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Poezii Românesti - Romanian Poetry

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Interview avec Miruna Tarcau
personnelles [ ]

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par [angegab ]

2009-02-03  |     | 



Interview poésie/roman avec Miruna Tarcau,jeune écrivaine qui vit au Canada
1°écrire, est-ce une contrainte ?

Écrire, c’est nécessairement jouer avec des mots de façon à créer dans l’esprit du lecteur des images particulières, des sentiments, des impressions bien précises, à partir d’expressions qu’il reliera forcément –du moins inconsciemment- à son propre vécu, et qu’il interprétera ainsi d’une manière personnelle sur laquelle l’auteur n’aura aucun contrôle. Tandis qu’un lecteur canadien qui lit le mot « arbre » pourrait spontanément se figurer un érable ou un sapin, ce ne sera pas le cas du lecteur antillais qui aura plutôt tendance à s’imaginer un palmier. C’est le problème que soulève Hobbes sur la distinction entre le général et le particulier : tandis que les mots qu’emploient les écrivains se réfèrent à des concepts abstraits et généraux, ces derniers veulent au contraire faire naître quelque chose d’unique, de singulier –et c’est d’ailleurs pourquoi l’on peut parler de « création » littéraire. L’écriture est donc contraignante dans le sens où ni le talent, ni le style ni l’expérience ne sauront surmonter les limites du langage lui-même. Cependant, la richesse du récit réside peut-être justement dans la diversité des interprétations possibles d’un même texte, qui varient non seulement de lecteur en lecteur, mais aussi avec le passage du temps. Ainsi, il y aurait deux niveaux de création : celui où l’auteur transforme les mots en leur conférant une signification qui s’éloigne de celle que leur attribue le dictionnaire, afin de concrétiser ses idées; et celui où les lecteurs s’approprient les mots de l’auteur pour créer des images mentales qui leur sont propres, et qui ne sont pas du tout celles que s’imaginait l’auteur lui-même.

2°si le récit peut féconder le réel, c’est pour faire naître quoi ?

Pour ma part, je trouve que le récit a cela d’attrayant qu’il n’est pas soumis aux contraintes qu’impose le réel au quotidien; aussi, je crois que je ne pourrais pas situer une de mes histoires dans un cadre trop vraisemblable, ou trop dénué de ce que j’appellerais la « touche mythique, onirique, mystérieuse » de la littérature, car ce que je recherche avant tout dans les romans que j’écris comme dans ceux que je lis, c’est une porte d’entrée vers un autre univers. Je crois que la véritable magie du roman consiste à puiser dans le monde, le vécu de l’auteur ainsi que son entourage, et de filtrer le réel à travers le prisme d’un personnage, d’un cadre et d’une action qui ne sont ni complètement étrangers à la réalité de laquelle ils ont été tirés, ni entièrement compatibles avec elle. Le récit fait naître en notre esprit cette frontière étroite entre le désir d’évasion, d’aventures, d’exotisme, d’imprévu, d’extraordinaire; et le bonheur de nous savoir ancrés dans une réalité que nous maîtrisons plus ou moins –ou du moins, à laquelle nous appartenons. Et s’il ne bouleverse pas notre univers personnel, il l’affecte du moins en faisant naître le rêve au sein du quotidien.

3°qu’est-ce qui déclenche l’écriture ?

Selon moi, l’écriture est générée avant tout –plus que par l’inspiration, le désir d’évasion, ou l’impulsion plus ou moins naturelle qui est de transmettre à d’autres le fruit de ses réflexions- par le désir d’extérioriser ses idées afin de mieux les saisir, les contempler, les analyser et leur donner une forme hors du cadre vague et imprécis des pensées qui sont sans cesse en mouvement. Je crois donc que c’est fondamentalement pour lui-même que l’écrivain écrit, car l’écriture est l’étape essentielle à travers laquelle il doit soumettre son intériorité aux structures complexes qui forment le langage, et transformer ses idées, ses pensées, ses émotions et sa vision des choses de façon à les mettre en adéquation avec la réalité du mot. Car après tout, ce que l’on appelle « inspiration », n’est-ce pas avant tout l’idée géniale qui surgit du néant, et qui se perd comme elle s’est créée si on ne la saisit pas aussitôt pour la figer à travers l’écriture ?



4°le mot le plus important pour vous ?

