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Poezii Rom�nesti - Romanian Poetry

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LYNCÉUS
poèmes [ ]

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [André_Gide ]

2004-05-25  |     |  Inscrit à la bibliotèque par lucia sotirova




LIVRO SEXTO

LYNCÉUS



Zum sehen geboren.
Zum schauen bestellt.

Goethe (Faust,II).



Commandements de Dieu, vous avez endolori mon
âme.
Commandements de Dieu, serez-vous dix ou vingt ?
Jusqu'où rétrécirez-vous vos limites ?
Enseignerez-vous qu'il y a toujours plus de choses
défendues ?
De nouveaux châtiments promis à la soif de tout ce que
j'aurais trouvé beau sur la terre ?
Commandements de Dieu, vous avez rendu malade
mon âme,
Vous avez entouré de murs les seules eaux pour me
désaltérer.
...Mais je me sens à présent, Nathanaël, plein de pitié
pour
les fautes délicates des hommes.
*
Nathanaël, je t'enseignerai que toutes choses sont
divinement naturelles.
Nathanaël, je te parlerai de tout.

Je mettrai dans tes mains, petit pâtre, une houlette
sans métal, et nous guiderons doucement, en tous
lieux, des brebis qui n'ont encore suivi aucun maî-
tre.

Pâtre, je guiderai tes désirs vers tout ce qu'il y a de
beau sur la terre.

Nathanaël, je veux enflammer tes lèvres d'une soif
nouvelle, et puis approcher d'elles des coupes pleines
de fraîcheur. J'ai bu; je sais les sources où les lèvres se
désaltèrent.

Nathanaël, je te raconterai les sources :
Il y a des sources qui jaillissent des rochers;
Il y en a qu'on voit sourdre de sous les glaciers;
Il y en a de si bleues qu'elles en ont l'air plus
profondes.
(A Syracuse, la Cyané, merveilleuse à cause de
cela).
Source azurée; vasque abritée; éclosion d'eau entre
des papyrus; nous nous sommes penchés de la barque;
sur un gravier qui semblait de saphirs, des poissons
d'azur naviguaient.
A Zaghouan, de la Nymphée jaillissent les eaux qui
jadis abreuvaient Carthage.
A Vaucluse, l'eau sort de terre, abondante comme si
elle coulait depuis longtemps; c'est déjà presque un
fleuve, et qu'on peut remonter sous la terre; il traverse
des grottes et s'imprègne de nuit. La lumière des
torches vacille, est oppressée; puis il y a un endroit
tellement sombre qu'on se dit: Non, jamais je ne
pourrai remonter plus avant.
Il y a des sources ferrugineuses, qui colorent somp-
tueusement les rochers.
Il y a des sources sulfureuses, dont l'eau verte et
chaude paraît d'abord empoisonnée; mais, Nathanaël,
lorsqu'on s'y baigne, la peau devient si suavement
douce, qu'après elle est encore plus délicieuse à toucher.
Il y a des sources d'où s'essorent des brumes, au
soir; brumes qui flottent autour dans la nuit et qui, le
matin, lentement se dissipent.
Petites sources très simples, étiolées entre les mous-
ses et les joncs.
Sources où viennent laver les laveuses et qui font
tourner des moulins.
Inépuisable provision! jaillissement des eaux. Abon-
dance de l'eau sous les sources; réservoirs cachés;
vases déclos. La roche dure éclatera. La montagne se
couvrira d'arbustes; les pays arides se réjouiront et
toute l'amertume du désert fleurira.
Plus de sources jaillissent de la terre que nous
n'avons de soifs pour les boire.
Eaux sans cesse renouvelées; vapeurs célestes qui
retombent.
Si l'on manque d'eaux dans la plaine, que la plaine
vienne boire aux montagnes - ou que des canaux
souterrains portent l'eau des monts vers la plaine. -
Irrigations prodigieuses de Grenade. -Réservoirs;
Nymphées. -Certes, il y a d'extraordinaires beautés
dans les sources -d'extraordinaires délices à s'y
baigner. Piscines! Piscines! nous sortirons de vous
purifiés.

Comme le soleil dans l'aurore,
La lune dans la rosée de la nuit,
Dans votre humidité courante
Nous laverons nos membre fatigués.

