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60 ème anniversaire de la libération de Buchenwald
article [ Société ]
Entretien avec Jorge Semprun.

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par [NMP ]

2005-04-13  |     | 



Jorge Semprun

par Daniel Bermond
pour "Lire", novembre 1996.

L'Espagne et la politique, la France et la littérature, l'Allemagne et les camps de concentration... c'est un bref aperçu des mondes de ce Parisien d'adoption, nouveau juré Goncourt et ordonnateur de l'hommage à Malraux.

Comme les chats, Jorge Semprun doit avoir sept vies. Il est ou il a été romancier et scénariste, dirigeant du PC espagnol et déporté politique, homme de théâtre et philosophe, mémorialiste et critique littéraire, ministre et ami de Montand et de bon nombre d'artistes. Il a connu l'exil en France et l'exil intérieur en Espagne du temps de la clandestinité sous le franquisme. Espagnol mais tellement français. Nourri de culture classique et féru de lettres germaniques. Bilingue ou trilingue, il cite Goethe et Brecht en version originale, passe de Malraux à Shakespeare. Avec son visage à la romaine, il est un Latin viscéral qui en a les gestes et les émotions mais qui regarde aussi vers le septentrion. Là, dans le salon clair de son appartement parisien, près de la tour Eiffel, Semprun replonge dans son passé. Lire avait choisi L'écriture ou la vie (Gallimard) comme meilleur livre de l'année 1994. Un témoignage bouleversant sur l'enfer concentrationnaire qui paraît en Folio.


L'écriture ou la vie sort en collection de poche deux ans après sa publication. Et en deux ans les négationnistes n'ont pas baissé les bras. Qu'est-ce qu'un homme comme vous peut encore leur dire?
Jorge Semprun. On ne peut rien leur dire. Avec eux, il n'est pas possible d'entamer une discussion objective, rationnelle: historique, en somme. En revanche, il faut expliquer à ceux qui seraient tentés de les écouter, par ignorance, ou indifférence, ou même préjugé politique. Pour ceux-là, il faut commencer par mettre en pièces la méthode du négationnisme, que Paul Rassinier a en quelque sorte inaugurée. Méthode qui se fonde sur une critique des témoignages d'anciens déportés, en relevant ici ou là une exagération ou une invraisemblance - quasiment inévitables dans cette mémoire de l'horreur difficile à dire - aussitôt utilisées pour tout remettre en cause. Imaginons qu'à la suite d'un accident de la circulation en plein Paris, qui aurait laissé des morts et des blessés, la police, arrivée sur les lieux après le transfert des victimes vers les hôpitaux, ne parvenait pas à rassembler des témoignages concordants sur l'identité du conducteur fautif ou la couleur de sa voiture. Que dirait-on si elle concluait qu'il n'y a pas eu d'accident, sans s'inquiéter des morts et des blessés évacués?

Comment un déporté qui a vu ce qu'il a vu peut-il nier la réalité du génocide?

J.S. A l'origine, Rassinier, un homme de gauche qui sera député SFIO au lendemain de la guerre, est animé d'un ressentiment anticommuniste. A Buchenwald, il n'a pas supporté que des militants communistes, groupés autour des «vieux» déportés allemands, aient eu un certain pouvoir sur l'administration interne du camp. Ce qui constitue, soit dit en passant, l'une des singularités de Buchenwald! Mieux valait, a-t-il dit contre toute évidence statistique, avoir affaire directement aux SS qu'aux détenus politiques. A Dora, un camp à régime extrêmement sévère, mortifère, il s'est réjoui de servir d'ordonnance à un sous-off SS, de lui cirer les bottes et de parler avec lui de stratégie... Dans cet enfer, il s'était aménagé un petit paradis de servitude. Anticommuniste, Rassinier glissera vers l'antisémitisme, selon une pente populiste traditionnelle en France depuis Edouard Drumont.

«Voudra-t-on écouter nos histoires?» demande un de vos compagnons de captivité au moment de la libération de Buchenwald. Vous est-il arrivé de vous dire que peut-être un jour on ne vous croirait pas?
J.S. Ce sentiment de ne pas être cru a été partagé par tous les déportés. Certains se sont empressés de témoigner, d'autres - dont je suis - ont observé un long silence avant de s'exprimer. Je sais aussi à quel point, chez ceux qui ne pouvaient faire connaître publiquement leur expérience, l'impossibilité de parler, même en famille, a dicté leur comportement. Mais la société était-elle prête à les entendre? Rappelez-vous ce personnage de Primo Levi qui, au fur et à mesure qu'il raconte ce qu'il a vécu, voit les siens se détacher de lui et le laisser seul face à ses souvenirs.

