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LE GRAND NUANCIER DU MONDE
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par [Reumond ]

2020-02-29  |     | 





Avant-propos

Comme tout art vivant, visant à l’expression, la poésie peut-elle se priver de « nuance » ? Cela me semble bien difficile ! Bien qu’il faille encore se mettre d’accord sur la notion ou le concept de nuance en poésie !
D’ailleurs dans son Art poétique, Paul Verlaine n’écrivait-il pas (1) :
« … Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor ! »

Comment rêver, créer et suggérer les choses de la vie, sur pellicule, toile, marbre ou papier, sans ces précieuses nuances qui font de tout langage des nuanciers à l’épreuve d’une palette infinie, des preuves de l’incommensurable nuancier de cosmos ?

Difficile, parce que tous les langages suivent le même mouvement de néguentropie qui tend à la complexification des choses et à l’organisation croissante des systèmes ; à la grande différence d’une tendance naturelle que nous avons à l’opposé de la première d’user de la haine, de la destruction, de la guerre comme de la confusion ou du désordre, dans un mouvement destructeur proche de l’entropie, c’est-à-dire de la désorganisation des systèmes, tendance anthropique et entropique que nous retrouvons chez de nombreux poètes dits « maudits » faute de « mot dit » plus nuancé.

La création a besoin de pensées, les pensées nécessitent des mots, et les mots appellent la nuance, comme la voix du poète éveille des échos. Comme dans le mythe biblique de la Genèse, la parole de Dieu se fait opérante, par l’opération de cet esprit qui traverse les âges, depuis Virgile jusqu’à nos jours. Quand le verbe créateur est à l’œuvre, l’œuvre elle-même soulève les cœurs et exalte les âmes. L’idéal littéraire, esthétique et artistique se nourrissant d’un style noble et nuancé depuis l’Illiade et l’Odyssée d’Homère ; afin que l’admiration monte du cœur de l’homme devant toute la palette de la création et que les mots fusent de sa propre bouche ou que sa propre main devienne créatrice.

La nuance est elle-même créatrice, on pourrait même dire que ces spirales d’or du verbe, que c’est tout l’ADN poétique, et qu’à travers les nuances, c’est la magie du langage qui procède du verbe, comme l’ADN qui est à l’origine même de la vie.

Tout le monde créé est poésie ( grec Poiêsis), et toute la poésie du monde est ouvrage, création et composition. Comme les neuf muses s’amusent de leurs différences, la poésie s’adapte au sujet ou aux thèmes les plus divers, comme la vie en général, et elle se joue de la matière et de la manière de composer ; elle s’auto-organise jusqu’à se faire orchidées mimant les insectes, ou jusqu’à se versifier sous forme d’alexandrins, parce qu’elle est avant toute chose, sur le plan nature (comme sur les plans littéraires, manuels ou intellectuels), une manière de participer à la loi d’action-réaction ( troisième loi de Newton) propre à toute création.

Le biochimiste que j’étais, en fut le témoin privilégié ; on doit au propre chat de Schrödinger de lui avoir miaulé à l’oreille l’ordre des choses domestiques, celles de la vie et de la mort, et même de lui avoir ronronné comme dans une révélation privée les secrets du second principe de la thermodynamique.
Dans le Monde et dans le monde, comme dans tout système « ouvert », la vie tend ostensiblement à la néguentropie, aux variétés du visible et à la visibilité des mots, c’est-à-dire à « la nuance », aux enjeux d’une complexification « exponentielle » qui participe à l’augmentation sans limites des êtres, des créations, des mots et des espaces, avec toutes les nuances que cette complexification demande.

Entre NOUANCE et NUANCE

Là où manque la vie et l’espérance, la mort se pose comme un vautour affamé; et là, où « la nuance » manque, inexorablement « La nouance » s’installe.