Il y a d'extraordinaires beautés dans les sources; et
les eaux qui filtrent sous la terre. Elles apparaissent
après aussi claires que si elles avaient traversé du
cristal; il y a d'extraordinaires délices à les boire: elles
sont pâles comme l'air, incolores comme si elles
n'étaient pas, et sans goût; on ne s'aperçoit d'elles que
par leur excessive fraîcheur et c'est comme leur vertu
cachée.

Nathanaël, as-tu compris qu'on puisse désirer
les boire ?
Les plus grandes joies de mes sens
ç'ont été des soifs étanchées.

Je te dirai maintenant, Nathanaël, la

RONDE DE MES SOIFS ÉTANCHÉES

Car nous avons eu pour approcher des coupes pleines
Des lèvres plus tendues que vers des baisers;
Coupes pleines, si vite vidées.

Les plus grandes joies de mes sens
ç'ont été des soifs étanchées...
*
Il est des boissons qu'on prépare
Avec le jus des oranges pressurées,
Des citrons, des limons,
Et qui rafraîchissent parce qu'elles sont
A la fois acides et douceâtres.

J'ai bu dans des verres si minces
Qu'on pensait les briser avec sa bouche
Avant même que les dents ne les touchent;
Et les boissons semblent meilleures là-dedans,
Car presque rien de nos lèvres ne les sépare.
J'ai bu dans des gobelets élastiques
Qu'on pressait entre ses deux mains
Pour en faire monter le vin jusqu'à ses lèvres.
J'ai bu des sirops lourds dans de grossiers verres
d'auberges,
Aux soirs des jours où j'avais marché sous le soleil;
Et parfois l'eau très froide des citernes
Me faisait mieux sentir, après, l'ombre du soir.
J'ai bu de l'eau qu'on avait gardée dans des outres
Et qui sentait la peau de chèvre goudronnée.

J'ai bu des eaux presque couché sur la rive
Des ruisseaux où j'aurais voulu me baigner,
Les deux bras nus plongeant dans l'eau vive
Jusqu'au fond, où l'on voit les cailloux blancs
s'agiter...
Et la fraîcheur m'entrait aussi par les épaules.

Les bergers buvaient l'eau dans leurs mains;
Je leur appris à l'aspirer avec des pailles.
Certains jours je marchais au grand soleil,
L 'été, durant les heures les plus chaudes,
Cherchant de grandes soifs à pouvoir étancher.
Et vous souvenez-vous, mon ami qu'une nuit, durant
notre affreux voyage, nous nous sommes relevés, trans-
pirants, pour boire à la cruche de terre, l'eau qu'elle avait
faite glacée?

Citernes, puits cachés où descendent des femmes. Eaux
qui n'ont jamais vu la lumière; goût de l'ombre. Eaux très
aérées.
Eaux anormalement transparentes, et que je souhaitais
azurées, ou mieux vertes, pour qu'elles me parussent plus
gelées -et légèrement anisées.
Les plus grandes joies de mes sens
ç'ont été des soifs étanchées.

Non! tout ce que le ciel a d'étoiles, tout ce qu'il ya
de perles dans la mer, de plumes blanches au bord des
golfes, je ne les ai pas encore toutes comptées.
Ni tous les murmures des feuilles; ni tous les souri-
res de l'aurore; ni tous les rires de l'été. Et maintenant
encore que dirai-je ? Parce que ma bouche se tait,
pensez-vous que mon coeur repose ?

O champs baignés d'azur!
Ô champs trempés de miel!

Les abeilles viendront, lourdes de cire...
J'ai vu des ports obscurs où l'aube était cachée
derrière le treillis des vergues et des voiles; le départ
furtif des barques, au matin, entre les coques des
grands navires. On se courbait pour passer sous les
câbles tendus des amarres.
La nuit, j'ai vu partir des galions sans nombre,
s'enfonçant dans la nuit, s'enfonçant vers le jour.
*
Ils ne sont pas si brillants que les perles; ils ne sont
pas si luisants que l'eau; les cailloux du sentier pour-
tant brillent. Réceptions douces de la lumière dans les
sentiers couverts où je marchais.
Mais de la phosphorescence, Nathanaël, ah! que
dirai-je? La matière est infiniment poreuse à l'esprit,
acceptante de toutes lois, obéissante! transparente de
part en part. Tu n'as pas vu les murs de cette cité
musulmane rougir le soir, s'éclairer faiblement la nuit.
Murs profonds où la lumière, durant le jour, s'est
déversée; murs blancs comme le métal, à midi (la
lumière s'y thésaurise); dans la nuit vous sembliez la
redire, la raconter très faiblement. -Cités, vous m'avez
semblé transparentes! vues de la colline, de là-bas,
dans la grande ombre de la nuit enveloppante, vous
luisiez, pareilles à ces creuses lampes d'albâtre, images
d'un coeur religieux -pour la clarté qui les emplit,
comme poreuses, et dont la lueur suppure autour,
comme du lait.
Cailloux blancs des routes dans l'ombre; réceptacles
de clarté. Bruyères blanches dans les crépuscules des
landes; dalles de marbre des mosquées; fleurs des
grottes des mers, actinies... Toute blancheur est de la
clarté réservée.