Primo Levi avait témoigné tout de suite. Mais Si c'est un homme [réédité chez Laffont] n'a pas eu le moindre retentissement à l'époque et il devra attendre plus de vingt ans avant d'être reconnu comme un des livres majeurs de la littérature concentrationnaire...
J.S. Après la guerre, les gens ne voulaient pas entendre parler de ces événements. Il faudra l'espace d'une génération pour qu'ils affleurent à la conscience collective. Et dans cette surdité générale, le cas des juifs est particulier. En France, on a voulu faire de la Résistance une épopée héroïque à laquelle tout le monde avait pris part. Et de déportés on ne connaissait alors que les politiques, les résistants. Mais les juifs alors? Le fait est qu'ils gênaient, qu'ils étaient la preuve vivante - je parle de ceux qui avaient réchappé à l'extermination - que la France n'avait pas été aussi brave qu'on voulait le croire. Et puis, ces survivants développaient eux-mêmes un sentiment de culpabilité par rapport à ceux de leurs familles qui étaient partis en fumée. Ils étaient vivants par hasard. On mit donc longtemps avant de surmonter ces épreuves et ce n'est que la génération suivante qui s'est interrogée: Vichy, c'était quoi? Ses lois raciales, c'était quoi? Le Vel' d'hiv', c'était quoi? Et ce M. Papon, qui était-il pour qu'on fouille dans son passé bordelais alors qu'il était devenu ensuite préfet de police et ministre de la République?

Un jour viendra où il n'y aura plus de «mémoire immédiate» de Buchenwald, écrivez-vous. Ne redoutez-vous pas une résurgence du négationnisme après que les témoins directs auront disparu?
J.S. Le négationnisme n'est pas lié à l'existence de ces témoins. Tant qu'il y aura de l'antisémitisme, tant que l'existence même d'Israël sera mise en cause, il y aura du négationnisme. Mais on va simplement passer de la mémoire directe à la mémoire historique. L'évolution n'a rien que de très normal.

Que pensez-vous de la loi Gayssot qui punit les écrits et les propos contestant les crimes contre l'humanité?
J.S. Autant il est dans l'ordre des choses qu'un pays démocratique se dote de lois pour réprimer l'insulte raciste et la provocation à la haine raciale, autant je suis peu convaincu qu'un tribunal soit le meilleur endroit pour interdire des travaux pseudo-scientifiques où entre par ailleurs une bonne dose de névrose. Je préfère de loin la discussion sans relâche et sommer un Faurisson de s'expliquer plutôt que de passer par un prétoire. Je crois aux vertus du travail pédagogique. Mais peut-être est-ce une opinion excessivement démocratique!

Vous allez publier chez Gallimard une pièce de théâtre qui revient sur cette période. Comment s'est formé ce projet?
J.S. Le metteur en scène allemand Klaus Michael Grüber était venu me voir au début de 1995 pour me passer commande d'un texte dramatique dans la veine de L'écriture ou la vie qu'il représenterait l'été suivant au festival de Weimar. Il lui fallait quelque chose sur l'Allemagne qui ne soit pas sur le remords mais qui soit ouvert sur l'avenir. Je me suis rappelé le début du poème de Brecht «Allemagne, mère blafarde...» et je lui ai dit en plaisantant: «En somme, c'est mère blafarde et tendre sœur.» L'esprit lui convenait parfaitement. Et Grüber voulait que la pièce se situe en un lieu très précis. Il avait découvert près du château du Belvédère à Weimar, donc dans l'ancienne zone d'occupation soviétique, un cimetière de soldats de l'Armée rouge morts non pas à la guerre, mais fusillés pour des actes d'indiscipline. Un endroit unique qui, pour lui, avait ce privilège, se trouvant non loin de Buchenwald, de résumer une Allemagne victime des deux totalitarismes du siècle. C'est là que le personnage de la pièce, mon porte-parole, dernier survivant des camps, se réfugie pour échapper aux médias qui le harcèlent et c'est là qu'il voit défiler son passé.

