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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2005-06-04 | |
LA VEUVE DE NEIGE
Un jour vous vous sentez heureux. Enfin, heureux comme on peut l’être avec l’âge. Vous supportez les misères des autres et leurs plaintes et vous ne vous débrouillez pas trop mal avec les vôtres. Vous avez réussi à avancer sans tomber sur le fil de la mort, si bien que vous n’y pensez plus. Et voilà que d’un coup, l’autre, le traître, bref le mari s’en va. En un seul soir il est devenu ce sac de vie percée d’où tombent l’un après l’autre les souvenirs comme le grain fuit du sac du meunier. Bientôt la poche au passé est presque vide. Seuls restent encore quelques bonheurs trop gros pour passer à travers les petits trous de la mémoire. Voilà ce qui était arrivé à Jeanne, du village de Baren-Haut quand son homme la laissa tomber par un soir d’hiver. Il descendit d’un mètre le surlendemain en la laissant poursuivre seule sa chute vertigineuse dans la solitude. Elle lui en voulait, non d’être parti car ç’aurait tout aussi bien pu être son propre sort, mais de l’avoir abandonnée dans la vie, comme ça, d’un coup, comme on laisse tomber sa canne, pour devenir le même homme mais dans de beaux draps, et raide comme un clocher. Tout juste bon pour attirer la parenté et les voisins le temps d’un après-midi. Vient le trou inévitable. Puis rien. Ce qui s’appelle rien. Sauf les trois lapins dans leur cage qui eux n’étaient pas en deuil , et cette route toute bosselée où les tracteurs continuaient à traîner n’importe quoi dans leurs remorques en un raffut d’enfer. Rien ni personne pour aider Jeanne à faire son deuil, comme on dit quand on ne regrette plus personne. Pas moyen d’inaugurer un brin d’avenir comme on coupe un long ruban noir. Et la neige se mit à tomber à grandes rafales. On en avait rarement vu autant. Et Jeanne comptait les flocons à travers la vitre, et Jeanne croyait voir passer et passer son homme au bout de sa canne. Cet idiot allait attraper mal. Une manie. La neige le jetait toujours dehors comme le vent fait sortir les moineaux. Elle crut le voir immobile de l’autre côté de la vitre et ce fut le début d’une incroyable histoire. Jeanne sortit. Elle gagna la petite remise, prit pelles et balayettes et se mit à pétrir un bonhomme de neige, un grand puisque son homme était grand. Même allure jambes écartées. Un bras le long du corps et l’autre tendu vers l’horizon, ou l’au delà , si on veut. Bref un petit chef d’œuvre de froid, digne de ses vêtements sortis de l’armoire qu’elle n’hésita pas à couper à grands coups de ciseaux pour en habiller l’homme. Bien ajustés, sans un pouce de neige libre. Tout y était : cravate et pantalons avec les clefs en poche, et le viril complément du chapeau. Viril tant il fallait de courage pour continuer à exhiber cet ustensile que personne ne portait plus ici. Et Bonhomme tenait le coup. Il avait toujours aimé le vent et le froid et il le montrait bien ! Les voisins s’étonnaient un peu de le voir en bonhomme de neige. Comme lorsque ce même bonhomme, bien que paysan s’était fait communiste. Après plusieurs jours de glace vint le redoux et bonhomme commença à fondre. Pour Jeanne, il mourait. Mais cette fois, avec politesse, sans brusquer sa veuve. Le bras tendu retomba flasque le long du corps et l’autre ne tarda pas à chuter par terre. Le buste s’affaissa lentement et l’une des jambes ne suivit plus l’autre. Bonhomme rapetissait mais même avec son chapeau de travers il conservait sa dignité. Et le redoux continuait et Jeanne à travers sa vitre observait la mort de l’homme avec un brin de tendresse triste. Tiens, aujourd’hui c’est son côté droit qui flanche. Tiens, la culotte ne tient plus et la cravate se débine. Le gazon peu à peu se relevait et les herbes se redressaient entre ses jambes.. On aurait dit que bonhomme se penchait pour cueillir la première fleur. Et Jeanne fit son deuil, bien doucettement, tout tendrement, bien comme il faut, jusqu’au jour où elle sortit ramasser le tas de vêtements vides. Elle les enterra entre les draps de l’armoire et posa le chapeau par-dessus… |
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