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Les sources chaudes
prose [ ]

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par [BOKAY ]

2005-04-15  |     | 



Les sources chaudes


Laure leva la tête de son bureau et regarda par la fenêtre de sa chambre. La neige avait cessé de tomber. Elle referma son livre de philo, le déposa sur le coin de son bureau et observa le ciel. Des nuages isolés courraient au-dessus des sapins, mais rien de menaçant. Non il ne neigera plus ! Pensa Laure. Ses yeux fixèrent sa paire de patins à glace accrochés à une poutre de pin. La tentation était trop grande, comment rester ici alors que le lac est à un quart d’heure de marche ?
Laure s’habilla chaudement, balança ses patins par-dessus son épaule et descendit l’escalier.
--- Tu t’en vas Laure ? Demanda sa mère.
--- Oui, M’man, je vais patiner sur le lac, peut-être que Fabienne y est aussi ?
--- Ne rentre pas trop tard, la nuit tombe vite en cette saison !
--- Promis, M’man.
Laure marchait d’un bon pas sur le petit chemin qui mène au lac. A droite, une large haie d’arbustes recouverts de ronces et de lierres servait de refuge à une multitude d’oiseaux. A gauche, une forêt de sapins épaisse et sombre dont les longues branches s’avançaient sur le chemin. Arrivée au lac, Laure chaussa ses patins et se dirigea vers la petite île qui émergeait au centre du lac. Sur cette île, une vieille cabane laissée à l’abandon était le centre de ralliement des patineurs qui avaient coutume d’y déposer leurs affaires et venaient s’y abriter lorsque le vent devenait insupportable. Mais… Elle servait aussi, le cas échéant pour des rencontres amoureuses. Laure déposa son sac qui contenait divers objets dont une petite collation et une dose de jus de fruit. Elle vérifia une dernière fois la bonne fixation de ses patins, boutonna son anorak jusqu’en haut et s’élança sur le lac. Ses patins projetaient de fines particules gelées arrachées à la glace. Laure aimait plus que tout cet univers de glace, ce vent cinglant qui vous transperce le visage, ce silence si fort qu’il en devient inquiétant. C’était son univers.
C’était à chaque fois la même chose, après vingt minutes de patinage, Laure avait trop chaud. Elle s’arrêta pour desserrer son col et donner plus d’aisance à son cou. Elle descendit la fermeture éclair de son anorak, mais celle-ci se coinça dans son cache nez en la remontant. Elle tira
fortement, mais rien n’y fit, la fermeture restait bloquée. Laure décida de se rendre à la cabane, elle y serait au moins à l’abri du vent. Comme cette maudite fermeture résistait toujours, elle enleva son anorak à la façon d’un pull-over, le posa sur la table en bois brut et ainsi eut plus d’aisance pour la décoincer. Elle profita de cet arrêt pour manger une barre de céréales et ouvrir une boite de soda. Elle écarta la chaise de la table pour se relever et tourna instinctivement la tête en direction de l’unique petite fenêtre.
C’est alors qu’elle poussa un cri qui raisonna dans la cabane. Son corps se raidi de tous ses membres et les battements de cœur s’accélérèrent. Elle avait vu une tête par l’unique petite fenêtre, une tête d’homme ! Il la regardait, il l’épiait. Pris de panique, Laure se précipita vers la porte, l’ouvrit d’un geste vif et, ses patins aux pieds, elle franchit les quelques mètres de terre ferme et s’élança sur le lac. L’homme, surpris de ce départ précipité mit quelques instants à réagir puis cria dans la direction de Laure :
--- Mais revient ! Pourquoi tu te sauves ainsi, je t’ai fait peur ?
Laure ne répondit pas, elle utilisait toutes ses forces pour mettre une distance entre cet homme et elle. Il n’avait peut-être pas de mauvaises intentions, mais ce comportement, cette façon d’épier avait quelque chose extrêmement désagréable et déplaisant, elle avait toujours en tête le soir où un inconnu l’avait importuné. Par malchance, il n’y avait aucun patineur sur le lac ce jour-là, elle était seule !
--- Mais attend, dit l’homme, je veux te parler !
Et il se lança à la poursuite de Laure dans de larges mouvements, bien appliqués. L’homme était jeune, peut-être un jeune homme ? Il patinait de façon remarquable et semblait même plus rapide que Laure. Il réduisait la distance et criait d’un ton sec :
--- Mais arrête-toi ! Je veux te parler !
Et l’homme gagnait toujours du terrain, la distance les séparant s’était réduite à une cinquantaine de mètres. Laure patinait de toutes ses forces, mais rien n’y faisait, l’homme se rapprochait.
