Histoires normandes non encore écrites (VII)
Le vin de la vie, le goût de la vie


Deux choses sont importantes dans la vie : d’une part, avoir des adversaires, tout comme des amis, de rang élevé; d’autre part que les idées auxquelles nous nous opposons soient tout aussi nobles que celles pour lesquelles nous militons. En ce cas, bien sûr, nous pouvons garder pour nous-mêmes le rôle de combattants dans la galerie des victimes héroïques, ce qui est sans doute un avantage non négligeable pour la condition humaine. D’un autre côté, ce pourrait être notre manière de contribuer, de par le sens de notre vie, à la préservation d’un bon équilibre dans le monde réel.
Cependant, ce développement permanent des actions entre des pôles manichéistes peut sembler difficile, dans les conditions dans lesquelles l’esprit des temps actuels – un post-modernisme qui se languit de la modernité – ne conserve rien de l’esprit grec antique, où les notions de Bien et de Beau se confondaient. Mais, par contre, c’est justement dans l’acceptation clémente de nos contemporains d’assimiler fréquemment comme étant Bien un certain Bien dont on dit dès le commencement, qu’il est aussi Laid et Immoral, car possédant les vertus…de l’argent tout-puissant. Ceci, à une époque où bien évidemment l’argent est le noyau qui contrôle les Vérités de l’actuelle civilisation consumériste.

Je pensais à tout ceci en face d’une bouteille de vin que mes amis ont déposée sur la nappe blanche et resplendissante, un après-midi tard à Evreux. C’était une liqueur jaune de la cuvée réservée des Vins Fins de Bourgogne, année 1995, Vosne-Romanée 1er cru, dans laquelle on aurait dit que s’était accumulé, goutte après goutte, tout le soleil de Normandie. En 1995 est né leur enfant, et les français ont l’habitude d’acheter quelques bouteilles du meilleur vin de l’année de naissance d’un de leurs enfants pour le déguster plus tard, avec faste et cérémonie, lors de quatre grands évènements de sa vie : au baptême, à la communion, au mariage, et lors d’un anniversaire de mariage de l’enfant, comme les noces d’or ou les noces d’argent.
Un certain itinéraire du vin Vosne-Romanée 1er cru – 1995 suit et accompagne les pas de l’enfant dans la tradition et l’innovation qui alternent, entrant en concurrence l’une –l’autre, dans la vie de chaque homme. Je vois comme la maman offre une goutte, pas plus d’une goutte du vin de sa vie à l’enfant qui s’accoutume à promener tactiquement cette goutte de vin dans tous les coins de sa bouche, de sorte que les papilles gustatives apprennent l’arôme et la saveur véritables : le goût doit être éduqué, et le bon goût ciselé jusqu’à la perfection, disent les français.
« Ceci est le goût de ta vie », dit la goutte de vin à l’enfant.

A Evreux, j’ai compris, en fait, que les choses importantes dans la vie d’un être humain sont au nombre de trois : des adversaires puissants, des amis d’élite, et une goutte qui donne à chacun le goût de la vie.


(Traduction: Nicole Pottier)


Angela Furtună

Ecrivain, publiciste
Membre de l' Union des Ecrivains de Roumanie