Il est difficile de trouver un mot qui traduirait à la fois l’idée du rêve, de la création et de l’évasion du réel mais aussi de son propre corps qui limite nos pensées, nos perceptions et nos idées à notre bagage de connaissances acquises à travers l’expérience –autant de choses que je considère essentielles pour passer au-travers du parcours parfois trop monotone qu’étale devant nous le chemin de la vie. Si je devais réellement choisir un mot au-dessus de tout autre, ce serait poésie, dans son sens grec, poiein, c’est-à-dire faire, créer; car bien que nous sommes tous déterminés, voire limités par le cadre dans lequel nous vivons, la liberté individuelle consiste en la création constante de soi-même par nos actes, nos paroles et la manière dont nous interprétons le monde qui nous entoure. Rien n’est figé dans l’existence mis à part le passé, et même celui-ci peut être déformé de diverses manières, sinon volontairement, du moins par la mémoire qui n’est jamais fidèle aux événements dont elle est témoin. C’est cette création constante qui définit le monde et qui le rend supportable. Comme disait si bien Héraclite d’Éphèse : « tout passe et rien ne demeure ».

5°vous bâtissez vos livres avec une architecture pré-établie ?

Pour commencer à écrire un livre, il faut d’abord que l’histoire que je veux transmettre soit claire du moins à mon esprit, si elle ne l’est pas encore à celui des lecteurs, car je considère qu’écrire en laissant le dénouement de l’intrigue se déficeler au gré de l’inspiration du moment s’apparente à peindre des formes et des couleurs au hasard, en espérant que le tout formera un ensemble cohérent qu’il reviendra au spectateur de démystifier. Avant même que le premier mot n’ait été écrit, il faut que les personnages existent déjà, avec une psychologie qui leur est propre, ainsi qu’un vécu, des joies, des peines, des goûts particuliers et surtout, des souvenirs. Pour qu’un livre soit réussi, à mon avis il doit exister en-dehors de l’écriture et non pas prendre naissance au moment où l’auteur confronte ses personnages à une situation donnée. Il doit également y avoir une certaine progression logique que l’on ne peut obtenir qu’en sachant à l’avance le destin des personnages, et chaque étape du roman doit marquer un nouveau pas dans leur vie qui les rapproche un peu plus de leur perte, ou de leur salut.

6° ouvrez-nous un peu votre « fabrique d’écriture » ?

La toute première étape de l’écriture d’un roman, c’est tout d’abord la chasse aux idées que l’on ne peut effectuer qu’à travers des observations diverses –que ce soit par la lecture, la musique, la peinture ou tout simplement le monde extérieur, l’important est de sortir de soi-même et d’absorber avec zèle tous ces matériaux potentiels qui peuvent servir à la fondation d’un roman. Une fois que l’observation a été effectuée (du moins en partie, car elle ne s’arrête jamais), vient l’étape du recueillement pendant laquelle l’auteur transforme ce qu’il connaît, éliminant l’inutile, élaguant l’intéressant en morceaux qu’il mêlera aux idées qui auront germé de cette étude préliminaire à la création; et lorsqu’il jugera enfin qu’il pourra extraire quelque chose d’intéressant de ce creuset où ses expériences fusent avec ses désirs, il prendra cette idée, l’examinera sous tous ses aspects, et la placera éventuellement à la base de la pyramide de sa trame narrative. Ce n’est qu’à partir de là qu’il pourra commencer à penser à son roman, car il aura déjà trouvé la clef de voûte indispensable qui lui permettra de retenir tous les autres éléments qu’il y assemblera, sans risquer de les voir s’écrouler sous l’invraisemblance ou l’absence d’intérêt que pourrait comporter son récit. C’est ainsi que je décrirais plus ou moins ma « fabrique d’écriture ».

7°le poète peut-il rendre le monde meilleur ?

Le poète n’a aucun pouvoir concret sur le monde qu’il s’évertue à transformer, ou à rendre meilleur, à travers les mots. Ce qui fait sa force et son talent, c’est sa capacité à subjuguer ses lecteurs pour les amener à s’oublier eux-mêmes –je n’ai pas d’autres mots pour décrire l’état dans lequel je me trouve lorsqu’un poème parvient à m’emporter hors de mon univers avec une économie de moyens que je juge extraordinaire, puisqu’un seul quatrain peut résumer à lui seul ce qu’un paragraphe de roman voudrait imparfaitement transmettre. Le poète œuvre au niveau de l’imagination du lecteur et transforme le monde tel qu’il est vu par celui-ci, sans modifier cependant les faits réels qu’il décrit et qui existent indépendamment de son œuvre.

8°pourrait-on dire que l’enfance est l’élément fondateur de votre écriture ?

