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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2010-03-06 | | Inscrit à la bibliotèque par Guy Rancourt
Nulle des choses les plus douces,
Ni le parfum des fleurs décomposées, Ni de la musique en pleine mer, Ni de l’évanouissement bref De la chute des escarpolettes [Les yeux fermés, les jambes bien tendues), Ni une main tiède et caressante dans mes cheveux M’emplissant le crâne de mille petits démons Semblables à des pensées musicales ; Ni la caresse froides des orgues Dans le dos, à l’église ; Ni le chocolat même, Soit en tablettes fondantes, Fraîches d’abord puis brûlantes, Grasses comme des moines, Tendres comme le Nord ! Soit limpide et fumant (Hausse vers moi ton baiser lourd, colorada ! Laissant du feu parfumé après lui Et une moiteur délicate sur tout mon corps...) Ni le fumet d’amandes de certains fards ; Ni la vue des choses à travers des vitres rouges, Ou mauves ou vertes Comme chez Daniéli, à Venise, au fumoir : Ni la sensation précieuse de la peur, Ni le parfum des laques, ni Les cris matinaux des coqs en pleine ville — Nul des plus beaux spectacles : Ni la Méditerranée Avec son odeur à elle, âcre et bleue, Avec son froissement et son battement Si caressants et courts Sur les flancs des navires. — (Oh ! nuits sur le pont, quand pas malade, avec l’officier de quart ! Et toi, vigie, ange gardien de l’équipage Combien ai-je passé de nuits, silencieux, À tes pieds, voyant les étoiles dans tes yeux, Tandis que Boréas nous soufflait au visage.) Avec ses îles, Innombrables, diverses, Les unes blanches avec le gris-vert des oliviers, Les autres dorées, où l’on aperçoit des villages ; D’autres : de longues choses bleues qui se cachent ; Avec ses détroits pleins de musique, Bonifacio semblable aux portes de la mort, Messine avec le Faro, Scylla étincelant Dans la nuit, Les Lipari avec de rares lumières (une, haute et rouge et coulante) ; Et tout le jour Toute cette mer Pareille à un grand jardin fleuri... Non, aucune de ces choses, Aucun de ces spectacles, Ne saurait me distraire De la volupté éternelle de la douleur ! Vous voyez en moi un homme Que le sentiment de l’injustice sociale Et de la misère du monde A rendu complètement fou ! Ah ! je suis amoureux du mal ! Je voudrais l’étreindre et m’identifier à lui ; Je voudrais le porter dans mes bras comme le berger porte L’agneau nouveau-né encore gluant... Donnez-moi la vue de toutes les souffrances, Donnez-moi le spectacle de la beauté outragée, De toutes les actions honteuses et de toutes les pensées viles (Je veux moi-même créer plus de douleur encore ; Je veux souffler la haine comme un bûcher). Je veux baiser le mépris à pleines lèvres ; Allez dire à la Honte que je meurs d’amour pour elle ; Je veux me plonger dans l’infamie Comme dans un lit très doux ; Je veux faire tout ce qui est justement défendu ; Je veux être abreuvé de dérision et de ridicule ; Je veux être le plus ignoble des hommes. Que le vice m’appartienne, Que la dépravation soit mon domaine ! Il faut que je venge tous ceux qui souffrent (Et le bonheur n’est pas non plus dans l’innocence) ; Je veux aller plus loin que tous Dans l’ignominie et la réprobation, Je veux souffrir avec tout le monde, Plus que tout le monde ! Ne fermez pas la porte ! Il faut que j’aille me vendre à n’importe quel prix ; Il faut que je me prostitue corps et âme ; J’ai si faim de mépris ! J’ai si soif d’abjection ! Et tant d’autres en sont repus ; tant d’autres : Les Pauvres ! Hélas, je suis trop riche ; le Mal M’est à jamais interdit quoi que je fasse : Je suis un Riche, naturellement bon et vertueux ; Si j’étais plus riche encore, peut-être Je pourrais acheter la Honte, Et la douleur et la bassesse toute nue du monde ? Mais que du moins j’entende, Monter toujours Le cri de la douleur du Monde. Que mon cœur s’en remplisse ineffablement ; Que je l’entende encore de mon tombeau, Et que la grimace de mon visage mort Dise ma joie de l’entendre ! (Valery Larbaud, Les Poésies d'A.O. Barnabooth, 1913) |
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