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Marcher la nuit
prose [ ]

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par [triton ]

2006-07-02  |     | 



Nota : ce texte ouvre le recueil 'Vers les rivages vierges', que cloture le poème 'Matin' (copyright : Les presses du Midi - depot legal : mars 2003). Le titre a été rajouté pour cette diffusion en ligne sur agonia.

***

Comme tous les soirs accoudé à la fenêtre de sa chambre, il regardait la ville, et la ligne crénelée des toits qui figurait l'horizon.

La nuit rampait sur la ville, par lentes gradations, et les soleils artificiels des lampes, des néons, des reverbères, des enseignes, des phares d'automobile s'allumèrent peu à peu, dessinant des blocs d'ombre et de silence que tranchaient, sous les étoiles immobiles, des allées scintillantes de lumière.

Alors il descendit dans les rues.

L'éclat cru des reverbères effaçait la couleur des trottoirs que longeait, comme une cicatrice, la ligne blême du caniveau, et crevait, en flaques de lumière, sur un flot figé enténébré de lave. Et sous la croûte durcie, parcourue de failles et d'écailles comme le squame rugueux d'un serpent, on sentait couler le fleuve d'asphalte, dont le cours lent et inexorable, débordant les soupiraux des égoûts, érodant les arêtes des trottoirs, éclissant les chaussées, s'infiltrait sous les fondations de la ville comme un sang épais et chaud. Dans le reflux de l'agitation diurne, la ville avait changé d'âme et révélait des perspectives inconnues creusées de cours d'immeubles où stagnait une obscurité sans fond.

Dans l'entrelacs des sombres frondaisons des platanes qui bordaient les avenues désertes, dans les odeurs moites que la terre des jardins exhalait, dans les amas de détritus qui débordaient des poubelles à l'angle des trottoirs, dans les cris rauques des goélands qui glissaient sur la ville, invisibles dans l'obscurité profonde, la nuit s'esquissait en signes indistincts comme une mer aux vagues visqueuses et lourdes.

Et il sut.

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