J'appris à juger tous les êtres à leur capacité de
réception lumineuse; certains qui dans le jour surent
accueillir le soleil, m'apparurent ensuite, la nuit,
comme des cellules de clarté. -J'ai vu des eaux
coulant à midi dans la plaine qui, plus loin, sous les
roches opaques glissées, y firent ruisseler des trésors
amassés de dorures.
Mais, Nathanaël, je ne veux te parler ici que des
choses, -non point de
L'INVISIBLE RÉALITÉ -car
...comme ces algues merveilleuses, lorsqu'on les
sort de l'eau, ternissent...
ainsi... etc.
-L'infinie variété des paysages nous démontrait
sans cesse que nous n'avions pas encore connu toutes
les formes du bonheur, de méditation ou de tristesse
qu'ils pouvaient envelopper. Je sais que, certains jours
d'enfance, lorsque j'étais encore parfois triste, dans les
landes de la Bretagne, ma tristesse parfois s'est sou-
dain échappée de moi, tant elle se sentait comprise et
reçue en le paysage -et qu'ainsi, devant moi, je la
pouvais délicieusement regarder.

La perpétuelle nouveauté.

Il fait quelque chose de très simple, puis dit :
Je compris que cela n'avait jamais été ni fait, ni
pensé, ni dit. -Et soudain, tout me parut d'une
virginité parfaite. (Tout le passé du monde complète-
ment absorbé dans le moment présent.)

20 juillet, 2 h du matin.

Lever. -Dieu est ce qu'il faut le moins faire attendre,
criais-je en me levant; si tôt levé qu'on soit, on voit
toujours de la vie qui circule; plus tôt couchée, elle
s'était moins que nous fait attendre.

Aurores vous étiez nos plus chères délices.
Printemps, aurores des étés!
Printemps de tous les jours, aurores!
Nous n'étions pas encore levés
Lorsque les arcs-en-ciel parurent...
...et jamais assez matinales,
Ou pas vespérales alors
Autant qu'il faudrait pour la lune...


Sommeils.

J'ai connu les sommeils de midi, l'été -les sommeils
du milieu du jour -après le travail commencé de trop
bonne heure; les sommeils accablés.
Deux heures. -Enfants couchés. Silence étouffant.
Possibilité de musique, mais n'en pas faire. Odeur des
rideaux de cretonne. Jacinthes et tulipes. Lingerie.
Cinq heures. -Réveils en sueur; coeur battant; fris-
sons; tête légère; disponibilité de la chair; chair
poreuse et que semble envahir trop délicieusement
chaque chose. Soleil bas; pelouses jaunes; yeux éclos
dans la fin du jour. O liqueur de la pensée vespérale!
Déroulement des fleurs du soir. Se laver le front d'eau
tiède; sortir... Espaliers; jardins enclos de murs au
soleil. Route; animaux revenant des pâtis; coucher de
soleil inutile à voir -admiration déjà suffisante.
Rentrer. Reprendre le travail près de la lampe.

Nathanaël, que te dirai-je des couches ?
J'ai dormi sur les meules; j'ai dormi dans les sillons
des champs de blé; j'ai dormi dans l'herbe, au soleil;
dans les greniers à foin, la nuit. J'accrochais mon
hamac aux branches des arbres; j'ai dormi balancé par
les flots; couché sur le pont des navires; ou sur les
couchettes étroites des cabines, en face de l'oeil stu-
pide du hublot. Il y eut des couches où m'attendaient
des courtisanes; d'autres où j'attendais de jeunes gar-
çons. Il yen avait tendues d'étoffes tellement molles
qu'elles semblaient s'instrumenter, ainsi que mon
corps, pour l'amour. J'ai dormi dans des camps, sur
des planches, où le sommeil était comme une perdi-
tion. J'ai dormi dans des wagons en marche, sans me
départir un instant du sentiment du mouvement.