Cette pièce, vous l'aviez écrite directement en allemand?
J.S. Non, en français et elle a été traduite en allemand pour être jouée à Weimar. Mais pour le public d'ici, j'ai retravaillé le texte original et j'ai traduit les citations de Goethe et de Brecht afin de les fondre aussi harmonieusement que possible dans l'ensemble. Une chose encore: le personnage féminin est inspiré de Carola Neher, une très belle actrice allemande des années 20 que Brecht a peut-être aimée et qui avait joué dans L'opéra de quat' sous. Femme de gauche mariée à un communiste, elle quitte l'Allemagne en 1933 et s'installe deux ans plus tard à Moscou. En 1936, elle est arrêtée comme espionne trotskiste et disparaît dans le goulag. Entre-temps son mari a été fusillé. Ils ont eu un fils qui sera recueilli dans un centre pour enfants d' «ennemis du peuple» et qui ne connaîtra la vérité sur ses parents que vingt-six ans après la mort de sa mère.

Parmi vos projets figure un film sur Jean Moulin avec la collaboration de Daniel Cordier.
J.S. Le projet existe. Il s'agit de faire revivre les dernières semaines qui précèdent l'arrestation de Caluire et les conflits qui ont déchiré la Résistance. Mais je ne peux en dire davantage car, avant de poursuivre, on attend le film de Claude Berri sur Lucie et Raymond Aubrac où, il va de soi, Jean Moulin tient un rôle éminent. Ne risque-t-on pas dans ces conditions de faire double emploi en relatant les mêmes événements? Affaire à suivre.

Vous avez une longue expérience au cinéma. Mais on n'écrit pas un scénario comme on écrit un roman. On y est d'abord moins libre...
J.S. Le roman, on l'écrit tout seul. Au cinéma, le travail se fait en équipe. En charge d'un scénario, on sait souvent pour quel acteur on écrit et on sait de toute façon qui va le mettre en scène. Ajoutez à cela que les questions d'argent y sont toujours présentes et même obsédantes. Comme le disait Malraux à la fin d'un beau texte: «Par ailleurs le cinéma est une industrie.» Un auteur de romans est l'égal de Dieu, il a droit de vie et de mort sur ses personnages. Au cinéma, la place du scénariste n'est pas comparable. Les spectateurs se souviennent en général des acteurs, à la rigueur du metteur en scène, mais de l'auteur du scénario...

Vous venez de citer Malraux. Le dernier livre que vous lisiez avant d'être arrêté par la Gestapo, fin 1943, c'était Les noyers de l'Altenburg. Que représente Malraux pour vous? Quel personnage en lui privilégiez-vous?
J.S. L'écrivain, sans conteste. Parce que, pour moi, Malraux fut d'abord une voix anonyme entendue en 1938 à la radio qui lisait une page de L'espoir, l'exécution de Hernandez. Nous étions alors à La Haye avec ma famille, et nous ne reviendrions pas en Espagne. C'était en septembre, quelques jours avant la conférence de Munich qui signerait non seulement la mort de la Tchécoslovaquie, mais aussi celle de la République espagnole. Les démocraties allaient de concession en concession. Sur l'homme Malraux, je serais tenté d'emprunter à Clemenceau son mot sur la Révolution française et je dirais qu'il faut le «prendre en bloc». Cela étant, dans sa vie court un fil d'Ariane, c'est l'antifascisme, avec l'Espagne au cœur de ce combat. Son engagement a pris plusieurs formes. Il a été proche des communistes sans en être tout à fait, il a été ardemment gaulliste sans jamais être un homme d'appareil. Il s'est toujours situé en marge. Il faut voir dans cette continuité des ruptures et dans cette série de ruptures une continuité. Je retiens donc l'écrivain, pas seulement le romancier, je n'oublie pas non plus le jeune homme fiévreux qui captivait son auditoire par le brio de son intelligence, qui partait pour l'Indochine où il se faisait arrêter pour un vol de statues et qui devenait le champion de l'anticolonialisme. Et puis l'Espagne, bien sûr. Alors, qu'un homme comme lui, un insoumis, un dissident, entre au Panthéon, ce n'est pas pour me déplaire.