Pourtant, le langage comme la vie relève d’un système des plus complexe, pour l’un comme pour l’autre, on ne peut tomber dans aucune forme de « réductionnisme », c’est fondamental, la complexité exige « la nuance »
Ce nœud dans le langage est un symptôme, un dysfonctionnement. Cette nouance sociale et culturelle à laquelle nous participons tous, c’est comme un pacte sceller avec le diable ; cette infestation du langage, relève d’une tendance à tomber dans les extrêmes, dans cette rigidité et cette nodosité des relations, et en particulier à travers la nouance langagière qui semble s’être installée dans le monde après le mirage des trente glorieuses. Et le contraire de « glorieuses » n’est-il pas l’infamie, l’humiliation et l’injustice, l’ignominie de nombreux discours des plus extrêmes, l’abaissement des uns au bénéfice des autres et la discrimination de l’homme méprisé ?

Ainsi, les mots comme beaucoup d’humains semblent mener une double vie, il y a effectivement des mots fins qui délient et des gros mots qui nouent. Mais il existe entre les deux tout un champ de nuance. Face à mes inquiétudes pour l’avenir, ce sont ces nœuds du langage qui me font agir et écrire.


ÉLOGE DE LA NUANCE

Soyons réaliste, autour de nous comme en nous, il y a une multitude de réalités individuelles et des réalités des plus communes, et pourtant, il n’y a qu’un seul Réel dans sa totalité, inaccessible certes, impossible comme dirait Jacques Lacan, mais un Réel grand R, toujours présent. De même, autour de nous comme en nous-mêmes, il y a une myriade de vérités qu’elles soient personnelles, sociales et culturelles, et elles sont aussi nombreuses que toutes ces merveilleuses étoiles du ciel ; et pourtant, il n’y a qu’une seule vérité tout entière. Alors, pourquoi ces nœuds ?

En grande partie parce que nous sommes tous les mêmes, mais en particulier si différent, toute la nuance est là ! Mais derrière tout « ça » le Réel grand R, est toujours présent. Chacune et chacun de nous est unique dans sa manière de percevoir le monde et de l’interpréter, mais que face à nous tous, cette seule et unique vérité tout entière nous dépasse, voilà pourquoi les nuances s’imposent à nous tout comme la gravité terrestre.

C’est la raison principale pour laquelle sur le terrain de la vérité et de la réalité, il est nécessaire de passer de la perception personnelle à une vision plus nuancée des choses du monde, de la vie et des relations.

Voilà pourquoi il est absolument essentiel de passer de l’opacité la plus totale, la plus noueuse, à plus de subtilité, et de l’extrême des choses à plus de transparence en « un juste milieu », puisque, en vérité les choses ne sont jamais noires ou blanches, mais se déploient dans un fabuleux champ des gris tout en milliers de nuances.

C’est ainsi que dans l’Univers, tout est complexité et subtilité, fruit d’une création ou d’une nature tout en nuance ou tout en « subtilité », c’est-à-dire : fine, délicate et pénétrante. Alors, soyons toujours précis tout en restant sobres et simples ; agissons avec finesse et ténuité ; l’homme l’a déjà prouvé et le prouve encore, il en est capable, nous l’avons tous éprouvé dans nos sens, dans notre chair et notre esprit ; l’homme est capable d’une variété de beauté, de cent formes d’amour, capable de paix aux drapeaux plus ou moins bigarrés, d’abnégation et de miséricorde; et plus encore, il est capable de ces mille subtilités qui charment les sens, de cette finesse qui élève les cœurs et les débats, et de cette précision qui fait des homo sapiens, des hommes d’art, de science et de lettres à l’esprit pénétrant.

Comme un Vincent Van Gogh généreux, le Cosmos a la palette la plus vaste, la plus infinie ; il grouille de galaxies et de nébuleuses les plus diversifiées, c’est-à-dire qu’il est en lui-même un incommensurable «nuancier », et à lui seul, une faramineuse palette d’artiste créateur, une explosion colorée sans limite, un feu d’artifice de multivers, de mondes divers, d’étoiles, de planètes et de formes de vie.

