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Sphinx (extrait I de l’Énigme de l'homme)
essai [ ]
Du Sphinx comme Lieu des Locutions

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
par [Reumond ]

2012-08-04  |     | 



illustration : Å’dipe et le Sphinx (Gustave Moreau).



« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement - Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

« Avant donc que d'écrire, apprenez à penser » Nicolas Boileau, De L'Art poétique - Chant I.


Nicolas Boileau, celui qui n’était semble-t-il « vraiment cruel qu'en vers », selon les dits de Madame de Sévigné, a toujours été de constitution fragile et dès l’enfance brusqué par tous les maux du corps. Et c’est des maux mêmes que vient chez lui l'art de faire valoir les mots par leur arrangement, de relever leur origine, leurs ressemblances et dissemblances ...

Mais pour gagner les maux il faut avant toute chose savoir les écouter, afin de mettre les mots qui les signifient en doute, ou de remettre les en mots, c'est-à-dire et en question. C’est à l’épreuve des maux que l’homme se fait, et à l’épreuve (à la preuve) des mots qu’il devient homme prouvé.

Ainsi, de mémoire de primate, l’éprouvé et l’éprouvant ontologiquement « parlant », tels les signifiés et signifiants sémantiquement « parlés », tracent un chemin d’humanité.

Lieu d’étranglement entre l’animal et l’homme, lieu de tous les chainons manqués donc manquants, sans se jouer des anthropomorphismes trop faciles, il semblerait que depuis toujours le singe fait l’homme !

Ainsi, pour mieux comprendre ce lointain cousinage, comme un généalogiste assoiffé des racines de la sève des arbres, en étudiant de plus près l’étymologie grecque du mot « Sphinx », je constate des similitudes, je fais des liens entre des racines communes, entre avec celle du Singe d’Éthiopie, en ces terres de nos origines humanoïdes.

(…)

Depuis la nuit des peuples premiers, les mots comme les lignes tracées de mains d’homme, ont en eux toute la magie du verbe.

Aux grands maux les grands remèdes disait Archimède dans son bain à bulle ; des Bulles papales aux phylactères en tous genres, aux grands maux les gros mots. Point de panse vide qui ne se conçoit pleine, pas la moindre pensée qui ne se cherche des mots. Et surtout en matière de remède, il n’y à point de traitement qui ne se pense, et point de pensée qui ne chemine en chemise de mots ; afin que les mots pour le dire et pour le faire s’énoncent pas à pas, parce que ce qui se conçoit clairement se claironne distinctement, d’où la nécessité d’apprendre à penser juste les mots, pour panser clairement les maux.

Comme il est utopique d’imaginer des solutions sans pensées et des pensées sans mots, il est impossible à l’homme de trouver quelque remède sans l’aide de quelque mot. Sans mettre des mots sur les problèmes (plaies/maux), l’homme reste une bête pour l’homme.

(…)

Perspective naturelle ou perspective inversée, selon les croyances plus ou moins contradictoires des Anciens, ce sont les rayons qui vont des yeux à l'objet ou au sujet regardés, ou qui vont au contraire de l’objet/sujet aux yeux.

De même les maux vont-ils aux mots ou les mots aux maux ?

Il semblerait, si l’on s’accorde à ne point séparer ce que les dieux ont associé dans les concepts de nature et de culture, qu’il vaut mieux accepter que les maux - mots vont de pair comme les métamorphoses de l’Évolution (de la Nature) et les Mamelles de Tirésias d’Apollinaire (de la Culture).

(…)

Aux grands chiasmes les grands remèdes

On n’a beau parler fort et bien, fort bien, et narrer les récits comme dans de beaux livres illustrés, articulant les phrases une à une à l’infini, comme un GPS bien programmé formule le chemin trait pour trait, la grande famine des mots adéquats est là, et là est notre véritable faim et un manque véritable !

Des mots justes, avec juste ce qu’il faut d’authenticité, justes de ce zeste de pertinence qui fait le bien-fondé des expressions, le bon sens, au bon moment dans le bon lieu, pour dire la rencontre, la vie, l’amour ou même la mort.

Mais ne rêvons pas trop, les mots appropriés pour dire la vérité de toute la vérité, et la réalité de toute la réalité n’existent pas encore !

Si vous avez des suggestions, alors n’hésitez pas une seconde, glissez-les dans ma boîte crânienne, là où ma scissure de Rolando trace son chemin en quête d’humanité, comme Diogène dans son tonneau.

