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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2015-07-25
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I
Cet amour, cette lumière qui ne me fait pas grâce, qui m’oblige à tout me rappeler, et le ciel tel que je le connais, éblouissant après la pluie, le ciel comme une joue d’enfant, mais personne ne veut plus entendre de consolations. Peut-être nous avons fait preuve de naïveté en montant sur les navires, nous avons cru tout ce qu’on nous a dit, la mer bouillait comme notre sang et quand les vagues se taisaient on n’entendait que nos paroles orgueilleuses, tellement nous étions convaincus que la sagesse est un mot creux. Ensuite notre navire a traversé des nuits où la lumière, comme un étrange souvenir, volait parmi les oiseaux blancs entre nous et nos erreurs et seulement la mort nous séparait des dieux. Pourquoi devais-je être coupable quand je n’ai voulu que rester croyant? Parfois le vent me fait croire que tout a duré juste un instant, où nous étions gênés tous les deux et nous ne savions pas quoi se dire, mais personne ne veut plus entendre de consolations, et les oiseaux blancs qui survolaient la mer entre nos ombres et dieux me rappellent que c’est moi, et personne d’autre, que c’est nous, et pas d’autres, nous qui sommes allés ensemble et seuls à Troie. II J’ai laissé derrière tant de mers et d’erreurs que je me demande pourquoi tout ça devait exister? À quoi servent les remords lorsqu'on apprend à aimer? Pourquoi tout ça, pourquoi? Oui, il fallait! Il fallait, peut-être. Il fallait peut-être que nous soyons d’abord coupables pour apprendre à aimer. Il fallait qu’on fasse des erreurs pour connaitre la fin de l’erreur, peut-être, ceux qui sont allés à Troie sont les seuls à avoir le droit de dire : je sais tout sur l’amour et le rivage. Jamais personne ne saura mieux que nous ce que c’est l’amour, parce que personne ne l’a perdu et n’y a rêvé comme nous. Parce que personne n’a dû se taire avec plus de douleur que nous en espérant crier un jour: voilà le rivage! Parce que personne n’a regardé comme nous l’étoile poussiéreuse de la solitude rayonnant nos mains, pendant que nous couvrions nos yeux pour mieux s’en souvenir. Et encore, encore le ciel comme je le connais déjà , brillant après la pluie, et je me demande, peut-être, pour la dernière fois. Pourquoi tout ça, que je ne peux plus racheter, sinon par l’amour plus fort pour la plage où je me trouve et je rêve d’y arriver un jour? Et, surtout, pourquoi sommes-nous coupables que tout ça a déjà existé? J’ai voulu juste rester croyant. Nous n’avons voulu que ressembler aux oiseaux qui s’en fichent des dieux et du temps. III Mais je sais que la mort existe, et la falaise existe, la plage déserte existe à l’aube elle aussi et les vestiges des pieds qui nous rendent coupables existent, les navires qui nous ont menés à Troie existent, l’amour aussi, pour lequel nous n’avons pas eu assez de temps, les souvenirs existent, et les mouettes qui crient existent, de même existe le sable sur lequel je me collais à midi, et le lieu vide près de moi existe, tout existe, à part la jeunesse qui s’est envolée à Troie si longtemps assiégé, cette erreur vers laquelle nous nous sommes dirigés paisiblement. Oh, le goût meurtrier du départ. IV Année après année nous avons couru les mers et quand nous nous sommes retournés nous avons aperçu combien peu nous étions loin du rivage. En fait, nous ne nous en sommes éloignés pas du tout. Nous étions toujours là à aimer les mêmes choses, sauf que nous étions plus vieux, et c’était plus difficile de sourire. À Troie nous avons perdu l‘habitude de sourire légèrement. Aujourd'hui nous aimons autrement, avec plus de tristesse. Enfin, nous sommes les mêmes et nous aimons les mêmes choses, nous aimons. V Nous sommes fatigués et, des dieux, seulement la mort nous sépare. Nous avons vu comment le sablier se vide, quelqu'un disait que même les tombeaux meurent, autrement les tombeaux conquerront le monde. Nous sommes fatigués, mais aujourd'hui nous savons ce que les dieux savent eux aussi. Et peut-être encore plus. Nous avons découvert en nous la plus importante des choses que l’homme doit savoir. Cet amour, cette lumière et le vent qui ne nous ménagent pas, qui nous obligent à tout se rappeler... *traduit du roumain Cei care am fost la Troia – Octavian Paler |
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