Ainsi, ici même, sur Terre, plus de 400 000 espèces de plantes et de fleurs sont décrites, et même que 2 000 nouvelles espèces sont découvertes chaque année. Le nombre d'espèces d'insectes connu pourrait atteindre le nombre exorbitant de 50 millions ; 10.000 espèces d’oiseau sont connues à ce jour ; et rien que parmi les mammifères dont l’homo sapiens fait partie, on ne compte pas moins de 6000 espèces de familles différentes.

Le Monde et l’Univers, n’en doutons plus, sont de véritables nuanciers, même sans nous étendre sur toutes les variétés de langues, de dialectes et de cuisine, et sans tergiverser sur les mille manières de vivre sa vie ou même sa sexualité.

Alors, pourquoi en matière de communication cette palette nuancée nous fait tant défaut ? Pourquoi nos débats sont-ils aussi noueux, houleux et réducteurs comme cette fièvre de généralisations qui fusent comme des ordres de généraux, et ce populisme politique qui progresse de partout sans réponse nuancée et sans la moindre modération ?

Les couleurs sépia des grottes de Lascaux et de Chauvet en témoignent ; comme le confirme l’échelle des tessitures vocales, entre le haute-contre et le ténor, les tons et les tonalités, c’est-à-dire « les nuances », depuis l’art pariétal et bien avant probablement, c’est précisément, c’est-à-dire avec exactitude, ce qui distingue la civilisation dite "humaine" des sociétés dites « animales ».

C’est Claude Lévi-Strauss, dans « Tristes Tropiques », qui nous rappelle justement le fait qu’il fallait « être peint pour être homme ». « Celui qui restait à l’état de nature » ne se distinguait plus de la bête. Et cette distinction, comme il existe des gens distingués, c’est ça justement, « La nuance » qui fait l’homme. À titre d’exemple, en Afrique, les plateaux dits « Labrets » des femmes Mursis, plus ou moins décorés, comme le corps des hommes plus ou moins peint, relèvent de cet art de vivre qui consiste à faire du langage et de ses nuances un moyen de dissocier la gente humaine, et de nous distinguer les uns des autres, comme des bêtes ou des sauvages.

Puisque dans l’Univers tout est « analogique » et que le Cosmos est une sorte d’alambic alambiqué, grand distillateur d’analogies et de métaphores, comme un véritable athanor, il est le haut lieu de toutes les transformations et transmutations possibles ;, alors voyons pourquoi à la différence de la nature elle-même et de la culture plus particulièrement, nous avons en nous cet Alien réducteur, c’est-à-dire cette tendance extraterrestre à faire dans les « extrêmes » mortifères, cette tendancieuse prétention à faire dans « la simplification outrancière », alors que partout la matière participe à un phénomène universel de complexification, et non pas à un épi- phénomène de foire réductionnisme et de simplification extrême.

Comme vous, j’ai entre autres connu les nuances jaunes de Roland Orepük, les nuances roses et bleues chez Picasso, jusqu’aux nuances noires de Pierre Soulage ; j’ai contemplé religieusement les bleus du ciel et ceux de Chagall, comme j’ai admiré les nuances des vitraux et les dentelles de pierre des cathédrales ; j’ai aussi scruté à ce sujet les verts du douanier Rousseau et les mauves et les violets de Claude Monet, tout est là, comme un grand nuancier ! En ces contemplations variées, je n’ai vu et observé que des choix nuancés, que des chemins et des goûts différents, des inspirations aussi bariolées que les pelages de fauves, comme des états d’âme, d’esprit ou de conscience ; j’ai vu de tous mes sens et admiré d’innombrables lignes d’horizon allant dans tous les sens, des diagonales vivantes et des transversales aussi colorées que celles du temps et de l’espace, comme des traits de caractère plus ou moins soutenus, de ceux qui reflètent au mieux le Monde dans sa globalité.

Pour être plus nuancé, la nuance, c’est à juste titre ces milliards de possibilités de la vie, et toutes ces « précisions » que nous mettons dans les différentes formes de langage, selon notre sensibilité, nos origines et notre créativité, quel que soit ce langage ; afin de communiquer au mieux, avec le plus d'exactitude possible, entre individus de la même espèce.