J’aime la parabole de « La multiplication des pains », car c’est une belle métaphore me semble-t-il de la multiplication des mots par le verbe fait chair ; papilles et pulpe rose à l’appui, saveur du langage parlé sur notre langue humide de désir, comme un souffle léger se fait mot pour dire l’indicible.

Vive Babel ! Sentez dans votre propre bouche assoiffée de mots, le goût subtil des viandes crues des langues vivantes, et ce goût parcheminé, presque momifié de langues mortes ; car les unes comme les autres sont aussi riches de toutes leurs variétés.

Quand le sphinx de nos pharynx parle, les oiseaux se taisent, les arbres s’agenouillent, les feuilles en tombent ; et quand nos larynx, créatures fabuleuses à cordes vocales d’homme et à mémoire de primate parlent, alors l’animal se taire en les grottes profondes.

Sur les lèvres, telles des corniches savantes et des gargouilles de gothiques cathédrales, ces monstres ailés d’amygdales et de végétations, à cri de gorge et à tête de singe, parlent, c’est toujours un mystère qui brise le silence, un silence qui se taire devant le cri ou la tentative de crier ; car l’homme est un mystère incarné pour lui-même !

Personne n’est aussi énigmatique et impénétrable que celui qui se dit « Homme », et personne ne connaît les réelles intentions de ce sphinx sans poil, pas même lui-même.

Quand il parle et plus encore quand il se tait ou se taire, s’écoutant parler comme le coquillage s’habille de bruits de mer et le faîte des toits de roucoulements de colombes, l’homo-sapiens n’écoute pas, il s’écoute deviser, avec plus ou moins de sagesse, ne sachant viser plus loin.

En définitive, quand il se parle et surtout quand il vous parle, il cherche à se trouver en lui, tout en discourant ; car il est la solution à ses propres problèmes, à l’énigme qu’il est ; il est la source des multiples Dieux qui viendront le sauver de l’animalité, il est la citerne de l’animal qu’il était et la fontaine de la bête qu’il sera encore, à l’image du verbe qui le meut depuis toujours et pour toujours.

(...)

L’animal parle à la bête pour trouver l’homme, comme l’humain parle à l’homme pour trouver Dieu(x)

C'est-à-dire pour trouver mieux, entrouvrant en lui le lieu du mieux.

Aux grands chiasmes les grands remèdes,

- L’animal se parle pour entendre l’homme parler, et l’homme se dit pour entendre les dieux s’exprimer.

Ou encore

- La bête s’exprime sur l’homme pour ouïr l’humain converser avec les dieux… etc.,

Aux grands chiasmes les grands remèdes, et aux grands maux les gros mots !

En réalité, Œdipe (Le Singe), le Verbe et le Sphinx, ne sont qu’une seule et même personne, qu’une même révélation de l’homme, comme paradoxe majeur de l’humaniture ; dans un seul et même mouvement de vie trinitaire, et là, il faut le savoir pour le croire, et le croire pour le dire !

Être mythique et mystique tout à la fois, emporté sur le Styx des logorrhées, dans les méandres de l’Évolution, le Roi-singe et le Sphinx ne font qu’un pour le meilleur et pour le dire !

Il veille sur nos propres nécropoles, au bord de l’éternité, c’est l’inceste entre nos nos origines animales et notre devenir humain, c’est qui est au cœur même de nos complexes et du langage, Sophocle et Freud se retrouve sur l’écritoire, pour dire une même origine lourde de connotations animales, de significations humaines et entre les deux, de mille transgressions de tous les tabous et de tous les possibles pour devenir homme.

Mi-homme, mi-bête, c’est la prérogative des dieux qui se couchent dans la zoophilie, c’est l’expression d’une nature archétypale où la terre et le ciel forniquent pour faire de l’homme, c’est un terrain d’entente filiale, une aire de jeu pour une aire de je.

Nature et Culture, Sol et Luna, la vie intérieure et l’extériorité se fécondent pour qu’Oedipe épouse sa mère Nature afin de devenir lui-même, porteur d’un langage personnel.

(...)

On sait que l’homme qui parle est un homme animé d’intentions et plus rarement d’attention ; son âme est porteuse de motions et son corps saturé d’émotions, et quand il se met en mouvement lors des locutions ou des phonations, à l’image de ses cordes vocales, il tremble de tout son être, il vibre de l’abdomen au thorax, il frémit, de la tête au sexe, il désire, car « ça » saute aux oreilles, dirait Freud, l’homme est bien fait (bienfait) de contradictions vibrantes et de maux qu’il lui faut bien nommer !