Justement, vous présidez le comité Malraux en vue du transfert de ses cendres au Panthéon à la fin du mois de novembre. Quel est votre rôle?
J.S. Laissons de côté la cérémonie au Panthéon qui a sa beauté et sa signification. Notre mission a consisté à élargir la commémoration vers le grand public et nous avons été puissamment aidés en ce sens par la cheville ouvrière de notre équipe, un jeune conseiller d'Etat, Bernard Spitz, qui a fait la liaison entre la Culture, l'Education nationale et l'Elysée. Nous nous sommes chargés de l'organisation des colloques, nous avons sollicité toutes les mairies pour que, de la plus petite à la plus grande, elles participent à cette célébration. Mais surtout nous avons obtenu que, cette année, une œuvre romanesque de Malraux soit inscrite au programme des classes de première, au choix du professeur ou de l'établissement. Des centaines de milliers de jeunes Français pourront ainsi découvrir ou redécouvrir l'écrivain qui a été aussi le combattant d'escadrille en Espagne et le colonel Berger, le ministre et le compagnon de De Gaulle. Je forme seulement le vœu que cette obligation scolaire se transforme en plaisir du texte. Les professeurs y seront pour beaucoup.

Vous-même, quel livre retiendriez-vous de Malraux, s'il n'y en avait qu'un à emporter...?
J.S. Je tricherais. Officiellement je prendrais L'espoir, mais je dissimulerais Le miroir des limbes en Pléiade. Voilà une expérience littéraire fascinante, une réécriture biographique qui est en même temps une reconstruction de soi-même.

Malraux vous ramène sans cesse à l'Espagne. Venons-y, plus précisément à cette époque de la clandestinité sous le franquisme. Dans L'écriture ou la vie vous parlez curieusement d' «une sorte de malaise un peu dégoûté [qui] me saisit aujourd'hui à évoquer ce passé» ...
J.S. Par rapport au contexte du récit, revenir sur ce passé, oui, a quelque chose de dérisoire à ce moment-là. Dérisoire aussi, le dénouement. Le Parti communiste espagnol qui avait su résister à la clandestinité et aux persécutions, qui avait un prestige intact et une capacité d'organisation à toute épreuve à la sortie du franquisme, s'est dissous dans la démocratie. Il a connu un échec total alors qu'en 1956 - et je tire une certaine fierté d'y avoir contribué - il avait choisi la voie de la lutte pacifique, ce qui a été décisif pour la transition vers la démocratie. Mais la démocratie, au bout du compte, lui a été fatale! Les événements ne se sont pas passés comme annoncé. La logique de l'histoire n'a pas rejoint celle des dirigeants du Parti, elle a été plus subtile et plus complexe.

Entre le communisme et vous, les ponts sont rompus. Une histoire très ancienne maintenant...
J.S. Le communisme a abouti à la construction politique la plus injuste et la plus inégalitaire qui soit. Disant cela, je ne crache pas sur cette fraternité, si chère à Malraux, qui existait entre les militants. Mais tant d'abnégation pour en arriver là! Aujourd'hui on n'est pas communiste parce qu'on continue à croire que la société est invivable pour des millions de gens. A la rigueur, on peut se réclamer du marxisme, encore que le rôle messianique dévolu au prolétariat ne m'apparaisse plus comme la fin de l'histoire. Ce sera sans doute l'objet d'un livre si Dieu me prête vie... et si tant est que Dieu y soit pour quelque chose.

De 1988 à 1991 vous avez été ministre de la Culture du gouvernement González. Un intellectuel dans le marigot de la politique, n'est-ce pas un peu déplacé?
J.S. J'ai toujours été mêlé à la politique mais j'avais de qui tenir avec mon grand-père, mon oncle et mon père. Au départ, la politique, je ne l'ai d'ailleurs pas choisie. A 13 ans, la guerre civile; à 16 ans, l'exil. Puis l'expérience des camps avant celle de la clandestinité. Je suis un intellectuel qui n'a pas écrit avant l'âge de 40 ans et qui avait fait le choix de la vie, c'est-à-dire de la politique, non pas celle des salons mais celle de la rue. Mon rapport avec elle n'a rien d'intellectuel, il est autrement plus charnel.