La force de parole et l’éloquence ne suffisent pas pour communiquer, toute violence au sens propre et figuré est défiguration, comme toute attente intempestive est un véritable attentat, qui sont l'un et l'autre l’expression d’un malaise profond, d’un symptôme, celui d’une incapacité à se dire, et à se faire comprendre et entendre avec toutes les nuances nécessaires à la vie relationnelle. La communication n’est pas simple, à titre d’exemple, la citation de Bernard Werber l’affirme et l’atteste quand il écrit :

« Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, Il y a au moins dix possibilités de ne pas se comprendre. Mais, essayons quand même. »

L’homo sapiens n’est pas le seul animal à savoir exprimer plus ou moins bien ce qu’il veut dire précisément, mais il est le seul mammifère de l’ordre de primates à maîtriser parfaitement, quand il le veut bien, l’ordre des nuances. Ses langages les plus variés y contribuent largement et peuvent être les plus riches de sens (pictural, musical, littéraire, technologique et scientifique), mais, malgré tout ça, l’homo sapiens souffre d'un mal apparent et destructeur : ce réductionnisme qui se fait « nouance ». Parce que, à en perdre la raison et le bon sens, son langage peut aussi « dysfonctionner » sous l’effet des émotions, des pressions diverses, internes et externes, des agressions subies ou imaginées qui nous mettent dans des postures inconfortables, positions dans lesquelles il devient impossible de nommer clairement les faits et de discourir de manière précise et nuancée sur le monde et les choses du monde.

Et pourtant, notre grande capacité d'abstraction en science et en mathématique le prouve; nos aptitudes à nous adapter et nos multiples talents artistiques l’éprouvent et le prouvent plus encore, l’homo sapiens est bien capable de s’extraire du réductionnisme et du simplisme, tout comme il est capable de sublimer la mort, d’être bon, de faire du beau et d’extraire l’or du plomb, parce que « la nuance », c’est là même toute une alchimie proprement humaine !

C’est « La nuance » qui est seule capable de dissoudre les conflits, de séparer le bien du mal, et le laid du beau, de purifier les relations et de putréfier les choses inutiles et les croyances obsolètes. C’est la nuance qui est seule capable de sublimer les choses difficiles et d’exalter la nature et la vie, de faire fructifier l’arbre mort et de fermenter la paix sur les champs de bataille ; c’est la nuance seule qui peut nous permettre de pardonner au passé et de nous projeter dans l’avenir, après avoir multiplié les rêves, parce que la nuance est capable d’ouvrir les portes fermées, pour nous aider à pénétrer dans le Mystère des choses comme dans celui des cathédrales.

À travers cet « art de vivre » ensemble, l’homme se montre depuis toujours capable d’un esprit tout en finesses, doué de poésie comme d’une sociabilité tout en nuances, mais aujourd’hui, il ne semble plus maîtriser du tout la gamme des émotions, tout comme il ne semble plus maîtriser toutes les nuances du langage, de la politique et de la philosophie ou de la presse ; l’homme dans sa torpeur moderne et sa course après le temps, semble avoir oublié la substance même des substantifs, ainsi que les différents degrés des qualificatifs et des nombreuses modalités, variation et tonalités du verbe, tout comme il semble se protéger derrière ses écrans trop plats des couleurs infinies de la vie.

Alors pourquoi ces déchaînements verbeux, ces duels nauséabonds, ces mots bruts et crus ? Pourquoi ce langage brutal et cette violence verbale, bien souvent primale ou primaire ? Pourquoi cette carence de finesse qui frise la famine linguistique et la disette de bon sens ? Pourquoi tant de haine brute et d’insuffisance de distinguo ? Où est passée cette relativité nuancée des choses que l’on attribuait autrefois aux sages et aux intellectuels ? Où sont donc passées les subtilités de jadis, avec ce soupçon de précision qui bien souvent rend caduque la plupart des violences, et inutiles les émeutes, et complètement vains tous ces soupçons et autres idées de complotisme ? La vérité et la réalité semblent souffrir plus que jamais d’un gros nœud gordien où nul ne peut trancher !