Mais si la béance de ses cordes permet d'aspirer le son H, c’est pour ne rien prononcer du nom de Dieu, IHVH, le Seigneur des Seigneurs, le chemin, la vérité et la vie, c’est-à-dire la voie à trouver dans les maux et à prendre aux mots, la voix qui parle au cœur, à la tête et à toute matière sachant vibrer au son des H.

La parole dit la voie, c’est un chemin, à fil d’Ariane, comme il y a des instruments, à cordes, et des pommes d'Adam, à pépins, pour nous différentie des Ève à la voix de Sirène.

À la commissure de mes lèvres, c’est déjà la fente de l’espace-temps qui salive devant tous les amours possibles, tous les psaumes à chanter et tous les poèmes à dire ; et sous ma voûte palatale, les cieux se déploient à gorge déployée, comme le feraient des baisers langoureux pour tendre l’arc-en-ciel jusqu’à l’autre bien aimé.

Oui, même et surtout au royaume des métaphores, tout en gardant le dernier mot, les mots ont rarement le mot juste ; ils semblent même avoir rarement le sens qu’on leur donne en général ; car les généraux c’est bien connu n’ont pas le sens des mots justes, c’est là l’une de nos grandes pauvretés de primate !

Mais, en même temps, c’est un cadeau, c’est même la grâce de la cause, la raison d’espérer, c’est ce manque de justesse du langage qui justement permet toutes les nuances de la littérature mystique et occulte ; pour le plus grand plaisir des poètes de tous poils, et autres astrologues de toutes les étoiles. Et puis il faut bien vivre de sa plume, cette disette de mots justes fait tourner les moulinettes à porteplume et tous les encriers du royaume. Dans tous les sens possibles, et quand les vents se lèvent, « ça » fait même tourner les langues comme des guéridons spirites, quarante fois sept fois quarante-sept, pour dire toutes les âneries qui rendent l’homme peut crédibles et ses prophéties fortement contestables, sinon problématiques.

Tout comme l’encre qui coule, les bateaux les plus stables ne sont pas des gages de certitude. Comme l’expression « Un sang d’encre » le confirme, l’encre qui gicle du porteplume, comme allégorie du sang versé à travers les âges pour exprimer le plus humain de notre animalité, reste un symbole fort porteur d’écriture.

(…)

L’enfant loup restera un loup, et l’enfant roi un tirant ; l’enfant aimé restera aimant, et l’enfant battu demeurera marqué jusqu’à la fin de ses jours ; car nous devenons ce que nous recevons !

Comme les maux sont notre passé et notre présent, le corps du verbe, c’est essentiellement l’avenir de l’homme !

Dehors, comme dedans, outre langues, hors les murs, les moulins à paroles dévident des cris depuis la nuit des temps ; c’est la dinette des poètes et des beaux parleurs ; c’est la psalmodie qui couvre le bruit ; c’est le rituel des orateurs de tous poids, depuis toujours et pour toujours, des grands prêtres aux grands philosophes, la parole donne à penser pour nourrir notre faim de vérité.

Oui, c’est aujourd’hui la fête de la multiplication des mots, le verbe se donne en abondance, il donne donc à profusion, il sustente l’animal qui s’éloigne et alimente en conscience l’homme qui vient, car nous savons tous par expérience que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais surtout de parole, celles qui rassurent, apaisent, consolent, soignent, fortifient, éduquent, suppléent… déclinant ainsi l’animal pour conjuguer l’homme.

Sans oublier les langues dites mortes, encore aujourd’hui, plus de six mille langues avec leurs formes dialectales existent et cohabitent dans le monde ; telles les cinq cent mille ouvrières d’une fourmilière qui travaillent ensemble d'arrache-pied ; et rien qu’en français, soixante mille mots s’associent, pour trois cent mille sens et pour douze mille conjugaisons, c’est le foisonnement qui fait tourner la tête, la profusion des verbes qui dit la Pléthore du Logos ; c’est la grande richesse et la surprenante variété des langues qui distribue son pain de vie au quotidien.

Et ce n’est qu’un début ! Un petit prélude linguistique aux mots qui viendront nous délivrer de tous les maux de nos origines, et de notre animale nature, tout « ça », progressivement.