J’ai pénétré dans le monde de l’écriture alors que j’avais encore un pied, sinon les deux, dans l’enfance, et je dois avouer que je n’avais pas encore la moindre idée de ce qu’était la littérature ou ce que signifiait le métier d’écrivain; je n’étais consciente que du désir de créer quelque chose qui me soit propre, et l’écriture s’est aussitôt imposée à moi comme moyen d’expression. Je ne saurais dire si cette carrière que je me suis choisie si tôt ne m’a pas propulsé précocement dans le monde adulte ou si, au contraire, c’est ce qui me retient dans l’univers de l’enfance. Pour écrire, je crois qu’il faut se replonger dans cet état primaire, où l’esprit vagabondait librement dans un imaginaire quotidien, où tout était source de fantaisie et de joie. En tant qu’adolescente, je commence à comprendre que rien dans le monde, pas même le métier d’écrivain, ne permet de se réfugier dans les mécanismes de l’inconscient, de vivre de ses songes et de sa plume comme certains vivent d’amour et d’eau fraîche… mais l’enfance sera toujours pour moi une source d’où je puiserai mes idées, mes idéaux.

9°comment percevez-vous le monde qui nous entoure ?

Au départ, ce qui m’a justement poussée vers l’écriture, c’est tout d’abord le désir d’échapper au monde qui nous entoure –ce n’est pas que je ne trouve aucun intérêt à l’explorer ou à l’étudier sous ses multiples aspects, car il comporte en lui-même tant de raisons de s’émerveiller, ne serait-ce que devant la puissance époustouflante de la nature ou encore les nombreux mystères que l’Homme n’est pas encore parvenu à éclaircir, qu’il paraît impossible de vouloir s’en détourner afin de se lancer dans l’impossible entreprise de créer un autre univers, qui sera nécessairement imparfait, moins complexe et plus abstrait que celui dans lequel nous vivons. Cependant, à force de m’émerveiller et de vouloir connaître l’héritage complexe que nous ont légués les Hommes qui ont vécu avant nous, vint un moment où j’ai ressenti que si je ne contribuais pas moi-même à enrichir de quelle que façon que ce soit ce monde que je m’évertuais à étudier, ma vie allait inévitablement m’échapper et être emportée par le train effréné de l’Histoire, que l’humanité dans son ensemble modèle et domine, mais qui écrase impitoyablement les individus. C’est ainsi que je perçois le monde, comme un grand ensemble exaltant que l’on ne pourra jamais véritablement connaître; comme une source inépuisable dans laquelle puise l’humanité pour réinventer le réel sans jamais le saisir…

10°qu’est-ce qu’un écrivain selon vous ?

Selon moi, il n’y a de sécurité que dans la création littéraire. Comment décrirais-je autrement ce pouvoir de décision absolu qui élève l’écrivain au rang de démiurge, qui peut planer au-dessus de sa création avec la certitude absolue que pas un assemblage n’a été installé pas un autre que par lui dans la machine bien huilée de son œuvre ? Il est vrai que, comme Gide, on peut considérer que le personnage peut parfois échapper à son créateur, qu’il s’impose à lui et qu’une fois que l’écrivain lui accorde gracieusement une personnalité qui le définit au sein de son roman, il n’aura plus le choix de le faire agir que conformément à cette personnalité; comme si les choix provenaient réellement du personnage, et non pas de l’auteur. Il est vrai également que l’auteur peut se voir contraint d’adapter son œuvre, du moins en partie, à l’ensemble de contraintes que l’on appellerait aujourd’hui le « politiquement correct »; et, selon son époque, il se verra peut-être forcé d’affubler d’une fin morale un roman qui ne l’est pas, comme ce fut peut-être le cas de Laclos dans ses Liaisons Dangereuses. Il est vrai enfin qu’à partir du moment de la publication du roman, et surtout de la mort de son auteur, la critique littéraire peut en user absolument comme elle veut et extraire du livre des significations qui ne sont peut-être jamais passées à l’esprit de l’auteur, qui à son tour n’aura plus l’occasion de les démentir et verra les assemblages parfaitement bien huilés de la machine dont il était le maître, déréglés par une multitude de spécialistes qui décortiqueront son univers au point d’en extraire une essence qui lui sera étrangère. Malgré tout, l’écrivain doit demeurer le maître absolu de son univers, tant au moment de l’écriture qu’à celui où il soumet sa précieuse création au jugement implacable de ses lecteurs : ce doit être avant tout le créateur d’un cadre, d’une époque, d’une histoire influencée par l’Histoire et de personnages fictifs qui auraient pu être taillés à partir de personnages réels; « il padrone del tempo », celui qui donne vie, définit et contrôle la totalité de son œuvre.

11°l’écrivain est-il un grand alchimiste de la réalité ?