Le langage est « un corps subtil » qui ne supporte pas les nœuds, alors pourquoi tant de nouances dans le monde et si peu de nuances ? Pourquoi tous ces conflits extrêmes et tous ces extrêmes sans nuance aucune ? Pourquoi les mots « nuancer », « délicatesse », « finement » et « subtilement » en autres mots entre nous, font tant défaut ? Pourquoi notre vocabulaire médiatique tend-il à se réduire à des expressions des plus communes, comme La Peau de chagrin de Balzac, alors que les dictionnaires au contraire augmentent leur palette de mots ? Autour de ces mots à nœud et ces nœuds de mots, le mystère m’échappe !

En fait, alors que la nuance devrait « créer des liens », nous nous retrouvons comme tiraillés ou écartelés dans un jeu de corde tirée, entre deux extrêmes, deux extrêmes complètement sourds l’un à l’autre. Oui, plus le langage se resserre quand on tire sur chaque extrémité, à gauche et à droite, au-dessous et au-dessus, plus les gorges semblent nouées par cette nouance sans nuance, nous laissant là pantois, comme pendu au lasso de la médiacratie, et en particulier sur le Web, qui participe abondamment à cette nouance effrénée.

Entre le réductionnisme le plus institutionnalisé, les extrémismes politiques et idéologiques les plus gras, le populisme brut de beaucoup, le créationnisme à l’américaine, le fondamentalisme religieux … Nous pénétrons, me semble-t-il, de pleins pieds, mais pieds et mains « liés » dans le monde de la médiocratie.

Une première manière de s’en sortir serait de détacher les mots de leur gangue rigide, d’être plus indulgent (avec nous-même surtout) et bien plus « modéré » ; moins « radical » ou « entier » en mettant de la nuance et de la relativité dans son vin en étant moins dur et moins catégorique, c’est-à-dire « plus nuancé » , sachant que toute haine et toute intransigeance se nourrissent de radicalité ou de radicalisation, et que ces dernières se nourrissent elle-même de flou, de zone d’incertitude, d’incompréhension et surtout de non-dits…

Le plaisir des mots et celui des nuances sont du même ordre, celui de la clarté. Paradoxalement, plus le message est nuancé, et plus il est difficile de se faire entendre, plus les nuances sont subtiles, presque imperceptibles, et plus il devient impossible de s’écouter et de communiquer, c’est ce que je nomme, faute de nuance : le paradoxe des nouances.

Alors, faute d’entendement on est tous réduits au nouage, à l’enfermement, aux chicanes, c’est-à-dire à l’enfer des non dits, des conflits et des obscurités. Quand il est non seulement important, mais surtout vital d’apporter quelque clarté, de faire de la distinction, légère ou grande, la nuance est un pont, un passage de langage, on pourrait même dire carrément “un véritable pontife” entre des extrêmes qui ne peuvent ni s’entendre, ni se comprendre; et surtout dans les tensions extrêmes.

À l’épreuve des sens, tous les nuanciers de la nature et de l’art le prouvent, ils ont des reflets multicolores, et des zones irisées pleines de ces nuances qui se jouent de la lumière, même les noirs de Pierre Soulage me soulagent du poids et de la fadeur des choses insipides et lourdes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu'il parle de noir-lumière et d’outrenoir , comme on pourrait parler d’entre noirs comme on le fait pour les nuances de gris.

Sans nuance, seul persiste un bruit de fond comme un brouhaha persistant où les mots ne s’entendent plus ; seuls restent des excès dans les mots et de la démesure dans les maux, pour ceux qui sont à la source des problèmes comme pour ceux qui en subissent les conséquences.

Sans nuance, la disproportion des dires est comme une statue figée de sel, figée dans une mêlée sanglante, comme à la suite de tous les chaos du monde. Faute d’ententes nuancées, on stagne dans la confusion et dans l’indifférenciation plus ou moins totale. Faute de clarté, entre la méprise et la prise de bec, on se fait la guerre; et faute de clarté et de clarification, on marche dans la nuit, on s’englue dans nos propres mots.