(…)


Le Sphinx, le signe et le singe humain…

L’homme singe, mais que singe-t-il, et qui singe-t-il ?
La bête, l’homme ou les dieux ?
Et l’homme signe, mais que signe-t-il ? Et de qui, et de quoi est-il le signe ?

Quelle est la nature simiesque de la Culture, et la primale culture de la Nature des primates, ceux que nous sommes toujours en chair et en mot ?

Parole de Mandrillus ou même de faux babouins désespérés, qu’en est-il de nous qui causons de cause en cause ?


Causer c’est être cause de mots, mais c’est aussi attirer à soi les maux, produire des mots ou susciter des maux ; bonheur ou dommage, la cause procède l’homme depuis la nuit des temps, elle vient comme vient la vie qui produit ses effets, la cause c’est l’origine, le motif ou la raison de la causette sur toutes ces choses du monde et de l’existence, car « Chose » et « Cause » ont la même racine, c’est le même procès causatif de tout ce qui peut naître de la vie ou de l’homme, d’une « cause naturelle » ou d’une « chose culturelle », comme notre appendice caudal, témoigne d’une origine, en vue de ou à cause de…, pour se faire signe corporel et causer dans un corps éprouvé, tel le mot causarius qui dit la maladie ou l’infirmité.

Le causal et le verbal relèvent de la même causari et de la même causerie. Le parler des maux et celui des mots parlent du même chœur des choses, des causes chosifiées en mots pour être causées, être elles-mêmes causes d’autre chose, d’autres sens…

(…)

C’est ainsi, plein de questions que le signe se fit anthropoïde pour que cet humanoïde se fît graphies jusqu’au bout des doigts. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, en de talentueux mouvements scéniques, en de belles chorégraphies ou calligraphies… l’humanoïde reste un signe en suspens, le signe vivant et traçant de quelque « chose » (ou cause) qui le dépasse !

De trait en trait, l’Esprit nous fit bêtes de trait, c’est bête à dire direz-vous ! Tout « ça » pour que de concert, la nature du trait et la culture de la graphie se fassent « Concepts » en un seul et unique jet de vie.

Les maux comme les monstres servent à « démonstrer » quelque chose de la nature. Si la Nature est le fondement de tous nos cultes et rituels (cul-ture),

La culture des mots, c’est la co-notation trans-naturelle, trans-figurée ou trans-imagée de la Nature représentée, monstrée et démonstrée, conjuguée et déclinée de long en large.

À côté de tout le mal et des maux qu’il suppose (suppos de mal), il y a toujours des zones d’ombre dites zones d’incertitude où les mots viennent trouver refuge, pour expliquer de l’intérieur l’origine même des maux. C’est là que « ça » cause (à cause de, en raison de, grâce à…), c’est le lieu même de toutes les équations possibles, de toutes les thèses et théories, et de leurs multiples démonstrations).

C’est là que les mots se reçoivent des maux (c’est le lieu des causalités et des modalités), c’est-à-dire que c’est là qu’ils se disposent ; le lieu d’exposition présuppose l’exposé, la monstration suppose la démonstration et présume d’une interprétation et d’une traduction. Comptez-moi les maux pour qu’ils me soient contés !

Comme les rhizomes de bambous, les mots sont traçants, c’est-à-dire : traces, glyphes, graphes et graphies.

Nous passons ainsi des états de la matière, des maux et des plaies des choses, aux états de conscience, d’âme et d’esprit (de l’être qui éprouve), dans le sens des mots, à travers les mots pour les décrire.

Tels des messagers sémantiques, dans la Nature, il y a toujours des mots pour accompagner les maux !

La notion même de Nature est transfigurée par celle de la culture pour que le concept de culture soit lui-même transsubstantié par le mouvement de la Culture. En réalité, la réalité se sert des maux pour que les mots servent la réalité, voyez, même les coups de foudre suscitent des mots d’amour.

Maux et mots sont liés à la vie à la mort !

Et pour dépeindre des faits polychromés par la vie et plus ou moins effacés par le temps, les maux de l’enfance engendrent de grands poèmes nostalgiques.

Toutes nos photographies de famille sont des clichés de famine, des images jaunies qui disent notre faim.

Ce qui est physiquement tangible, palpable et sensible dans le mal de vivre doit le devenir dans la réalité parlée et écrite, sinon il y a rupture entre les maux et les mots.

(…)

extraits de L’Énigme de l'homme(Essai)

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