Ce ministère, belle revanche tout de même pour «Federico Sanchez»! Mais avec quels résultats?
J.S. Malraux - encore lui, décidément - avait énuméré les deux conditions pour qu'un ministre de la Culture réussisse: du temps et un budget. Je n'ai eu ni l'un ni l'autre. Mais j'ai accepté ce rôle et je ne le regrette pas. Après la politique clandestine et la politique militante, j'ai goûté à la politique au pouvoir, à ses limites, à ses contraintes, au poids de son administration. J'étais sans doute aussi un ministre atypique. En Espagne, la tradition veut qu'un membre du gouvernement n'ait pas d'opinion. Je n'ai pas cessé de dire la mienne. Mais à bien y regarder, le bilan personnel est positif même si le bilan ministériel est, disons, plutôt nul.

Nouveau membre du jury Goncourt cette année, vous continuez dans la carrière des honneurs. Comment cela s'est-il passé?
J.S. J'avais été sollicité par François Nourissier il y a quelque temps et j'avais repoussé l'offre. Puis est survenue cette péripétie comique avec l'Académie française...

Vaut-il mieux être de l'académie Goncourt ou de l'Académie française?
J.S. De la première, sans comparaison.

Pourquoi cet épisode dérisoire avec les Immortels et cette histoire de passeport?
J.S. Quand on m'a proposé l'Académie en me faisant miroiter une élection de maréchal, j'ai commencé par objecter que j'étais espagnol et que je n'entendais pas solliciter la nationalité française pour être de la compagnie. Cette situation me ramenait quelques années en arrière, en 1988, lorsque mon ami Javier Solana, aujourd'hui secrétaire général de l'Otan, m'appelant de Madrid pour me demander si j'acceptais de faire partie du nouveau gouvernement, s'inquiétait de savoir si j'étais bien espagnol. Et voilà qu'avec l'Académie française, on me renvoie à la figure mon image d'apatride bilingue, d'émigré de partout. Très vite, on me fait comprendre qu'il y a problème, qu'il faut attendre pour mieux préparer l'élection, tout en me jurant que mon passé d'ancien communiste n'intervient en rien dans ce retard. C'est moi qui ai pris l'initiative de rompre. Chez les Goncourt, on ne parle que de livres.

Alors, comment le critique littéraire et le juré Goncourt analysent-ils la production romanesque de cette année?
J.S. Je ne vois pas d'événement littéraire, je vois des œuvres et surtout la confirmation d'une nouvelle génération d'écrivains plutôt jeunes, parmi lesquels beaucoup de femmes, tous auteurs de récits courts. Nous sommes toujours à l'époque de la brièveté. Mais après tout, Mauriac n'écrivait pas de romans interminables.

Vous cultivez la nostalgie des bons gros romans à la russe?
J.S. Je ne cultive dans tous les cas aucun a priori. Mais j'aime bien, c'est vrai, une certaine épaisseur dans le rapport au temps, ces univers qui se déploient comme dans les romans russes, bien sûr, mais aussi américains. De Henry James à Faulkner la tradition a été maintenue.

A deux exceptions près, vous avez écrit votre œuvre en français. Pourquoi avoir écarté résolument l'espagnol?
J.S. J'ai choisi le français en 1939 parce que je le parlais beaucoup plus mal que je ne l'écrivais et qu'on ne me comprenait pas. J'avais obtenu un 18 sur 20 à ma première dissertation en classe de troisième à Henri-IV mais, une fois sorti de l'internat, j'avais toutes les peines du monde à communiquer. J'ai donc décidé que plus personne ne devinerait, à m'entendre, que je ne suis pas français. Ma qualité d'étranger serait en quelque sorte une vertu intérieure.

Mais votre tout premier livre, Le grand voyage, le premier aussi sur l'univers des camps, est écrit en français et vous viviez alors dans la clandestinité en Espagne...
J.S. Je l'ai écrit en français parce que je l'avais vécu en français. Et si j'ai continué, c'est tout simplement que la censure franquiste me dissuadait d'écrire en espagnol. Pourquoi aurais-je pris le risque d'être immanquablement interdit? Mais je vais essayer de me rattraper. Je suis en train d'écrire un roman directement en espagnol. Ce sera la première fois. Cela dit, je ne passe pas d'une langue à l'autre sans oublier tout à fait celle que j'ai quittée. Je n'écris pas l'espagnol comme si je ne connaissais pas le français. L'espagnol est une langue très belle mais qui peut devenir folle et grandiloquente si on lui lâche la bride. Cioran parlait du français comme d'une langue de discipline. Je le crois. Le français m'aide à maîtriser mon espagnol. Une discipline de luxe, en somme...

© Lire
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