Dans de telles situations, on clôture le débat ou l’on se bat, puisque débattre est irréalisable, alors, débâcle ! On accuse et l’on jette le discrédit sur l’autre, on lance des critiques acerbes. Puisqu’on ne peut communiquer, on s’assène des jurons et l’on en vient aux langages du corps, faute d’arguments nuancés, on se roue de coups et l’on se noue soi-même.

Seule la nuance donne du sens au sens, la nuance n’est pas une vaine contrainte, elle crée la cohérence ! Nuancer, c’est discuter en dévoilant, c’est lever le voile sur les obscurités et révéler les turbulences en jeu et les enjeux turbulents, afin d’éviter que les conflits ne se terminent en guerre.

Les nuances démêlent les différends et illuminent les différences, elles décèlent les nœuds des troubles, rapprochent les antagonistes au lieu de les éloigner à tout jamais. C’est en quoi les nuances sont comme “la substantifique moelle” de toutes les discussions et de l'ensemble des désaccords. Communiquer vraiment, consiste en fait à mettre toutes nos nuances ensemble pour faire plus vrai ! À l’inverse d’un jeu de bile d’où déborde le fiel, nuancer, c’est jouer ensemble, comme des enfants qui jettent leurs billes diversement colorées dans une même grande cour de récréation.

Le manque de nuance, c’est avant tout “un manque”, c’est le chaos des origines ou tout est vague est flou comme dans une délétère fusion. Quand l’amalgame ce fait de plomb, on en vient vite aux poings et aux griffes, car l’animal homo sapiens déteste les nuances, elles le rendent nu en ce lieu où l’on se vêt de mensonges et de mille autres protections.

Paradoxe de paradoxe, les besoins de nuances, tout comme les doutes, sont le propre de l’homme responsable, de celui qui est dans l’ouverture et l’émerveillement, dans la contemplation du Monde. Cet homme-là, à besoin de grandes palettes colorées, de belles perspectives, de panoramas multiples, de myriades d’étoiles, comme de points de vue démesurés ; il a soif et faim de paysages tout en majesté, et des visages hauts en couleur, mais tout en demi-teinte pour ne pas écraser les gens et les choses du Monde.

La nuance seule peut assouplir les mots, nourrir les corps et adoucir les esprits. Alors que sur le Net, on solde de plus en plus ses mots, on réduit les messages à des tweets sympas ou pas, et à des "j’aime" désincarnés ; on ferme les explications comme son ordinateur ; on juge et on condamne sans éclaircissement aucun ; on brade les discours de haine et que l’on se vend sur Internet sans nuance au rabais, comme à la période des soldes…
Partout, le monde tourne de plus en plus mal, la misère et le mal-être, le réchauffement et la pollution augmentent. N’est-il pas temps que nous soyons, la pollution en moins, riches de nuances comme les océans.
Le langage véhiculé par tous les médias semble davantage rigidifier les choses du monde comme un véritable cancer, tout autour d’un nœud gordien inextricable. Nous sommes noués, corps et mots comme dans un nœud de vipères qui parcoure le monde.

Comment expliquer cette réduction du langage et des choses exprimées, comme les Shuars d’Amazonie réduisaient les têtes faute d’explications. Sommes-nous tous des Jivaros de la conscience, des réducteurs de narration à la petite semaine ? Partout, le manque de nuance débouche toujours sur une forme de réductionnisme, de fondamentalisme social et culturel, c’est-à-dire, en définitive à une forme de stigmatisation de tout un chacun.

Sans nuance, les choses se font obscures, les mots brumeux , et les politiques nébuleuses. Nuancer, c’est mesurer avec soin, c’est tempérer avec patience et persévérance, c’est mesurer avec délicatesse, différencier avec minutie, choisir ses mots, discerner avec attention et souligner avec beaucoup de précision. En quelques mots, nuancer, c’est rendre clair comme l’eau de roche.