C’est à ce moment que Laure eut l’idée des sources chaudes. Tous les habitants de la région savaient que ces sources sont un véritable piège mortel pour la personne qui ignore leur emplacement. A cet endroit, la couche de glace n’a que de quelques centimètres. Le risque est signalé par un cercle de pneus usagés et un poteau surmonté d’un drapeau rouge avertit du danger. En fait, il n’y avait jamais eu d’accident de personne et seules des noyades d’animaux étaient à déplorer. Laure fonça droit en direction des sources, l’homme la suivait. Elle passa le plus près possible de la zone dangereuse puis bifurqua brusquement à angle droit. Pour la rattraper, l’homme coupa au court en passant par le centre des sources, mais sous son poids la fine couche de glace céda et l’homme s’enfonça dans un bruit effrayant. Laure s’arrêta et se retourna brusquement.
--- Laure ! Laure ! Au secours ! Au secours ! Me laisse pas, faut que je te dise que tu … L’homme ne put terminer sa phrase et s’enfonça dans l’eau glacée du lac.
Laure sentit une immense panique l’envahir, certes elle avait échappé à son poursuivant, mais les conséquences de sa décision prenaient une dimension tragique, monstrueuse. Pouvait-elle humainement regarder cet homme s’enfoncer dans l’eau glacée ! Le regarder se noyer sans réagir ? Représentait-il encore un danger pour elle ? Laure se saisit d’un des pneus et le lança en direction de l’homme qui se débattait dans l’eau. Le pneu termina sa course à deux mètres de l’homme qui tenta désespérément de s’en saisir. Laure se dirigea vers un autre pneu et le lança également dans la même direction. L’envoie fut plus précis, l’homme s’en saisir et réussit à maintenir sa tête hors de l’eau.
--- Va chercher du secours ! Vite, je gèle ! Vite ! Dit l’homme en rassemblant ses forces. Laure courut jusqu’à la cabane où se trouvait son portable, elle composa le numéro des urgences. Batterie trop faible, presque à plat ! Laure ne voyait plus qu’une solution, courir jusqu’à la première maison. Elle ne pris même pas le temps de déchausser ses patins, chaque minute comptait et elle se sentait capable de courir quelques centaines patins aux pieds. Epuisée, elle arriva à la première maison. Il y avait quelqu’un.
Laure retourna au lac, patina jusqu’aux sources chaudes. Tout semblait calme, presque serein ! Mais ce calme était une torture, il signifiait que l’homme n’avait put survivre dans l’eau glacée. Pas une seule petite bulle d’air qui atteste de la présence d’un corps sous l’eau! C’est horrible qu’une vie s’achève ainsi, aussi calmement sans laisser la moindre trace ! Au loin, en entendit le bruit des sirènes. Enfin, les secours. Bien que la glace fut très épaisse, les véhicules de secours restèrent sur le bord du lac. Laure expliqua ce qui était arrivé, les hommes fixèrent le trou, une fine couche de glace se reformait déjà.
--- Il n’y a plus grand chose à faire, mademoiselle, dit un des hommes. On va explorer le fond du lac, mais ce n’est même pas certain que l’on retrouve son corps. Ce lac est connu pour son épaisse couche de vase.
Deux plongeurs se relayèrent jusqu’à la nuit mais sans succès.
Les gendarmes venus sur place demandèrent à Laure de passer à la gendarmerie le lendemain. C’était logique, elle était la seule témoin de l’événement.
Cette nuit-là, Laure dormit peu, elle commençait à réaliser l’horreur de cette décision, prise dans l’urgence. Le sentiment de culpabilité remplaça vite la satisfaction d’avoir échappé à un assassin. Après tout, l’homme ne la menaçait pas, il disait vouloir lui parler. Oui, que ça, lui parler. En fait la peur démesurée qui l’avait envahi provenait uniquement du comportement ‘étrange’ de cet homme. Elle essaya de se justifier, de se trouver de bonnes excuses, mais rien n’y fit, sa conscience ne l’acceptait pas. Et que voulait-il me dire ? Et comment savait-il mon nom alors moi je ne l’ai jamais vu ? Non, Laure ne dormit pratiquement pas cette nuit-là, sa tête n’était qu’un enchevêtrement d’idées contraires.
Le lendemain, Laure se présenta donc à la gendarmerie. Elle devait donner sa version. Ce serait certainement la version retenue puisqu’elle était la seule personne présente lors du drame. Le drame ? Après avoir pris la déposition de Laure, le gendarme observa une pose, croisa ses bras et s’adressa à Laure.
--- Vous êtes certaine de ne pas avoir inventé toute cette Histoire ?
Laure ne comprenait pas ! On la soupçonnait d’avoir inventer ce drame ! Dans quel but ? Ils la prenaient pour une folle, une simple d’esprit ?
--- Mais enfin ! Dit Laure, je vous raconte ce que j’ai vu, rien de plus !
--- Le problème, dit le Gendarme, c’est que nous n’avons retrouvé aucune trace du corps de cet homme. Nous avons effectué de nouvelles recherches ce matin, pas la moindre trace de l’homme que vous prétendez avoir vu se noyer.