Quel que soit le talent d’un écrivain, il est invariablement soumis à cette même réalité à laquelle il souhaite tant échapper à travers ses œuvres; réalité qui lui impose ses centres d’intérêts, les grands thèmes de ses œuvres, les injustices qu’il y dénoncera ou tout simplement ses propres traumatismes qu’il tentera d’exorciser à travers la pratique purgative de l’écriture. Victor Hugo aurait-il écrit Les Contemplations s’il n’avait pas eu à souffrir de la mort précoce de sa fille Léopoldine ? C’est parfois ce que je me demande lorsque je m’interroge sur les limites de la création, ainsi que sur les rapports entre l’écriture et la réalité. Les artistes ont certes une certaine emprise sur le réel qui leur permet de modifier théoriquement le monde au point de le rendre méconnaissable, mais n’ont-ils pas également le devoir de transmettre à travers leurs œuvres les grandes préoccupations de leur époque, qu’elles soient politiques, religieuses, philosophiques ou sociales ? Ont-ils le pouvoir d’exclure de leurs œuvres les chagrins personnels que leur apporte la réalité et ainsi se détacher de l’emprise qu’a le monde sur eux, ou doivent-ils accepter qu’il n’y a pas d’autre part de création dans leurs œuvres que la transformation de ce que leur apporte le réel?

12°vous vous êtes immergé(e) très jeune dans la lecture et l’écriture ?

Les livres que j’écris sont encore la continuation de ce que j’avais commencé à dix ou onze ans, ils ont grandi et mûri avec moi. D’après moi, c’est à cet âge-là –dans la période qui précède l’adolescence- que l’imagination est la plus fertile, et celle-ci se disperse habituellement en jeux, en lectures et en rêveries nécessaires au bon développement de l’enfant dans l’absolu, mais concrètement inutiles. Après la pré-adolescence suit une période tumultueuse durant laquelle les problèmes personnels prennent des proportions monstrueuses devant lesquelles il devient de plus en plus difficile de pratiquer le détachement de soi –ou au contraire de puiser au sein de ses expériences- afin de s’adonner à un exercice créateur… Puis l’entrée dans l’âge adulte nous rattrape à grands pas et il devient de plus en plus nécessaire d’accorder une attention grandissante aux problèmes de notre environnement, pour s’accorder au moins les moyens de subsister –il devient ainsi de plus en plus difficile de se détacher du réel, qui nous aspire irrémédiablement vers les tâches ingrates du quotidien. C’est pourquoi je crois qu’il faut saisir ces derniers moments où l’avènement de la raison s’entremêle aux sentiments nouveaux qui précèdent l’adolescence et aux rêves ingénus tirés de l’enfance, et en faire une source d’où l’on peut continuellement puiser les ingrédients nécessaires à l’imagination, aux idéaux, aux rêves. En effet, c’est bien à cette période cruciale que je me suis immergée dans la lecture et l’écriture. Je considère que m’éloigner définitivement de mes sources serait trahir mes idéaux d’enfant et la raison pour laquelle je me suis tournée vers la littérature. À ce titre, mon enfance marque donc l’origine, non seulement de mon désir d’écrire, mais aussi des idées directrices qui dirigent encore mes romans vers des thèmes qui me passionnaient à cette époque, et qui me passionnent toujours.

13°quelles sont vos relations avec le temps ?

Une œuvre bien écrite doit pouvoir échapper à l’emprise du temps, et plaire à son lecteur quelle que soit son époque ou le cadre géographique et social dans lequel il vit. Quant à moi, je trouve que le temps permet d’effectuer une sélection naturelle d’idées parmi lesquelles l’on pourrait difficilement distinguer les bonnes des mauvaises sans le recul nécessaire que procurent les années : ainsi, que ce soit au niveau de l’histoire littéraire qui ne retient que les meilleurs œuvres pour la postérité en éliminant les succès du moment, ou bien qu’il s’agisse de mes idées personnelles que je développe au fil des années, j’ai remarqué l’apparition d’un phénomène similaire qui tend à perfectionner ou étudier ce qui vaut la peine de l’être, et à élaguer les œuvres ou les idées maintes fois reprises au cours de l’Histoire, sans vie, sans intérêt et sans originalité. Ce qui est dommage, c’est qu’au moment même où l’on s’enthousiasme devant le nouveau roman qui a captivé notre intérêt de lecteur pendant de nombreuses heures, ou devant le poème dont l’écriture nous a similairement occupés corps et âme pendant un temps indéterminable, il soit impossible de déterminer si ce pour quoi nous trouvons génial aujourd’hui aura encore de la valeur demain; s’il survivra à la sélection impitoyable du Temps qui laisse sombrer dans l’oubli toutes les créations qui n’ont pas la force d’émerveiller plusieurs générations de suite, ou qui à défaut d’avoir capté l’intérêt des spécialistes de la littérature, lesquels en feront des « classiques » qui ne seront plus lu que par les gens du domaine, parviennent à créer un mythe qui sera peu à peu intégré dans l’imaginaire collectif.

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