pour se rapprocher du firmament, il marchera au-delà des dunes. Il sait que, parmi les myriades d’étoiles, il en existe une qui scintille spécialement pour un petit clown triste.

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