Nathanaël, il y a d'admirables préparatifs au som-
meil; il y a d'admirables réveils; mais il n'y a pas
d'admirables sommeils, et je n'aime le rêve que tant
que je le crois réalité. Car le plus beau sommeil ne
vaut pas
le moment où l'on se réveille.

Je pris l'habitude de dormir en face de ma fenêtre
grande Ouverte, et comme immédiatement sous le ciel.
Dans les trop chaudes nuits de juillet, j'ai dormi
complètement nu sous la lune; dès l'aube le chant des
merles me réveillait; je me plongeais tout entier dans
l'eau froide et m'enorgueillissais de commencer très
tôt ma journée. Dans le Jura, ma fenêtre s'ouvrait
au-dessus d'un vallon qui bientôt s'est empli de neige;
de mon lit, je voyais la lisière d'un bois; des corbeaux y
volaient, ou des corneilles; de bon matin me réveil-
laient les clochettes des troupeaux; près de ma maison
était la fontaine où des vachers les menaient boire. Je
me souviens de tout cela.
J'aimais, dans les auberges de Bretagne, le contact
des draps rudes et de lessive qui sentait bon. A
Belle-Isle, les chants des marins m'éveillaient; je cou-
rais à ma fenêtre et voyais les barques s'éloigner; puis
je descendais vers la mer.
Il y a des habitations merveilleuses; dans aucune je
n'ai voulu longtemps demeurer. Peur des portes qui se
referment, des traquenards. Cellules qui se reclosent
sur de l'esprit. La vie nomade est celle des bergers. -
(Nathanaël, je mettrai dans tes mains ma houlette et tu
garderas mes brebis à ton tour. Je suis las. Toi tu
partiras maintenant; les pays sont tout grands ouverts
et les troupeaux jamais rassasiés bêlent toujours après
de nouvelles pâtures.)
Nathanaël, parfois me retinrent d'étranges demeures
Il yen eut au milieu des forêts; il yen eut au bord
des eaux; il yen eut de spacieuses. Mais sitôt que, par
habitude, je cessais de les remarquer, que je n'étais
plus étonné d'elles, requis par l'offre des fenêtres, et
que j'allais commencer à penser, je les quittais.
(Je ne peux t'expliquer, Nathanaël, ce désir exaspéré
de nouveauté; il ne me semblait point effleurer, déflo-
rer aucune chose; mais ma subite sensation était du
premier coup si intense qu'elle ne s'augmentait
ensuite par aucune répétition; de sorte que, s'il m'ar-
riva souvent de retourner aux mêmes villes, aux
mêmes lieux, c'était pour y sentir un changement de
jour ou de saison, plus sensible en des lignes connues;
et si, lorsque je vivais à Alger, je passai chaque fin de
jour dans le même petit café maure, c'était pour
percevoir l'imperceptible changement, d'un soir à l'au-
tre, de chaque être, pour regarder le temps modifier,
mais lentement, un même tout petit espace.)
A Rome, près du Pincio, au ras de la rue, par ma
fenêtre grillée, pareille à celle d'une prison, des ven-
deuses de fleurs venaient me proposer des roses; l'air
en était tout embaumé. A Florence, je pouvais, sans
quitter ma table, voir le jaune Arno débordé. Sur les
terrasses de Biskra, Meriem venait au clair de lune,
dans l'immense silence de la nuit. Elle était envelop-
pée tout entière d'un grand haïk blanc déchiré qu'elle
laissait tomber en riant sur le pas de la porte vitrée;
dans ma chambre l'attendaient des friandises. A Gre-
nade, ma chambre avait, sur la cheminée, au lieu de
flambeaux, deux pastèques. A Séville, il y a des patios,
ce sont des cours de marbre pâle, pleines d'ombre et
de fraîcheur d'eau; d'eau qui coule, ruisselle et fait au
milieu de la cour un clapotis dans une vasque.
Un mur, épais contre le vent du Nord, poreux à la
lumière du Midi; une maison roulante, voyageuse,
transparente à toutes les faveurs du Midi... Que serait
une chambre pour nous, Nathanaël ? Un abri dans un ; paysage.


Je te parlerai des fenêtres encore; à Naples, des
causeries sur les balcons, des rêveries, le soir, près des
robes claires des femmes; les rideaux à moitié retom-
bés nous isolaient de la société bruyante du bal. Il y
eut des paroles échangées, d'une si désolante délica-
tesse qu'après on restait quelque temps sans parler;
puis montait du jardin l'intolérable parfum des fleurs
d'orangers, et le chant des oiseaux des nuits d'été; et
puis ces oiseaux mêmes, par instants, se taisaient;
alors on entendait très faiblement le bruit des
vagues.