Depuis que les horaires de trains manquent eux-mêmes de précision, et que la pollution des villes et des champs se fait extrême, la clarté elle-même se fait rare. Partout, faute de nuance, l’imprécision et l’incertitude règnent en maître incontestable, l’information se fait mensongère, l’équivoque vogue dangereusement comme le radeau de la Méduse.

Aujourd’hui, il faut aller vite, on n’a plus le temps de trouver les mots justes, la norme majoritaire est aux choses brutes et Net, point com, il faut que « ça » (S.Freud) rapporte, de l’argent et de l‘audimat bien sûr, puisque « ça » va avec ! Sur les ondes, on n’a guère le temps de nuancer, de faire dans la dentelle de Bruxelles, dans les détails, la réalité la plus juste, et la plus juste vérité ; l’approximation fait recette un peu partout, il devient même quasi immoral de faire la différence entre « Le Réel » et les réalités du monde, puisqu’elles sont du monde, c’est-à-dire des plus communes ; et pareillement, il semble idéologiquement correct d’être vague et incorrect, puisque le but n’est plus de ce faire comprendre, mais d’être vu et entendu, quoi que l’on dise. Quand manquent la nuance et le cadre pour pouvoir nuancer, le désordre s’installe sur le câble, et quand sur les clouds le flou précède déjà le brouillard, il ne peut lui succéder que la confusion et l’aveuglement.

Les complots et surtout le complotisme sont toujours les fruits blets d’un manque de clarté ; l’essentiel appelle toujours à la vérité, dans la nuance et la relativité des choses, comme toute réalité appelle « au secours ! » Le Réel grand R.

Plus les nuances s’estompent au bénéfice du savoir, du pouvoir ou des avoirs de quelques privilégiés, plus le « radicalisme » idéologique, politique ou religieux se fait dur et catégorique. Les extrémismes ne supportent aucune nuance et d’ailleurs, ils ne poussent là que dans des lieux où « la nouance » est la plus forte.

Tous les réactionnaires et fanatiques de tous bords sont des esprits sans modération. L’idée sans nuance légitimise toujours une forme d’injustice et de violence, et plus la « libre expression » est de mise, plus les positions sont extrêmes et sans nuance aucune.

Quand fautes de nuance, les zones d’incertitude soulignent un flou à l’horizon, toutes les opinions radicales, tous les jugements et les commentaires catégoriques, qu’ils soient anti nantis ou antisémites, toutes les opinions racistes ou homophobes, tous les points de vue sexistes ou autres violences institutionnelles, sociales et culturelles, sont les symptômes d’une « nouance » extrême.

Quand les mots se resserrent avec violence comme dans un étau dont les mors sont les extrêmes, la communication se fait laborieuse. Alors, comment expliquer ces extrémismes dans lesquels nous tombons sans cesse ? Comment comprendre ces perpétuelles dualités, ces trop vides et ces trop-pleins, ces trop noirs ou trop blancs, ces oui ou non tranchés, ces ouvertures ou fermetures grossières comme des murs qui embarrassent nos esprits, tout comme le système binaire encombre nos appareils numériques ?

À voir la complexité du monde et celle de l’arborescence des choses du monde, il est difficile de comprendre ! On peut encore s’étonner de tels dualismes et de telles réductions des choses, de tant de positions ridiculement restreintes, d’un discours politique si limité et d’un langage médiatique si restrictif.

Oui, flexibilité et rigidité, l’homme est lui-même un énorme paradoxe, un parfait mélange de tout cela. Hybride des dieux, ceux de toutes ses croyances et idéologies, il est parallèlement un hybride des bêtes de ses origines et du jeu varié de ses gènes ; depuis la nuit des temps, ce riche métissage devrait solliciter de nous tous que nous soyons « plus ouverts » et même béants aux différences les plus nuancées. Mais paradoxalement, nous semblons sombrer dans un monde de plus en plus tranché et Net. point com. Étrangement, autant la gamme des produits inutiles et des vaines envies augmentent en nous, autant semble disparaître ou s’estomper cette finesse qui faisait jadis le tempérament des sages et des philosophes.