Laure rentra chez elle fatiguée et vexée qu’on l’ait prise pour une menteuse. Un instant, elle se posa même des questions sur son état mental. Mais non, se dit-elle, je l’ai bien vu se noyer !
Très perturbée par cette aventure, Laure repris sa vie, la semaine à la Fac et le patinage pendant son temps libre. Déjà l’été s’annonçait, les vertes prairies avaient remplacé les immenses étendues de neige et le souvenir de cette étrange histoire s’estompait. La vie reprenait un cours normal.
Mais ce lundi matin, un petit désagrément vint perturber les habitudes de Laure ; sa voiture refusait désespérément de démarrer. Elle demanda à son père de la conduire à l’université. Bien sûr, il accepta et laissant son petit déjeuner, ils partirent sur le champs. La voiture roulait à vive allure et Laure fit remarquer à son père, qu’il prenait le risque d’une contravention ou d’un accident.
--- Si je veux être à l’heure à mon travail, je dois me dépêcher ! répondit-il
La route était sinueuse et étroite à cet endroit et ce que redoutait Laure se produisit ; un tracteur agricole déboucha d’un chemin de terre; le père de Laure donna un coup de volant sec pour l’éviter et la voiture partit à gauche dans le fossé puis fit quelques tonneaux dans les champs. La voiture s’immobilisa sur le toit, Laure s’extirpa du véhicule, en fit le tour pour aider son père. Elle poussa un cri d’horreur en le voyant le visage en sang. Une tôle déchirée avait provoqué plusieurs coupures au visage et au cou. Laure appela immédiatement les secours sur son portable et fit son possible pour réduire l’hémorragie en attendant. Quand les secours arrivèrent, le père de Laure avait perdu beaucoup de sang.
--- Vous avez une carte de groupe sanguin de votre père ? demanda le médecin.
--- Je regarde, dit Laure en tendant la main pour attraper la sacoche en cuir de son père.
Laure regarda dans chaque compartiment de la sacoche et ne la trouvant pas, elle renversa tout son contenu dans l’herbe. C’est alors qu’une photo attira son attention. Elle représentait un jeune homme assis sur une plage. Elle regarda au recto : « souvenirs de vacances, Fabien ». Laure retourna la photo de nouveau, mais ce qu’elle vit dépassait imaginable. Elle en était certaine, c’était le visage de l’homme qui l’avait suivi au lac et qui s’était noyer ! Pas possible, se dit-elle ? Non, c’est pas possible.
L’ambulance transporta Laure et son père à l’hôpital. Il avait perdu beaucoup de sang et fut transféré dans une unité de soins intensifs. Laure ne souffrait d’aucune blessure, seulement quelques bleus. Prévenu par sa fille, la mère de Laure arriva à l’hôpital une heure plus tard.
--- Tu n’as rien, ma chérie ? demanda-t-elle à sa fille.
--- Moi, je n’ai rien, mais Papa a perdu beaucoup de sang, on ne peut pas encore le voir.
--- Tout ça c’est à cause de moi, dit Laure, Papa s’est dépêché pour arriver à l’heure à son travail et…
--- Non ! coupa sa mère, c’est le destin, ça devait arriver, c’est tout.
--- Et si les médecins n’arrivent pas à le sauver, maman. Je me le reprocherai toute ma vie !
La conversation s’arrêta car un médecin venait donner des nouvelles.
--- Soyez rassurées, dit-il, il est sauvé. Il avait perdu beaucoup de sang, mais les blessures sont sans gravités et il n’a pas de fracture.
Le troisième jour d’hospitalisation, Le père de Laure allait beaucoup mieux. Faut que je lui dise, se dit Laure, faut que je lui demande qui est ce ‘ Fabien’ ? Maintenant que nous sommes seules, c’est le moment.
--- Papa, dit-elle, j’ai une question à te poser, qui est Fabien ?
--- Fabien ? De quelle ‘ Fabien’ veux-tu parler ?
--- De celui que tu as en photo !
--- Ah ! Tu as trouvé une photo de Fabien !
Il resta un instant pensif puis tourna lentement sa tête vers Laure et lui demanda d’approcher.
--- Fabien est ton demi-frère, dit-il calmement. De toute façon j’avais décidé de vous le dire, à toi et à ta mère. Plus exactement, c’est Fabien qui devait te le dire, c’est pour cette raison qu’il était allé au lac, pour te parler et te dire qu’il était ton demi-frère. Il tenait à te le dire lui-même.
Il s’arrêta de parler subitement et mit sa tête dans ses mains.
--- J’ai pas été correcte avec vous, dit-il, j’aurai dû vous en parler plus tôt, j’ai été lâche, cent fois j’ai voulu vous en parler mais je n’en ai jamais eu le courage. Alors je repoussais toujours, toujours jusqu’au jour où Fabien me dit, Papa tu dis la vérité à ta femme et moi je dis à Laure qu’elle est ma demi-sœur!


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