Balcons; corbeilles de glycines et de roses; repos du
Soir; tiédeur.
(Ce soir une bourrasque lamentable sanglote et
ruisselle contre ma vitre; je m'efforce de la préférer à tout.)

Nathanaël, je te parlerai des villes :
J'ai vu Smyrne dormir comme une petite fille cou-
chée; Naples, comme une lascive baigneuse, et Zag-
houan, comme un berger kabyle, dont l'approche de
l'aube a fait rougir les joues. Alger tremble d'amour au
soleil, et se Pâme d'amour dans la nuit.
J'ai vu, dans le Nord, des villages endormis au clair
de lune; les murs des maisons étaient alternativement
bleus et jaunes; autour d'eux S'étendait la plaine; dans
les champs traînaient d'énormes meules de foin. On
sort dans la campagne déserte; On rentre dans le
village endormi.

Il y a des villes et des villes; parfois on ne sait pas ce
qui a pu les bâtir là. -Oh! villes d'Orient, du Midi;
villes aux toits plats, blanches terrasses, où, la nuit, les
folles femmes viennent rêver. Plaisirs; fêtes d'amour;
lampadaires des places, qui font, quand on les voit des
collines voisines, comme une phosphorescence dans la
nuit.
Villes d'Orient! fête embrasée; rues qu'on appelle
là-bas des rues saintes, où les cafés sont pleins de
courtisanes, et où des musiques trop aiguës les font
danser. Les Arabes vêtus de blanc y circulent, et des
enfants -qui me semblaient beaucoup trop jeunes,
dis ? pour connaître déjà l'amour. (Il y en eut dont les
lèvres étaient plus chaudes que les petits oiseaux
couvés.)

Villes du Nord! débarcadères; usines; villes dont la
fumée cache le ciel. Monuments; tours mobiles; pré-
somption des arcs. Cortèges cavalcadants dans les
avenues; foule empressée. Asphalte luisante après la
pluie; boulevard où les marronniers s'alanguissent;
femmes toujours vous attendant. Il y avait des nuits,
des nuits tellement molles qu'au moindre appel je me
serais senti défaillir.
Onze heures. -Clôture; strident bruit des volets de
fer. Cités. La nuit, dans les rues solitaires, quand j'y
passais, des rats, très vite, regagnaient les égouts. On
voyait, par les soupiraux des caves, des hommes à
moitié nus faire le pain.

-Ô cafés! -où notre démence s'est continuée très
avant dans la nuit; l'ivresse des boissons et des paroles
enfin venait à bout du sommeil. Cafés! il yen avait de
pleins de peintures et de glaces, riches, et où l'on ne
voyait rien que des gens très élégants; d'autres, petits,
où l'on chantait des couplets comiques et où des
femmes, pour danser, relevaient très haut leurs
jupons.
En Italie, il yen avait qui se répandaient sur les
places, les soirs d'été, et où l'on prenait de bonnes
glaces au citron. En Algérie, il yen avait un où l'on
fumait du kief et où je faillis me faire assassiner; l'an
d'après, il était fermé par la police; car il n'y venait que
des gens suspects.

Cafés encore... O! cafés maures! -parfois un poète
conteur y raconte longuement une histoire; que de
nuits suis-je venu, sans le comprendre, l'écouter!...
Mais à tous, certes, je te préfère, lieu de silence et de
fin de journées, petit café de Bab el Derb, hutte de
terre, à la limite de l'Oasis, car, plus loin, tout le désert
commençait -d'où je voyais, après un jour plus
haletant, une nuit plus pacifique descendre. Près de
moi, s'extasiait un monotone jeu de flûte. -Et je songe
à toi, petit café de Shiraz, café que célébrait Hafiz;
Hafiz, ivre du vin de l'échanson et d'amour, silencieux,
sur la terrasse où l'atteignent des roses, Hafiz qui, près
de l'échanson endormi, attend, en composant des vers,
attend le jour toute la nuit.