N’en déplaise à tous les extrémistes sans nuance et aux ultras de tous bords et de tous les bordels culturels et sociétaux, de droite comme de gauche, notre déficit sensoriel et nos incapacités neurologiques et mentales nous empêchent, semble-t-il, de percevoir tout en nuance le gigantesque nuancier des choses du monde.

Alors, plutôt que de nous laisser attirer et porter par quelques exclusives et par quelque radicalisation, émerveillons-nous plutôt devant les nuances, les différences et les étrangetés, puisque malgré nos fermetures, comme je l’ai déjà souligné, toute la vie est nuancée et diversifiée, comme la palette des gris et les nuanciers des couleurs que l’artiste utilise.
Toute la différence est là, dans les choix du langage et des mots, dans l’accueil, l’acceptation de la différence elle-même, et il en est de même de l’étrangeté, et de l’étranger en général.

C’est bien connu des rings où règnent le duel et la dualité, faute de juste milieu et de nuance, on utilise des gros mots et l’on prend des coups !

Conclusion

Par les temps qui courent, est-ce raisonnable, ou ambitieux peut-être, de vouloir atteindre les cieux du langage, à l’acmé des mots, en étant plus nuancé et en utilisant la plus grande palette du verbe ?

Avec le plus grand sérieux, soyons nuancés et devenons nous-mêmes nuanciers, ne restons pas médiocrement lourds de langue et épais d’esprit, obtus de conviction, bornés de nos idées et croyances multiformes, comme les prisonniers de la caverne de Platon, nous sommes les prisonniers de nos propres pensées et de ces nœuds grossiers qui nous lient à un monde trop matérialiste et trop rationnel, dualiste à l’excès et réductionniste à l’extrême, au point que nos manque de nuance font pleurer les nuages dans le monde visible, et les anges dans les nuances de l’invisible.

Introduisons de la nuance et nous deviendrons vous et moi, les fées et magiciens qui changent la face du monde à coups de nuances déliées, même si je ne suis pas sûr que nous puissions y arriver, « essayons quand même » comme le propose Bernard Werber ; les intérêts de l’humanité à venir, et l’espérance de ce monde en marche en dépendent.

Où que l’on soit, soyons poésie et palettes dans ce monde qui manque cruellement de nuance. Comme nos écrans de TV, à la couleur du pixel codée sur une palette à 16 millions de couleurs, prenons de la hauteur et de « hautes résolutions » ; ayons un langage fin et justement délié, à la matière des alchimistes et des sages qui délient la matière vulgaire, ou à la manière de l’homme spirituel qui s’élève, corps et esprit, en se libérant de la torpeur du monde, et de la lourdeur de la gravité homo sapienne pour devenir Hommes pleinement homme, avec toutes les nuances que le substantif Homme peut déployer comme une palette sans fin.

Soyons simples, mais pas simplistes, soyons explicites sans être réducteurs, soyons libres (déliés), mais pas grossiers, soyons nuancés pour éviter d’être superficiels et trop communs; soyons clairs sans être abscons, et comme ni vous ni moi, ne sommes démiurge, restons humbles et limitées, mais en toute humanité, restons ouverts au monde sans être naïfs, ayant toujours en main comme en bouche la palette des visionnaires, des impressionnistes et des grands philosophes et soyons heureux que toutes ces nuances nous fassent uniques, différents et complémentaires.


(1) À la différence de Rimbaud, qui préférait la palette des couleurs vives au « rien que la nuance » de Paul Verlaine. Arthur se voulait coloriste à l’instar d’un Paul Gauguin ou d’un Vincent Van Gogh, ses contemporains, et comme ces derniers, il semblait préférer une palette de couleurs pures aux tons plus éclatants, comme pour fuir la grisaille de Charleville et se baigner dans les blés d’or de Provence ou dans les eaux turquoise des îles Marquises.

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