(Je voudrais être né dans un temps où n'avoir à
chanter, poète, que, simplement en les dénombrant,
toutes les choses. Mon admiration se serait posée
successivement sur chacune et sa louange l'eût
démontrée; c'en eût été la raison suffisante.)
*
Nathanaël, nous n'avons pas encore ensemble
regardé les feuilles. Toutes les courbes des feuilles...
Feuillages des arbres; grottes vertes, percées d'is-
sues; fonds déplaçables aux moindres brises; mou-
vance; remous des formes; parois déchiquetées; mon-
ture élastique des branches; balancement arrondi;
lamellicules et alvéoles...

Branches inégalement agitées... c'est parce que
l'élasticité diverse des brindilles, faisant diverse leur
force de résistance au vent, fait diverse aussi l'impul-
sion que le vent leur donne... etc. -Passons à un autre
sujet... Lequel ? -Puisque pas de composition, il ne
faudrait ici pas de choix... Disponible! Nathanaël, dis-
ponible!

-et par une attention subite,
simultanée de tous les sens, arriver à faire (c'est
difficile à dire) du sentiment même de sa vie, la
sensation concentrée de tout l'attouchement du
dehors... (ou réciproquement). -J'y suis; là, j'occupe ce
trou, où s'enfoncent :
dans mon oreille :
ce bruit continu de l'eau; grossi,
puis apaisé, de ce vent dans ces
pins; intermittent, des sauterel-
les, etc.
dans mes yeux :
l'éclat de ce soleil dans le ruis-
seau; le mouvement de ces pins...
(tiens, un écureuil)... de mon
pied, qui fait un trou dans cette
mousse, etc.
dans ma chair :
(la sensation) de cette humidité;
de cette mollesse de mousse; (ah !
quelle branche me pique?...) de
mon front dans ma main; de ma
main sur mon front, etc.
dans mes narines :
... (chut! l'écureuil s'approche),
etc.
Et tout cela ensemble. etc., en un petit paquet; -c'est
la vie; -est-ce tout? -Non! il y a toujours d'autres
choses encore.
Crois-tu donc que je ne suis qu'un rendez-vous de
sensations ? -Ma vie c'est toujours: CELA, plus moi-
même. -Une autre fois je te parlerai de moi-même. Je
ne te dirai pas non plus aujourd'hui la

RONDE DES DIFFÉRENTES FORMES DE L.ESPRIT

ni la
RONDE DES MEILLEURS AMIS
et ni la

BALLADE
DE TOUTES LES RENCONTRES
où se trouvaient ces phrases entre autres :
A Côme, à Lecco, les raisins étaient mûrs. Je montais
sur une énorme colline où d'anciens châteaux s'effon-
draient. Là, les raisins avaient une odeur si sucrée qu'elle
m'en était incommode; elle pénétrait comme un goût
jusqu'à l'arrière-fond des narines, et d'en manger après ne
m'était plus d'aucune révélation particulière -mais
j'avais si soif et si faim que quelques grappes suffirent à
m'enivrer.

...Mais dans cette ballade je parlais surtout des
hommes et des femmes et si je ne te la dis pas
maintenant c'est que, dans ce livre, je ne veux pas faire
de personnalités. Car, as-tu remarqué que dans ce livre
il n'y avait personne. Et même moi, je n'y suis rien que
Vision. Nathanaël, je suis le gardien de la tour, Lyn-
céus. Assez longtemps avait duré la nuit. Du haut de la
tour je criais tant vers vous aurores! jamais trop
radieuses aurores!
J'ai gardé jusqu'à la fin de la nuit l'espoir d'une
nouveauté de lumière; maintenant je n'y vois pas
encore, mais j'espère; je sais de quel côté l'aube
poindra.
Certes, tout un peuple s'apprête; du haut de la tour
j'entends une rumeur dans les rues. Le jour naîtra! le
peuple en fête déjà marche au-devant du soleil.
-Que dis-tu de la nuit ? Que dis-tu de la nuit,
sentinelle ?
-Je vois une génération qui monte, et je vois une
génération qui descend. Je vois une énorme généra-
tion qui monte, qui monte tout armée, tout armée de
joie vers la vie.
Du haut de la tour que vois-tu ? Que vois-tu, Lyncéus,
mon frère ?
Hélas! Hélas! laisse pleurer l'autre prophète; la nuit
vient et le jour aussi.
Leur nuit vient, notre jour aussi. Et que qui veut
dormir s'endorme. Lyncéus! Descends de ta tour, à
présent. Le jour naît. Descends dans la plaine. Regarde
de plus près chaque chose. Lyncéus, viens! approche-
toi. Voici le jour et nous y croyons.


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